Vous souvenez-vous de Carlos Larronde, dont le portrait est ici tiré par Chana Orloff? Nous avons déjà rencontré ce Veilleur, membre des Frères d'Elie de René Schwaller, en particulier lorsque nous avons évoqué la vie et l'oeuvre du maître verrier Richard Burgsthal:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-3826243.html
Comme Schwaller...et Julien Champagne, comme Burgsthal aussi, et d'ailleurs avec lui, Larronde a cherché à retrouver le secret peut-être alchimique des rouges et des bleus des vitraux médiévaux de la cathédrale de Chartres.
Soit, me direz-vous, mais quid novi sur Carlos? Et bien, mais un livre bien sûr, et même plusieurs. D'abord, il apparaît en 2005 et 2006 dans les ouvrages qu'Emmanuel Dufour-Kowalski a consacrés à Schwaller de Lubicz (L'oeuvre au rouge, L'Age d'Homme, 2005 et La quête alchimique, Archê, 2006):
http://www.archerjulienchampagne.com/article-6060781.html
Ensuite, figurez vous que notre Carlos Larronde est en fait surtout passé, ô bien discrètement, à la postérité parce qu'il fut (aussi) un des pionniers de la radio française de l'entre deux guerres.
C'est à ce titre principalement qu'un professeur émérite de l'université britannique de Leeds, Christopher Todd pour ne pas le nommer, vient de lui consacrer un essai à la fois inspiré et documenté, bellement et d'ailleurs alchimiquement intitulé Carlos Larronde, poète des ondes (L'Harmattan, 2007).
En fait, selon Christopher, ce titre enviable de "poète des ondes" lui fut tout simplement donné par ses confrères journalistes.
Chère Sylvie, notre Carlos était en fait un basque girondin, même s'il naquit en 1888 en...Argentine. Très tôt, il manifesta des goûts particulièrement éclectiques. C'est ainsi qu'encore adolescent, il correspondit avec Camille Flammarion sur divers sujets d'astronomie.
Il lui dédia même un poème, car il fut très tôt féru de littérature comme de théâtre. En 1912, Larronde "monte" à Paris.
Et là, très vite, fréquentant le café littéraire à la mode de l'époque, La Closerie des Lilas, il rencontre successivement, en 1913, Milosz, puis sans doute grâce à ce dernier, Schwaller. La même année que Julien Champagne, et de surcroît au même endroit...
Avec ses amis Louise Lara et Claude Autant (le futur cinéaste) il fonde le Théâtre idéaliste et y donne libre court à son mysticisme (Claudel, Péguy, Barrès, Saint-Pol-Roux, Maeterlinck) et à son modernisme (Apollinaire, Marinetti, Honegger).
Au lendemain de la guerre, "Jacques d'Elie" et sa femme rejoignent à Saint-Rémy-lès-Chevreuse l'ordre des Veilleurs de Schwaller, dont il est considéré alors comme l'éveilleur. "Je n'instruis pas, j'éveille", écrira magnifiquement Rudolf Steiner.
Steiner dont le Goetheanum servit sans doute de modèle à Schwaller pour en 1922 transporter ses fidèles à la station scientifique Suhalia, près de Saint-Moritz, en Suisse. Larronde, que l'on voit ci-dessus dans l'habit de l'ordre en compagnie d'André Fourcine, Veilleur également, est de l'aventure, mais plutôt comme visiteur occasionnel.
Que fait-il là-bas? Profondément épris des joies du travail manuel, il apprend à travailler le verre. En fait, dès cette époque, il connaît aussi et suit dans leurs retraites successives le pianiste et maître verrier Richard Burgsthal et sa femme, la compositrice Rita Strohl, à l'"oeuvre" ou art cosmique de laquelle il consacrera un livre publié en 1931.
En 1922, Larronde est ainsi à Saint-Cyr-sur-Mer. "Au premier essai, j'ai réussi un beau verre d'un violet pourpre. Au deuxième, j'obtins des plaques du même bleu outremer qu'on admire à la cathédrale de Clermont et du bleu royal absolument pur qui fait la splendeur des vitraux de Chartres."
En 1925, Burgtshal et Larronde, que l'on voit ici crayonné par Luis de la Rocha, autre Veilleur, passionné d'alchimie, et comme Champagne dessinateur et peintre, commencèrent à travailler pour les Monuments Historiques.
Ils restaurèrent ainsi les vitraux des cathédrales de Morsain, Carcassonne, Narbonne, et à Avignon ceux du Palais des Papes, et surtout on leur confia la réfection des verrières du choeur de la cathédrale d'Albi, achevée en 1929.
Pour Todd, cet épisode de la vie de Larronde est bien central: "il a tout quitté au début des années 1920 pour devenir maître verrier."
Entretemps, Carlos s'était épris de Charlotte Fourcine. Leur fils Olivier, né en 1927, devait lui aussi devenir plus tard écrivain...En 1929, Larronde regagne la capitale. Il reste pourtant ébloui par "ses vitraux."
C'est alors que commence vraiment sa carrière radiophonique, assez symboliquement par sa collaboration à la revue Lumière et radio. En 1935, Carlos Larronde "invente" le journal parlé moderne à Radio-Cité. Il passera à la radio d'Etat en 1938, et décèdera d'une crise cardiaque deux ans plus tard. Dans l'esprit de Carlos, la radio était d'abord un "huitième art."
Il ne faudrait pas pour autant méconnaître d'autres dimensions de sa riche personnalité: Larronde fut aussi le romancier cryptique du Parc aux chevreuils (1923), écrit "à clefs" où selon Alexandra Charbonnier il met en fait en scène Milosz et son entourage, l'essayiste lyrique de La couronne de l'unité (1930), le poète des Cristaux (1931) et de ses "haïkus"...
Enfin, il fut un pionnier de la critique et du théâtre radiophoniques. Ce théâtre qui d'ailleurs le passionna d'emblée, comme on l'a vu, et qui lui inspira des pièces aux titres "curieux", ou au choix parlants: La mort sera le réveil (1914), Le mystère de la fin du monde (1917), Le chant des sphères (1936), et un fantastique et utopique Sixième continent (1938).
Voulez vous que je vous fasse lire un peu de Larronde? Voici donc quelques pensées de lui, que je trouve significatives:
"Non, il ne faut pas considérer les auditeurs comme des aveugles...Ils sont des "sur-auditifs". Sachons leur donner tout ce que l'ouïe, le sens subtil et intérieur par excellence, peut accueilir de lyrisme, de rêve ou d'évocation. Sachons en faire des voyants."
"L'homme est un résumé de l'univers. il contient l'unité, son origine, la dualité, matrice de la création, la trinité qui crée, les quatre éléments qui construisent, les sept planètes à travers lesquelles la création s'accomplit."
Et finalement, de son inédit le plus important, intitulé Désir, âme du monde, ce titre d'un des chapitres: La vie est un chant.
Larronde a aussi en 1908 écrit une pièce en un acte, intitulée La chimère. En sa mémoire, je vous propose en ce jour de la Trinité cette chimère moderne, humoristique il est vrai mais finalement non moins réelle que d'autres. Elle me semble nous poser la même question oedipienne que le sphinx cher à Fulcanelli, et à Julien Champagne.
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