Ayant eu le bonheur d'assister le 1er octobre à la "conférence" marseillaise de Jean Artero sur le mystère Fulcanelli, j'ai pu aussi, en cette ville éternelle où la mer se mêle au soleil, et où vers 1915 Eugène Canseliet rencontra Fulcanelli et Julien Champagne, arpenter cette belle crypte de l'abbaye de Saint Victor que nous avons déjà évoqué plusieurs fois sur ce blog et dont la célèbre vierge noire fut dessinée par "Hubert":
http://www.archerjulienchampagne.com/article-2181595.html
http://www.archerjulienchampagne.com/article-2628203.html
Si cette vierge est reproduite dans le premier livre de Fulcanelli (Le Mystère des Cathédrales), c'est dans le second (Les Demeures Philosophales) que le Maître alchimiste dévolu au XXème siècle résume de la façon suivante la légende qui s'y rapporte, légende dite des cierges verts:
"Voici cette naïve et précieuse tradition hermétique:
Une jeune fille de l'antique Massilia, nommée Marthe, simple petite ouvrière, et depuis longtemps orpheline, avait voué à la Vierge noire des Cryptes un culte particulier. Elle lui offrait toutes les fleurs qu'elle allait cueillir sur les coteaux, - thym, sauge, lavande, romarin, - et ne manquait jamais, quelque temps qu'il fît, d'assister à la messe quotidienne.
La veille de la Chandeleur, fête de la Purification, Marthe fut éveillée, au milieu de la nuit, par une voix secrète qui l'invitait à se rendre au cloître pour y entendre l'office matinal. Craignant d'avoir dormi plus qu'à l'ordinaire, elle se vêtit en hâte, sortit, et comme la neige, étendant son manteau sur le sol, réfléchissait une certaine clarté, crut l'aube prochaine.
Elle atteignit vite le seuil du monastère, dont la porte se trouvait ouverte. Là, rencontrant un clerc, elle le pria de bien vouloir dire une messe en son nom; mais, dépourvue d'argent, elle fit glisser de son doigt un modeste anneau d'or, - sa seule fortune, - et le plaça, en guise d'offrande, sous un chandelier d'autel.
Aussitôt la messe commencée, quelle ne fut pas la surprise de la jeune fille en voyant la cire blanche des cierges devenir verte, d'un vert céleste, inconnu, vert diaphane et plus éclatant que les plus belles émeraudes ou les plus rares malachites! Elle n'en pouvait croire ni détacher ses yeux...
Quand l'Ite missa est vint enfin l'arracher à l'extase du prodige, quand elle retrouva au dehors le sens des réalités familières, elle s'aperçut que la nuit n'était point achevée: la première heure du jour sonnait seulement au beffroi de Saint-Victor.
Ne sachant que penser de l'aventure, elle regagna sa demeure, mais revint de bon matin à l'abbaye; il y avait déjà, dans le saint lieu, un grand concours de peuple. Anxieuse et troublée, elle s'informa; on lui apprit qu'aucune messe n'avait été dite depuis la veille.
Marthe, au risque de passer pour visionnaire, raconta alors par le menu le miracle auquel elle venait d'assister quelques heures plus tôt et les fidèles, en foule, la suivirent jusqu'à la grotte. L'orpheline avait dit vrai; la bague se trouvait encore au même endroit, sous le chandelier, et les cierges brillaient toujours sur l'autel, de leur incomparable éclat vert."
Et Fulcanelli de se référer explicitement à propos de ce charmant conte ésotérique à "la petite pièce versifiée intitulée La Légende des Cierges verts, par Hippolyte Matabon. Marseille, J.Cayer, 1889."
De s'y référer, certes, mais sans le citer...Artero l'ayant lue en entier pendant son laius, je m'autorise à vous en infliger à mon tour les dernières strophes:
"Pour Marthe ainsi, -jour mémorable! -
La Vierge avait, dans sa bonté,
Fait luire le signe admirable,
Symbole d'immortalité!
Depuis lors, quand la Crypte sainte
Solennise la Chandeleur,
On voit brûler dans cette enceinte
Des cierges de verte couleur.
Et Marseille emporte, fidèle,
L'un de ces cierges merveilleux,
Bénits dans l'antique Chapelle,
Palladium de nos aïeux!"
Une anonyme Notice sur les cryptes de Saint Victor, publiée en 1864 et que Fulcanelli a par conséquent pu consulter sans en faire état, qualifie d'"immémorial" l'usage de ne distribuer et brûler dans la chapelle que des bougies vertes, pendant l'octave de la chandeleur.
On y trouve d'ailleurs une belle gravure de Notre Dame de confession, vulgairement appelée Vierge noire de Saint Victor.
L'érudit et pieux auteur de cet opuscule particulièrement documenté y fournit de plus une curieuse variante de la "légende des bougies vertes", qu'il tire d' une livraison de 1849 du périodique Le Spectateur du Midi, non sans ajouter à son propos:
"Nous la reproduisons d'autant plus volontiers que nous avons entendu nous même bien des fois raconter à nos grands parents cette vieille histoire qui faisait le charme de nos jeune années."
J'en trouve le début tout simplement spectaculaire:
"En ce temps là donc vivait une bonne jeune fille nommée Marie, bien dévote à la benoite Vierge."
Quant à la fin, et bien la voici:
"Mais Dieu voulut couronner Marie de la couronne de gloire et peu de temps après elle alla recevoir dans les cieux la récompense de sa constante piété.
Et depuis lors, pendant l'octave de la Chandeleur, on ne brûle dans ce sanctuaire que des bougies vertes et chaque fidèle emporte chez soi le cierge béni de la même couleur; car chacun est persuadé que c'est un préservatif contre bien des dangers, et Dieu qui voulut récompenser Marie de sa piété se plaît à protéger ceux qui conservent avec foi ce cierge béni."
L'article est signé des initiales A.C.
Dans sa riche plaquette sur La chandeleur à Saint Victor (Paroisse Saint Victor, Marseille, 1994, quatrième édition en 1998), le Père Jean-Pierre Ellul ne semble pas connaître la Notice citée plus haut, mais se réfère pour sa part au livre du prêtre marseillais François Marchetti, Explications des usages et Coutumes des Marseillais (1680).
Cet ouvrage réédité en 1980 par Jeanne Laffitte, à Marseille comme il se doit, lui permet d'attester de l'existence dès le XVIIème siècle de la coutume qui nous occupe en ce dimanche:
"Jugez quel était le zèle de nos ancêtres, qui nous ont appris par leur exemple à révéler le jour de cette fête par la splendeur de la lumière et par la mystérieuse couleur des cierges qu'on y distribue, la merveille d'une divine Maternité, avec le privilège d'une parfaite virginité."
Au cours de sa causerie marseillaise sur Fulcanelli, Artero a insisté sur le tout et le rien où gît ce dernier, bref sur Omne et Nemo, en mentionant certain alchimiste de sa connaissance.
Et bien figurez vous qu'un certain Captain Nemo vient de nous gratifier d'une nouvelle version italienne du classique "livre secret " d'Artephius, où il est forcément question de Fulcanelli, d'Eugène Canseliet et donc je suppose et j'espère de Julien Champagne:
http://www.lulu.com/browse/preview.php?fCID=4255348
Mais on ne quitte pas Marseille...Ou alors on la quitte sans la quitter vraiment. En voulez-vous une preuve d'évidence?
Dans sa belle brochure sur Saint-Victor, Ellul termine son incitation au pélerinage par un florilège bien senti sur la Vierge Marie.
Je ne résiste pas à la tentation de vous proposer ces lignes inspirées de Joseph Delteil, bien faites pour plaire à son admiratrice d'un temps Maryse Choisy, qui à mon sens figurent à juste titre parmi les poèmes finaux, non sans relever avec toute l'humilité et toute l'indulgence qui conviennent le fait qu'ici on a vraisemblablement confondu ou en tout cas voulu rapprocher Marseille et...Marceille:
"Pour moi ce qui compte ce sont les puissances du coeur. Quand j'étais très jeune, à côté de mon village de Pieusse (Aude), il y avait une vieille chapelle qui s'appelle Notre-Dame de Marseille.
Là, dans une niche, était une Vierge noire taillée dans un vieux bois et toute enguirlandée de richesse. Cette Vierge a la réputation de sourire à ceux et à toutes celles qui s'approchent d'elle avec le coeur pur. Eh bien! moi, j'ai l'impression qu'elle m'a toujours souri."
Dans le numéro 26 de la revue Liber Mirabilis (2002-2003) Myriam Philibert revient elle aussi sur la signification symbolique, hermétique et alchimique de la verdeur des cierges de "Marseille la mystérieuse":
"Il faut se rappeler qu'il s'agit de naissance, sur le plan végétal donc de printemps. En matière d'alchimie, deux interprétations sont possibles: les trois couleurs de l'OEuvre, le noir qui devient vert, le blanc et le rouge. Mais on peut aussi envisager les trois principes: soufre (rouge ou jaune), mercure (blanc), sel (vert)."
Enfin, à propos de fenou ou de feu nouveau, je vous propose, entre mistral et tramontane, d'aller faire une jolie ballade dans les jardins bloggeurs de Denise, et ce n'est certes pas de ma part une quelconque galéjade:
http://roukyben.over-blog.com/article-20523790.html
http://roukyben.over-blog.com/article-20613168.html
http://roukyben.over-blog.com/article-20539029.html
"Opere finito sit laus et gloria Christo."
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