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Honneur soit ici rendu aux restaurateurs de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui vient heureusement de rouvrir ses portes au public, après des travaux dignes d'admiration, suite à l'effroyable incendie survenu il y a plus de cinq ans.
Notons cependant que les tours en restent provisoirement inaccessibles à notre connaissance, et qu'il est donc pour l'instant impossible à tout un chacun d'y monter et d'y admirer, en particulier, l'alchimiste qui y veille toujours sur le chemin de ronde, après restauration, bien sûr.
Car celui qu'on a parfois nommé indument "le Juif errant" a bien été, semble-t-il, déposé puis reposé après reconstitution, ainsi qu'en font foi les deux illustrations du début et de la fin de notre article du jour, qui nous ont été signalées par Lorfol. La première témoigne de sa dépose, et la dernière de sa reconstruction d'après l'original et un modèle en résine verte, et donc de véridique viridité.
Honneur derechef, par conséquent, à nos modernes frimasons, dignes héritiers de leurs ancêtres médiévaux, dont Fulcanelli avait bien avant nous (et infiniment mieux) loué le labeur, aussi bien dans son Mystère des Cathédrales que dans ses Demeures Philosophales:
"Les Frimasons, ou francs-maçons du moyen âge, "logeurs du bon Dieu", édifièrent les chefs-d'oeuvre argotiques que nous admirons aujourd'hui" (Mystère). "Les cathédrales gothiques ont leur façade construite d'après les lignes essentielles du symbole alchimique de l'esprit et leur plan est calqué sur l'empreinte de la croix rédemptrice. Elles présentent toutes, à l'intérieur, ces hardies croisées d'ogives, dont l'invention appartient en propre aux frimasons, constructeurs éclairés du moyen âge" (Demeures).
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Dans son sympathique ouvrage Notre-Dame de Paris, les symboles des pierres (Salvator, 2024), l'historienne de l'art d'inclination catholique Paule Amblard n'est pas loin d'adopter un point de vue qui rejoint en partie celui de Fulcanelli:
"Le monument, écrit-elle ainsi, est un grand livre à lire qui interroge le visiteur, comme le sphinx d'Egypte, et lui parle de la vie sur la terre comme au ciel." Toutefois pour notre auteur, ou notre auteure, ou notre autrice, comme il vous plaira, la lecture symbolique de ce livre renvoie plutôt à une alchimie qui serait uniquement spirituelle:
"Il ne s'agit pas de faire de l'or à partir du plomb, mais de trouver l'or en soi, autrement dit de découvrir son être spirituel."
Bien qu'elle cite en sa bibliographie sélective Le Mystère des Cathédrales (et même le livre de Jacques Troger: Le symbole oublié, trésors et secrets alchimiques de Notre-Dame de Paris, Massanne, 2012), Paule s'appuie davantage à notre avis sur les interprétations moralisantes d'un Emile Mâle, dont elle mentionne également la somme intitulée L'art religieux du XIIIe siècle en France (dans son édition Klincksieck de 2021).
C'est ainsi notamment que pour elle l'alchimie trônant au centre du "portail royal" serait plutôt une Cybèle, voire une figuration de la science de la rhétorique. Notons également qu'Amblard reproduit in petto l'alchimiste des gargouilles du toit de Notre-Dame, déjà évoqué ci-dessus, et que nous retrouverons ci-après, tel que...dessiné par Julien Champagne; et tout de même, non sans citer Fulcanelli à son propos, croit judicieux pour adoucir le trait, sans doute, de le qualifier de "philosophe", ce qui ne manquera certes pas de réjouir tous les hermétistes et autres cabalistes et "Philosophes de Nature" de Paris, de France, de Navarre, et d'ailleurs.
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Comme on nous en a recommandé la lecture, nous voudrions également vous commenter la parution à la fin de l'année dernière de L'alchimie de l'être d'Alain Mucchielli (La Tarente, 2024 donc). Cette fois, notre...auteur est un chimiste (et un médecin) d'obédience explicitement maçonnique.
A mon humble avis, le sous-titre de son ouvrage que l'on pourra trouver fouillé et même érudit (et qui est préfacé par Jean-Marie Pierret) a été extrêmement bien choisi: L'alchimie de l'être dont il est ici question est en fait une sorte de quête de la transmutation personnelle à partir de l'étude active des symboles alchimiques tels que repris par la franc-maçonnerie (spéculative, oserons nous ajouter) et de l'approche jungienne desdits symboles.
Le point commun entre Amblard et Mucchielli me paraît être, par conséquent, que pour eux l'alchimie ne saurait être valablement opérative: Ora, oui, Labora(toire) que nenni.
La franc-maçonnerie, pour Alain, est donc en fait une "héritière tardive de l'alchimie spirituelle". L'alchimie antique et médiévale aurait été surtout une proto-chimie teintée (si on peut dire) de magisme et le rationalisme du XVIIe siècle puis les Lumières du XVIIIe auraient conduit au début de la fin (et même à la fin, en fait) de l'alchimie.
Sans doute peut on en inférer que la validité persistante de sa symbolique, telle qu'adoptée par la maçonnerie, s'explique d'une part par le caractère englobant (universel) de notre culture gréco-latine puis judéo-chrétienne et d'autre part par la pertinence du concept jungien des archétypes, nouveaux universaux.
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On l'aura deviné, pour notre franc-maçon, il est douteux, tout compte fait, que les frimasons médiévaux aient eu l'intention générale de transmettre un message d'ordre hermétique et alchimique.
Il s'inscrit donc délibérément en faux contre l'approche fulcanellienne, qu'il ne méconnait certes pas: "Selon Fulcanelli et son adepte (sic) Canseliet, architectes, graveurs et enlumineurs auraient suivi la même voie."
Et Mucchielli de trancher sans ambiguïté (et au fait sans faire référence à Julien Champagne): "Il convient de mentionner Eugène Canseliet et surtout son "maître" Fulcanelli qui parvient à nous immerger dans des projections intéressantes de son inconscient sur les statues, façades et monuments qui l'entourent. Son interprétation originale et personnelle lui permet de révéler des dimensions cachées et symboliques des éléments architecturaux des cathédrales, transformant sa perception quotidienne en une exploration mystique et révélatrice de son inconscient."
Qu'en termes élégants ces choses là sont dites! En caricaturant un peu, on pourrait aboutir à l'image d'un doux rêveur, voire d'un doux dingue, ce qu'à Dieu ne plaise, bien sûr. Mais Alain Mucchielli fait tout de même l'honneur insigne à Fulcanelli de l'inclure dans sa bibliographie, alors que son préfacier n'a droit comme référence qu'à une note de bas de page (Jean-Marie Pierret, article L'alchimie, l'art de la transmutation, in Cahiers Villard de Honnecourt, n°112, 2019).
A notre biochimiste qui est manifestement un hellénisant distingué, ainsi qu'à notre historienne de l'art, on serait donc tenté de rappeler si besoin était, bien sûr, l'origine grecque du terme symbole: sumbolon ou "objet coupé en deux dont les parties réunies à la suite d'une quête permettent aux détenteurs de se reconnaître." Polysémie intrinsèque du symbole, par conséquent, qui peut être (ou non) religieux, et à la fois philosophique, moral, artistique, scientifique, alchimique, maçonnique...
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Ni Paule Amblard ni Alain Mucchielli ne nous ont paru s'être inspirés d'un ouvrage pourtant bien connu et remarquable dans le domaine qui nous occupe: Théories et symboles des alchimistes d'Albert Poisson, paru en 1891 dans la Bibliothèque Chacornac et maintes fois réédité. Poisson qui fut aussi un praticien de l'Art et qui, après bien d'autres (tels Nicolas Flamel, Esprit Gobineau de Montluisant, Louis-Paul-François Cambriel), et avant Fulcanelli, était persuadé du caractère alchimique de certains monuments médiévaux, en particulier parisiens.
Quant à la dialectique oratoire-laboratoire, on ne peut que les renvoyer tous deux (et nous renvoyer nous-mêmes) à la vigoureuse apostrophe d'un Claude d'Ygé, si proche de l'alchimie fulcanellienne, apostrophe dont nous nous sommes déjà fait l'écho:
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