Sur Facebook, Jose Antonio Puche Riart vient il y a quelques semaines de rappeler opportunément que, dans ses Demeures Philosophales, Fulcanelli a, au chapitre consacré aux gardes du corps de François II duc de Bretagne, insisté sur l'intérêt en la matière d'un ouvrage de l'abbé Georges Durville, Etudes sur le vieux Nantes (Lafolye, Nantes, 1915).
L'alchimiste cite en particulier cette étude pour son historique du monument, notamment en ce qui concerne l'implication dans cette oeuvre d'art de Michel Colombe et de Jean Perréal. Puis il ajoute que s'y trouvait également autrefois une petite caisse renfermant un reliquaire "d'or pur et munde" (il cite ici Durville, en fait) contenant le coeur d'Anne de Bretagne, commanditaire de l'oeuvre, dont le corps repose, conclut il, à la basilique de Saint-Denis.
Et d'indiquer sur ce dernier point, en note de bas de page, dès l'édition originale des Demeures: "M. le chanoine G. Durville, à l'ouvrage de qui nous empruntons ces détails, a bien voulu nous adresser une image de cette curieuse pièce, laquelle fait partie des collections du musée Th. Dobrée, à Nantes, dont il est le conservateur...Nous prions M. le Chanoine Durville de bien vouloir agréer ici l'expression de nos vifs remerciements pour sa pieuse sollicitude et sa délicate attention."
Outre le fait que nous voici confirmés dans l'idée qu'en 1915 l'opus fulcanellien était sans doute bien en gestation, nous nous devons de noter que Georges Durville a été en correspondance écrite avec Fulcanelli, et a donc pu connaître et son adresse postale et son vrai patronyme d'état civil.
Cet ecclésiastique était à son époque dans la région nantaise ce que l'on appellerait aujourd'hui un notable, et on peut donc imaginer qu'à la lecture de son travail, Fulcanelli aurait pris le parti de le solliciter pour qu'il lui fournisse telle ou telle information utile sur l'histoire du "tombeau des Carmes", dans le cadre de sa rédaction des Demeures Philosophales.
Originaire de Clisson, entre Nantes et Cholet, le futur abbé, né en 1853 et décédé nonante années plus tard, a été ordonné prêtre en 1877, puis nommé chanoine titulaire en 1906. Vice-président de la Société archéologique nantaise en 1913, il fut effectivement le conservateur du musée Thomas Dobrée de Nantes de 1924 à 1937, ce qui nous donne une idée assez précise de l'époque à laquelle il a correspondu avec Fulcanelli, dont les Demeures originelles furent publiées en 1930.
L'oeuvre écrite de l'abbé est abondante, au demeurant. Ses premières Etudes sur le vieux Nantes sont parues chez Durance (Nantes), en 1900. Parmi ses livres autres que régionalistes, citons ses Sermons de saint Bernard en langue romane (Joubin & Beuchet, Nantes,1903), ainsi que sa participation à l'édition par Joseph Calmette des Mémoires de Philippe de Commynes (Champion, Paris, 1924).
Notons également que d'après la Bibliothèque Nationale de France, notre religieux a pu signer ses essais et articles de diverses façons: Abbé Durville, ou Chanoine Durville, ou encore G.D.
Enfin on peut légitimement se demander si, quand Fulcanelli nous explique dans les Demeures Philosophales, à propos de la vertu cardinale de la Justice statufiée à l'un des angles du tombeau, que "notre Vertu a le front ceint d'une couronne ducale, ce qui a pu laisser croire qu'elle reproduisait les traits d'Anne de Bretagne", il ne fait pas implicitement référence à un autre travail de Durville: Anne de Bretagne et la statue de la Justice du tombeau des Carmes (Imprimerie armoricaine, Nantes, 1918, article extrait du Bulletin de la Société archéologique nantaise).
Mais en a-t-il eu vraiment besoin? Ouvrons ensemble le second tome des Etudes sur le vieux Nantes. Voici ce qu'on y trouve sous la plume de Durville: "Une question souvent agitée par ceux qui se sont occupés du chef-d'oeuvre concerne la statue de la Justice. Est-elle oui ou non (à) la ressemblance d'Anne de Bretagne? Nous traiterons ailleurs cette intéressante question."
Insistons y de nouveau; les références sur le tombeau de Fulcanelli dans les Demeures, s'agissant aussi bien d'Anne de Bretagne que de Michel Colombe (de Caumont, Le Roux de Lincy, Palustre, Vitry) nous apparaissent provenir directement des Etudes durvilliennes.
Ce dernier ouvrage tout d'érudition ne comporte d'ailleurs que deux illustrations, toutes deux consacrées à la duchesse bretonne, l'une représentant ses armes, et l'autre la chapelle ardente érigée à son décès et où figure le reliquaire en forme de coeur qui a fait l'objet d'une correspondance entre l'historien nantais et notre Adepte.
La gravure d'ensemble du cénotaphe hermétique, qui n'est pas incluse dans les dessins de Julien Champagne, mais ouvre notre petit article de ce jour, et que rappelle la photographie ci-dessus, ne figure donc pas dans notre Durville. Mais on la trouve dans un livret qu'il commente au demeurant dans la partie idoine de ses Etudes, et dont nous avons reproduit la couverture ci-dessus. Il s'agit de la Notice sur le tombeau de Francois II et de Marguerite de Foix (Prosper Sebire, Nantes, 1839), dont certaines versions pourraient contenir des reproductions plus détaillées, et donc possiblement plus semblables aux résultats publiés du coup de crayon de Julien.
Disponible en version numérisée grâce aux Archives départementales de Loire atlantique, elle s'avère conforme à d'autres vues générales du tombeau (voir notre De Forest à Champagne), et nous a paru elle aussi digne d'intérêt. Le texte du livret en question est d'un certain TH. L... et l'auteur du dessin est cette fois Hersart du Buron, apparenté aux Villermarqué, qui ont eu notamment comme digne représentant un bretonnant célèbre, clan Hersart dont le sceau fait partie des collections...du musée Dobrée, de même, il convient de le remarquer, que le coeur de la duchesse "deux fois reine".
Finalement, notons que dans ses Etudes décidément des plus riches, Georges Durville fournit l'explication historique de la réalisation d'une copie moulée du tombeau des Carmes, que l'on peut toujours admirer au musée parisien du Trocadéro, dit actuellement des monuments français.
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