Pour fêter comme il se doit dignement et ludiquement la Saint Amour, que diriez vous d'un petit vert de Champagne?
Parfumé au lotus, exceptionnellement, un peu d'exotisme ne saurait nuire en été. En fait la fleur de lotus que je voudrais vous présenter n'est autre que la femme peintre et écrivain Lotus de Païni.
Mais si, elle a quelque chose à voir avec Julien Champagne. Et même pas mal à voir. Au départ pourtant l'information dont nous disposons semble ténue:
D'après Pierre Geyraud entre autres, le groupe occultiste du Grand ou Très Haut Lunaire, auquel Champagne s'était acoquiné, s'inspirait entre autres de l'oeuvre de Fulcanelli et de celle de...Lotus de Païni.
Voici me semble-t-il une raison déjà suffisante pour découvrir cette dame, qui de surcroît est comme "Hubert" et comme il se doit une artiste méconnue. De là à penser qu'elle et lui à l'inverse se soient connus, il n'y a qu'un pas que je serais presque tenté d'allègrement franchir.
Ceci dit, je n'ai aucune indication précise pour l'instant de l'appartenance de Lotus au Grand Lunaire. Mais alors, avant et après notamment, c'est une toute autre histoire.
Née italienne dans la région de Ferrare, nous apprend son futur biographe Marc Le Gouard, qui lui a déjà consacré un important article en 2002 dans la revue Politica Hermetica, de Païni s'appelle en fait Elvezia Gazzotti.
Sa mère étant française, elle passe son adolescence sur la Côte d'Azur, avec sa soeur...Fiametta, et y suit des cours de peinture. En 1888 ou 1889, elle envoie à un Salon parisien un premier tableau qui est aussitôt remarqué, et qui inaugure sa carrière de peintre. Elle sera aussi sculpteur.
Ce tableau, qui a fait le 18 avril 2007 l'objet d'une vente par Sotheby's à New York, est celui de Théodora, impératrice byzantine. Reproduit ci-dessus, il est certainement hors de prix et qui plus est...sans prix. Je pense qu'il est emblématique et du profond féminisme de Lotus et de son mysticisme bien particulier, et peut-être de son attrait pour Puvis de Chavanne.
Elle se marie vers 1890 au baron italien Nicolas Païni, qui riche rentier cela va sans dire possède une résidence à Nice, et dont elle divorcera après quelques années.
A partir de 1897 notre baronne habite Paris et y expose sous sa nouvelle signature de "Lotus". Là non plus, il n'y a pas de hasard, puisqu'elle est dès ce moment sous l'influence de la théosophe Helena Petrovna Blavatsky.
En 1899 elle présente ainsi au Salon de la société nationale des beaux arts La vie, grand tableau qu'elle présente comme le premier d'une série inspirée par une pensée philosophique...
En 1900 elle se remarie d'ailleurs à Londres avec un médecin, Paul Pératé, devenu par la suite Péralté, après avoir avec lui rejoint la Société Théosophique. Nous voici donc bien tout près de Julien Champagne, dont nous avons évoqué les liens avec la ST (Champagne au lotus bleu, Champagne au lotus rouge).
Sur le cliché ci-dessus, nous la voyons peignant la même année dans le parc de la résidence normande d'une de ses grandes amies.
Avec son nouvel époux, Lotus entreprend les traditionnels pélerinages initiatiques de l'Inde (1904) et de l'Egypte (1910). Elle en revient passionnée d'égyptologie et son mari et elle nouent alors de fortes relations avec le musée Guimet.
Dès 1908, elle a commencé à écrire et certains de ses articles sont clairement ésotériques, comme cette année là justement "la tradition mystique iranienne"; elle rattache en particulier à ce courant de pensée le culte de Mithra, mais aussi de nombreuses sectes de gouliards, dont elle suit la filiation jusqu'à la révolution de 1789. Tout cela fleure bon son Fulcanelli, son Dujols et son Grasset d'Orcet.
En 1910, elle quitte le mouvement théosophique, que comme d'autres elle trouve trop orientalisant, pour suivre dans sa scission de 1913 l'anthroposophe allemand Rudolph Steiner. Elle le rejoint bientôt dans son Goethanum où nous la voyons ci-dessus jouer de la truelle pour son édification initiale, vraisemblablement à l'époque du premier conflit mondial.
En 1914, Edouard Schuré, qui fut une des premières lectures ésotériques du jeune Canseliet, est ébloui lui aussi par Steiner.
C'est grâce à lui que Lotus Péralté peut publier à ce moment son premier ouvrage significatif, L'ésotérisme de Parsifal, cet ésotérisme wagnérien auquel plus tard le même Canseliet consacrera un écrit.
Pour elle, comme pour Dujols, Canseliet, Fulcanelli et d'autres, "le poème roman aussi bien que le fabliau de Parisfal sont la traduction exotérique de la légende de l'ésotérisme chrétien au moyen âge."
Notons également en 1926, année de parution du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli, l'article de Lotus sur Le jeu de la balle d'or au Mexique, qui paraît tout simplement dans le Voile d'Isis, revue de la Bibliothèque Chacornac que nous retrouvons donc encore une fois.
Au passage, si vous lisez ou relisez Fulcanelli, vous y trouverez confirmation du fait qu'il est un des rares auteurs alchimiques à évoquer par instants la civilisation de l'Amérique pré-colombienne. Pour Païni, le jeu dont il s'agit est d'origine atlante, ce qui a dû faire plaisir à Paul Le Cour.
C'est alors le temps pour Païni de la publication de ses livres majeurs, édités comme ceux de Fulcanelli à faible tirage: Les trois totémisations (1924), La magie et le mystère de la femme (1928), et ce livre au titre si alchimique de Pierre Volonté, paru en 1932, année de la mort de Champagne. Pour les deux derniers, Lotus choisit de s'appeler L.E. Païni (L pour Lotus, et E pour Elvezia).
Si nous suivons Le Gouard, un des traits marquants de son oeuvre est alors un primitivisme philosophique proche en un sens de Paul Gauguin ou du Douanier Rousseau en peinture: " Pour Lotus, le primitif qui communie naturellement avec la cosmicité est un mystique, il possède de façon innée le vrai sens religieux." Voici bien entendu pour moi une bonne raison d'attribuer à notre fleur la couleur verte.
Pour elle, de fait, "le penseur est vert."
Nous sommes ici exactement à mon avis dans "l'âge d'or" fulcanellien, que pour sa part elle appelle magnifiquement les grands lointains, lointains qui sont peut-être nos grands prochains.
"C'était le temps du rêve, l'alcheringa, dit la tradition australienne. L'homme vivait dans l'au-dedans des choses, dans les forces spirituelles, dans les lois de son être; il vivait la synthèse, le plein de son âme de feu astral. C'était une immersion dans la cosmicité, l'Age d'Or."
Son dernier livre paru, en 1934, se dénommera significativement Le mysticisme intégral: Saurons nous opérer cette métamorphose qui transformera notre physique et, écrit Le Gouard, nous permettra de nous élancer vers de nouveaux buts, au point de nous même devenir des systèmes solaires?
C'est alors dans les années 1930 que Lotus de Païni compte parmi ses amis bien des personnes qui gravitent dans les milieux surréalistes, comme ces Penrose (!) qui furent proches de Paul Eluard, lui-même comme nous l'avons vu intime d'un modèle de Julien Champagne.
Païni décédera à un âge très avancé, en 1953. Jusqu'au bout, elle aura, - fort modestement, il est vrai, - foi en ses idées, notamment celles exposées dans sa trilogie: "Ces trois études, qui contiennent la somme du totémisme magique, ne sont que de simples efforts pour pousser les battants de la grande porte qui bée sur les très larges et lointaines perspectives de la surprenante science d'autrefois."
Seule La magie et le mystère de la femme a été rééditée pour l'instant, toujours en tirage limité et donc à l'usage du happy few stendhalien.
Cette réédition est intervenue en 2003, grâce aux éditions Arma Artis, bien connues des amateurs d'ésotérisme en général et en particulier d'alchimie.
De ces armes de l'art, il convenait me semble-t-il que votre humble serviteur se fasse ce jour un des plus humbles hérauts.
Elles figurent si je puis dire d'entrée de jeu dans le traité que l'on ne peut qualifier que d'à la fois splendide et héliaque de l'alchimiste Salomon Trismosin, supposé mentor de Paracelse: le Splendor Solis.
Parmi les proches de Julien Champagne que Lotus influença, et qui peut être l'influencèrent également, figure selon Emmanuel Dufour-Kowalski un certain René Schwaller de Lubicz, égyptologue et alchimiste de son état...et lui aussi inspirateur du Grand Lunaire.
D'après lui, l'approche de Païni semble s'être tissée comme en contrepoint de la doctrine lubiczienne. Pour elle, en effet, "nous emplissons d'âme , d'intelligence et de sensibilité l'Univers qui (à son tour) participe de la conscience qui s'éveille."
A l'inverse, si on retient la thèse de Le Gouard, la découverte de Lotus par André Breton, qui selon Geneviève Dubois notamment connut Fulcanelli, a été plus tardive. Il la situe après la mort de Païni, en 1954.
André, comme Champagne grand ami de Canseliet, sur qui il nous faudra peut-être revenir, et qui apparement sans l'avoir jamais rencontrée rendra à Lotus en 1957 dans son Art magique cet hommage vibrant: "Païni rend grâces à la seule magie d'avoir successivement dotée la créature humaine du Sentir, du Penser et du Vouloir."
Il lui consacrera en 1962 un collage de son crû, reproduit en couverture par Arma Artis, où apparaît le lotus, l'oeil de la vision et le chiffre trois, semi masqué, pour les trois totémisations de Païni, de la trilogie fulcanellienne ou des trois oeuvres de l'alchimie.
Pour Alexandre Rouhier, relation de Julien Champagne et chantre du Grand Lunaire, qu'elle cite dans son Magie et mystère de la femme, Lotus est "la plus grande ésotériste de notre époque."
Comme quoiqu'il en soit cette époque, d'après Païni soi même, n'est ni la seule ni la plus importante, j'ai choisi de terminer cet ex-voto par la reproduction d'un artiste français anonyme de la fin du XVIIème siècle ou du début du suivant.
Harmonie de la glace blanche et du feu pourpre, sympathie du fou et de sa sophia, bref, voici un hymne à l'amour qui je l'espère vous complaira, et que j'ai de mon propre chef, car il ne porte aucun titre, intitulé, allez savoir pourquoi: Rose, c'est la vie.
"Il me paraît essentiel de concevoir l'univers des choses dans leur parfaite solidarité, et sentir l'âme couler à travers toutes ces choses vivantes." (Lotus de Païni)
Encore? Encore: "L'univers est bien de l'âme qui se réalise." Nous nous trouvons ici à mon sens sur un plan de réalité bien supérieur à celui évoqué par une George Sand, écrivant pourtant de façon similaire:
"La nature est éternellement belle et généreuse. Elle possède le secret du bonheur et nul n'a su le ravir."
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