Les éditions finistériennes Philomène Alchimie s'étaient déjà signalées depuis quelques années à l'attention des hermétistes par plusieurs éditions ou rééditions de traités ou d'études de qualité, telle cette Clef du laboratoire hermétique d'un anonyme, en 2017, puis en 2020 ce Discours philosophique de Sabine Stuart, ou ce Traité du Feu et du Sel de Blaise Vigenère (2021), en 2023 encore ce Cours d'Alchimie d'Alphonse Jobert, et enfin tout récemment (2024) ce Message Retrouvé de Louis Cattiaux.
Leur créateur Jean-Marie Groult nous propose ces jours-ci un nouvel ouvrage, inédit cette fois, de Christian Ficat: Sagesse secrète du docteur Rouhier, paru ce mois, semble-t-il. Ce livre est, nous assure-t-on, la première synthèse publiée sur le célèbre pharmacien, et comme ce dernier est loin d'être un inconnu pour les lecteurs et lectrices de notre petit blog, nous nous faisons un devoir et un plaisir de brièvement le présenter à leur aimable attention.
Sur Alexandre Rouhier, voyez en particulier certains de nos articles précédents, comme Champagne au Grand Lunaire ou Très Haut Champagne.
Relevons au demeurant le fait que Christian Ficat cite aussi bien notre petit travail en ligne sur Julien Champagne et alentours que le pensum que l'ami Jean Artero lui a consacré au Mercure Dauphinois, ce qui nous honore tous deux, bien évidemment.
Il ne manque pas non plus de remercier, outre son éditeur pour son engagement, Jean-Claude Bailly, pour son érudition et sa générosité, ainsi que Jean-Marie Castex, qualifié pour sa part de "fidèle apôtre de la Science hermétique", ce qui n'a pu manquer de nous frapper, comme vous vous en doutez. En fait, ayant eu l'heur de rencontrer (intellectuellement) ces deux derniers messieurs, nous nous permettons d'emboîter illico le pas à notre auteur du moment, et à les saluer ici, et l'un, et l'autre.
Si Alexandre Rouhier fut notamment pharmacien, Christian Ficat fut, lui, chirurgien de profession. C'est sans doute son métier qui l'a conduit à développer une réflexion qui l'a incité à tangenter les conceptions trinitaires traditionnelles (corps, âme, esprit), puis à nous gratifier d'un premier essai paru en 2021 chez Dervy: Enjeux de l'imaginaire, mythes, symboles et théories.
Préfacé...par lui-même, ce qui pourra amuser tout autant qu'éclairer (Tricat nous explique qu'en chirurgie on a coutume de se référer à la maxime "aide-toi, car le ciel ne t'aidera pas"), il nous indique d'entrée de jeu et comme en passant ce qui constitue selon nous l'essentiel de ses trouvailles sur Rouhier: Sous le pseudonyme parlant d'Alexandre Pavot (parlant car Alexandre s'est d'abord fait connaître par son livre sur Le peyotl, la plante qui fait les yeux émerveillés, Doin, 1927) , ce dernier est selon lui l'auteur de trois écrits d'inspiration initialement théosophique, puis orientale - hindoue et chinoise, en fait:
La règle d'or, L'auteur, 1932 (puis Véga, 1952), La force du silence (Véga, 1951), enfin Sagesse secrète et Tao d'Occident (Véga, 1954). "Ces trois ouvrages, résume-t-il de façon extrêmement percutante, traitent essentiellement des rapports fondamentaux qui peuvent exister entre l'esprit humain et l'esprit qui régit l'univers, (esprit) généralement qualifié de Dieu." Ici, nous semblons bien rejoindre dans une certaine mesure la pensée d'un Fulcanelli, pour qui l'alchimie, chimie spiritualiste, est précisément la Science qui peut permettre à l'alchimiste d'"entrevoir Dieu à travers les ténèbres de la substance."
Selon Christian, Pavot-Rouhier est aussi (avec son ami Francis Warrain) le Rouhier-Talemarianus du monumental ouvrage De l'architecture naturelle (Véga, 1950), qui pourrait passer pour une prolongation ou une synthèse de la trilogie ci-dessus. Mais à côté du Rouhier métaphysicien nous découvrons ou redécouvrons dans ce livre le Rouhier magiste, le Rouhier-Sabazius d'Envoûtement et Contre-envoutement (Occulta, 1937) et le Khamballah-Rouhier de Géomancie traditionnelle (Véga encore et toujours, 1947).
C'est au demeurant un des mérites de l'ouvrage de Christian Ficat, il nous replonge dans l'univers de libraire-éditeur qui fut aussi celui d'Alexandre Rouhier, avec sa librairie Véga et les éditions du même nom, qui doivent leur patronyme à l'étoile la plus brillante de la constellation de la Lyre: Véga fut autrefois l'étoile polaire et devrait le redevenir en principe du fait de la précession des équinoxes.
Mais restons un moment sur ce magiste de Rouhier, que l'on voit ci-dessus près de la tombe de Gurdjieff, et puis après peint par Marcel Nicaud, un proche, l'illustrateur du Talemarianus et l'auteur de la galerie de portraits déjà évoquée du Grand Lunaire, où figure entre autres notre cher Julien Champagne (voir aussi notre Champagne au tableau de maître).
S'agissant de Julien Champagne, je noterai volontiers que Ficat relève bien, contrairement à d'autres, qu'il n'est pas "que" l'illustrateur de Fulcanelli. Il n'ignore pas en particulier, et il l'écrit, ce qui est encore mieux, qu'"Hubert" est aussi l'alchimiste auteur inter alia de La Vie Minérale (3R, 2010). Dont acte.
Sur Le Grand Lunaire, à l'inverse, il ne nous est pas apparu clairement que nous ayons beaucoup progressé depuis la parution du petit livre sur le sujet de Gino Sandri que nous avons déjà évoqué ici même (Le Grand Lunaire, Arqa, 2013), et que Christian mentionne également, il faut le lui reconnaître.
Les principaux membres du groupe portraiturés par Marcel Nicaud en 1946 ou 1947 sont donc vraisemblablement, outre lui-même et Julien Champagne, Alexandre Rouhier, Jules Boucher, Robert Ambelain, et last but not least Eugène Canseliet plus une dame non connue de façon certaine (de très bonne source nous venons d'apprendre que le portrait de Canseliet existe bien; quant à la dame en question, il s'agit en fait nous dit-on maintenant de Maryse Choisy).
Et Sandri de conclure, comme déjà souligné en son temps: "Il a bien existé un cercle rassemblant ces personnes, qui se réunissait dans le centre du vieux Paris...Quant aux cérémonies en usage, elles ne ressemblaient pas nécessairement aux descriptions complaisamment publiées." Gino finit son propos par cette phrase bien sentie: "Ne s'agit-il pas (ici en l'occurrence) de créer une nasse et de détourner l'attention d'un autre cercle, vraiment confidentiel celui-là?"
Sagesse de Rouhier, nous explique enfin Ficat. De fait, il nous prouve bien aussi in fine qu'en 1946 l'hermétiste Louis Cattiaux lui dédicaça son maître livre Le Message retrouvé, traité "d'ombre et de lumière", et ce "en témoignage d'admiration pour sa connaissance certaine du FEU." Ceci doit peut-être nous rappeler finalement que dans L'architecture naturelle, Talemarianius-Rouhier s'essaie à dégager une "règle d'or servant à la réalisation des lois de l'harmonie universelle et contribuant à l'accomplissement du Grand OEuvre."
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