Grâce à Greg Fox, nous en savons désormais un peu plus sur la bibliothèque de Julien Champagne. Il est probable qu'elle ait été dispersée, ce qui après tout n'est guère surprenant.
Vous vous souvenez sans doute qu'il y a quelques semaines Vérax nous a permis et de nous faire une meilleure idée des ex-libris d'"Hubert" et de sa prédilection pour l'alchimiste français du XIXème siècle Albert Poisson:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-17159081.html
Cette fois Greg nous permet de savoir que Julien a eu aussi en sa possession un ouvrage d'un chimiste allemand du XVIIIème siècle, Johann Heinrich Pott.
Il s'agit de ses Dissertations chymiques, parues en 4 tomes en 1759 chez Jean Thomas Hérissant, et traduites "tant du latin que de l'allemand" par Monsieur Demachy:
http://www.alchemywebsite.com/books/BK3497.HTM
A propos d'ex-libris, notons d'emblée que celui qui figure dans cet ouvrage n'est pas en fait celui de Champagne, mais d'un précédent détenteur de l'oeuvre, G. Bontemps.
Georges Bontemps (1799-1883) est surtout connu pour avoir en 1868 rédigé un Guide du verrier. Il fut par ailleurs directeur des verreries de Choisy-le-Roi.
Créées en 1805, ces verreries comprirent de 1829 à 1855 un atelier vitrail précisément dirigé par Bontemps. Il y aurait redécouvert entre 1845 et 1861 les secrets du verre filigrané, supposés perdus depuis la Renaissance.
Pour Bontemps, "la malléabilité du verre n'est pas de la même nature que celle des métaux. En effet, celle-ci est modifiée par la propriété de corps non conducteurs du calorique."
Mais disons tout de même quelques mots de Johann Heinrich Pott (1692-1777), pharmacien et chimiste allemand des plus connus:
http://de.wikipedia.org/wiki/Johann_Heinrich_Pott
Il est amusant de noter qu'il fut un des élèves de Stahl, parfois considéré comme l'auteur de la théorie du phlogistique, en fait élaborée au XVIIème siècle par l'alchimiste Becher, et que combattra plus tard un Lavoisier, chantre de la chimie officielle.
http://static.wikipedia.org/new/wikipedia/fr/articles/g/e/o/Georg_Ernst_Stahl_5dfd.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Phlogistique
http://membres.lycos.fr/alchimie2/hist/DBL2.htm
Comme Becher, Pott fut mandaté pour créer une manufacture de porcelaine. Dans le cas de Johann Heinrich, le monarque en question fut Frédéric II.
Il semble que l'oeuvre de Pott détenue par Bontemps puis Champagne ait paru d'abord à Berlin en 1738 chez J.A. Rüdiger. Pott y relate notamment certaines des expériences de ses prédécesseurs qu'il prit la peine de reprendre pour vérifier leur validité.
Il critique ainsi l'alchimiste français Moras de Respour, surtout connu pour ses Rares expériences sur l'esprit minéral (1668). Et c'est alors que nous retrouvons Julien, son tampon encreur et ses commentaires...favorables à Pott:
"Bien juste, écrit Champagne; on pourrait sans trop d'exagération affirmer que tout est faux..."
Plus loin, alors que Pott exprime notamment son point de vue sur une partie de la Pyrotologie (1725) de son compatriote Henckel, très intéressé au demeurant par l'oeuvre de Respour, et qui d'ailleurs semble avoir passablement influencé Pott, Champagne remarque:
"Si l'on triture avec du sel de tartre déliquescent le résidu de la distillation d'un acétate de zinc obtenu par
dissolution de l'oxyde dans du vinaigre distillé (?), il se répand une odeur extrêmement désagréable et qui fut sur le point de me faire vomir plusieurs fois.
Toutefois elle n'a aucun rapport avec l'odeur alliacée." Mais voici qu'entre en scène un troisième lecteur des Dissertations.
Pour Fox, et je suis très tenté de le suivre sur ce point, ce lecteur n'est autre qu'Eugène Canseliet.
Canseliet donc (car son écriture est tout aussi caractéristique que celle de Champagne) relève ainsi à
propos de l'esprit de vitriol dulcifié qu'il est aussi utilisé comme astringent et hémostatique.
Et il ajoute: "Cet esprit de vitriol dulcifié des anciens est au Codex actuel un mélange d'une partie d'acide sulfurique avec trois parties d'alcool."
Plus loin, il commente ainsi l'histoire de l'acide marin dulcifié: "L'acide marin ou esprit de sel dulcifié est un alcoolé d'acide chlorhydrique."
Greg précise également qu'on trouve dans un des volumes des Dissertations la trace d'un autre ex-libris que celui de Bontemps. Cet ex-libris circulaire en a été décollé ou arraché et comme Fox je pense qu'il pourrait bien s'agir de celui de Julien Champagne.
Reste qu'apparaît, inexpliquée pour moi même si pour Greg Fox cette écriture ressemble beaucoup à celle d'"Hubert", un troisième type d'annotations.
Je remarquerai simplement qu'elles font cette fois usage de la symbologie chimique courante. Personnellement elles me semblent pourtant plus anciennes que les deux autres: Bontemps, ou un autre heureux possesseur du livre de Pott?
Canseliet cite ce dernier au moins une fois, dans son édition du Mutus Liber (1977). Bien entendu, il s'agit toujours des Dissertations:
"Cohausen a ôté au sel marin des côtes d'Espagne toute sa saveur, en le faisant digérer ou putréfier pendant quarante jours au moins dans l'esprit le plus subtil de rosée; ce qui lui a produit un sel tout différent."
Quant à Fulcanelli, c'est dans ses Demeures Philosophales (1930) qu'il fait référence aux Dissertations: "Pott, qui s'appliqua a relever les nombreuses formules de menstrues et s'efforça d'en donner une analyse raisonnée, nous apporte surtout la preuve qu'aucun de leurs inventeurs ne comprit ce que les Adeptes entendent par leur dissolvant."
Et de marteler un peu plus loin: "Sans contester la probité de Pott, ni mettre en doute la véracité de sa description, et moins encore de celle que Weidenfeld (mentionné par Pott) donne sous des termes cabalistiques, il est indubitable que le dissolvant dont il parle n'est pas celui des sages."
Permettez-moi enfin, avant de souhaiter de bons congés aux juilletistes, de signaler pour ne pas conclure tout à fait le dernier numéro de La lettre de Thot, désormais semestrielle (N°55, juillet à septembre 2008):
http://thot-arqa.org/arcadia/accueil.html?rubrique=webzine/webzine.html
Il est pour partie consacré au livre de Jean Artero, Présence de Fulcanelli, que je vous ai présenté dans mon précédent article, et en totalité à l'alchimie. Artero est ici questionné pour la première fois sur son ouvrage.
Je vous recommanderai tout particulièrement également le texte que renferme ce numéro du webzine de Thierry Garnier sur François de Chazal, cher à Fulcanelli et peut-être à Julien Champagne.
Et puis pourquoi bouder notre plaisir après tout, nous voici consacrés "blog du mois".
Et in Arcadia ego.
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