Si je vous demande quel livre commence par cette phrase surprenante: "Je revenais d'une banlieue spongieuse où Fulcanelli m'avait donné rendez-vous", vous me répondez...
Lady Long Solo de André Hardellet? Bravo, belle érudition! Mais l'avez-vous lu? Sinon faites-le, je pense que cette très belle fiction poétique est comme l'oeuvre de Julien Champagne: insuffisament connue.
Bon d'accord, le rapport entre André et "Hubert", vu sous cet angle, est un peu mince, mais je vais bien entendu essayer de vous persuader que ce n'est pas le seul. Et puis tout de même il y a cette mention de Fulcanelli.
Comment? Fulcanelli n'aurait jamais donné de rendez-vous dans une banlieue spongieuse, lui qui après la dernière guerre mondiale en date invita son disciple Eugène Canseliet à lui rendre visite dans une hacienda sévillanne? Je vous l'accorde, mais n'oublions pas que ce récit est une oeuvre de fiction, et que de surcroît Hardellet y fait dans le surréalisme onirique.
Ceci dit, vous connaissez comme moi le lien fort qui existe entre surréel - ou fantastique - et alchimie, lien dont je compte bien continuer à vous entretenir, et si vous consultez la nouvelle que Claude Seignolle a tirée du voyage de Canseliet que je viens de mentionner dans son recueil Invitation au château de l'étrange, vous verrez que ce Fulcanelli là, après tout, n'est pas moins improbable que d'autres.
D'autant qu'en ce moment des Fulcanelli il y en a plus qu'il n'en faut, alchimistes ou pas. On est ainsi balloté entre l'auteur d'un "faux" Finis Gloriae Mundi, un blogger politique qui s'est sans vergogne aucune autoproclamé Fulcanelli...
A tout prendre, je préfère encore celui d'Hardellet, au moins on sait d'emblée que son personnage est imaginaire.
Encore qu'il a avec le vrai Fulcanelli des ressemblances notoires: "Cette après-midi, fait-il dire à son héros, Fulcanelli m'avait affirmé être près d'obtenir le rubis d'éternité, cette pierre qui sous nos yeux rassemble le passé, le présent et l'avenir en un cercle unique; la possédait-il maintenant dans son creuset et était-ce elle qui agissait à mon insu sur la matière?"
Je pense qu'André Hardellet (1911-1974) vient en fait par cette phrase de nous livrer la genèse même de son petit livre.
N'oublions pas en effet que Lady Long Solo est paru en 1971 (chez Pauvert, bien sûr) et que Pauvert venait précisément, en 1964 et 1965, de rééditer les "vrais" Fulcanelli, et qu'il avait de même commencé de publier l'oeuvre de Canseliet (Alchimie, 1964, Le Livre Muet, 1967).
Et puis cette traversée des apparences, "les portes de la perception" comme eût dit Aldous Huxley ayant été ouvertes, l'alchimiste qui a réussi ne fait-il pas partie de ces somnambules, pour reprendre cette fois l'expression d'Arthur Koestler, capables d'appréhender simultanément ou presque plusieurs niveaux de réalité?
C'est la qualité même que Fulcanelli prête aux Rose-Croix, et après son odyssée hispanique déjà évoquée ci-dessus Eugène Canseliet lui-même s'est dit convaincu de la possibilité de la superposition, de la coexistence d'univers parallèles.
Quant à André, ou à son double, il rencontre au cours de sa singulière pérégrination parisienne, quelques rares mais très curieux personnages, dont comme par hasard Gérard de Nerval, dont l'Aurelia a manifestement pu aussi l'inspirer.
Et Gérard Labrunie l'entraîne dans une bien étrange promenade en Lutèce profonde, dont comme il se doit certains hauts lieux du Paris alchimique, chers à un Bernard Roger, sont comme les étapes obligées. Citons la fontaine Saint-Michel, sculptée rappelons le par une épouse d'Eliphas Levi, la Tour Saint-Jacques...
Seulement voilà, le Paris que notre promeneur découvre après sa rencontre avec Fulcanelli est un Paris aux pavés envahis par les herbes folles, ce Paris dépeuplé ou presque est un Paris hors du temps, un Paris où passé, présent et avenir se croisent et se mêlent...
Mais je ne veux pas vous priver du plaisir de découvrir cette merveilleuse déambulation parisienne, ce voyage au coeur d'un Paris magique, aussi je vous conseille pour en savoir un peu plus d'acheter cet ouvrage certes parfois inégal, du moins quand vous aurez la chance de le trouver, et en attendant, faites si vous voulez comme moi pour le découvrir:
http://ingirum.blogspirit.com/hardellet_andre/
Le découvrir ou le redécouvrir, car il peut-être temps d'en finir avec l'approximation tapageuse d'un Hardellet chantre de l'érotisme banal voir de la pornographie la plus vulgaire. C'est vrai que l'auteur de Lourdes, lentes (1969) a été condamné pour outrage aux bonnes moeurs un an avant sa mort.
Mais n'oublions pas non plus que dès 1958 un André Breton lui disait à propos de son roman Le seuil du jardin: "Vous abordez là en conquérant les seules terres lointaines qui m'intéressent, et la reconnaissance que vous y poussez offre un nouveau ressort à tout ce que je connais comme raisons de vivre."
http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Hardellet
Et rappelons-nous tout de même que c'est un poème d'André Hardellet qui a donné naissance à la splendide rengaine entonnée par Guy Béart, Patachou et bien d'autres, le fameux Bal chez temporel (1957) qui après tout aurait bien pu fournir le titre de Lady Long Solo:
http://www.paroles.net/chansons/11287.htm
http://www.partitions101.net/modules.php?name=Toune&toune=bal_chez_temporel&refered
http://lyricsplayground.com/alpha/songs/b/balcheztemporel.shtml
Terminons maintenant cette brève incursion dans l'intemporel avec Julien Champagne. Pour illustrer son Lady Long Solo, André Hardellet s'est vu adjoindre le talentueux dessinateur Serge Bajan, dont comme vous avez vu le trait inspiré et elliptique à la fois ajoute bien à mon avis au mystère ou au moins à la fantaisie de l'oeuvre.
Au point qu'on n'imagine pas cette oeuvrette sans ses dessins, comme personnellement je n'imagine pas les Fulcanelli sans Champagne. Et pourtant, me direz-vous...
Il y a certes une différence peut-être, Bajan a travaillé semble-t-il à partir du texte d'Hardellet, mais sans instructions spéciales de ce dernier. Mais il y a aussi un point commun cependant, comme Champagne, comme d'autres artistes aussi, en partie sans doute pour les besoins de cette cause, Serge a quasiment laissé ses personnages dans la pénombre, il nous a délivré un message essentiellement monumental.
Ceci dit, et pour nous quitter sur une note plus légère, sachez que quand le promeneur solitaire d'Hardellet se réveille, car il se réveille en définitive, il trouve sur son lit un bouquet d'au-delà que lui offre la dame de ses pensées, un bouquet composé de fleurs dont la couleur est chère à tous les alchimistes, et particulièrement à Fulcanelli et Champagne: Des violettes.
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