D'un château l'autre, eût introduit Louis-Ferdinand Céline: Après Léré, Dampierre-sur-Boutonne, où nous voici devant la dernière série des caissons de la galerie haute qui aient été dessinés et publiés par Julien Champagne.
Septième série, donc, après la sixième qui a fait l'objet de mon article Champagne au colloque Canseliet du 29 septembre 2006, et série qui constitue la planche XXXII de l'édition originale des Demeures Philosophales de Fulcanelli.
Dans l'édition Pauvert, la même planche également dessinée porte le numéro XXXIV. Détaillons-en les emblèmes.
"Dans ce bas-relief, commente Fulcanelli, Cupidon, l'arc d'une main et de l'autre une flèche, chevauche la Chimère sur un amas de nuages constellés.
Le phylactère qui souligne ce sujet indique qu'Eros est ici le maître éternel: .AETERNVS.HIC.DOMINVS."
Personnification mythique de la concorde et de l'amour, Eros est, par excellence, le seigneur, le maître éternel de l'Oeuvre.
"Lui seul peut réaliser l'accord entre des ennemis qu'une haine implacable pousse sans cesse à s'entre-dévorer."
C'est donc le médiateur qu'incarne ici Cupidon. Quant à la Chimère, la mythologie nous apprend qu'elle portait trois têtes différentes: une de lion, l'autre de chèvre et la troisième de dragon.
"En analysant le symbole dans l'ordre des apparitions successives, la première place appartient au dragon...notre matière initiale, le sujet même de l'art."
Enfant du sujet des sages, le lion vient ensuite mais témoigne dès sa naissance d'une inconcevable aversion pour sa mère.
"De ce contact étroit et prolongé du soufre-lion et du dissolvant dragon se forme un être nouveau, représenté par la chèvre, ou si l'on préfère la Chimère elle-même."
Cette chèvre n'est autre que le mercure philosophique, issu de l'alliance du soufre et du mercure principes, lequel possède toutes les facultés requises pour devenir le fameux bélier à toison d'or.
"Nous retrouvons ici un motif déjà rencontré ailleurs et surtout en Bretagne. C'est une hermine, figurée à l'intérieur d'un petit enclos que limite une claie circulaire, symbole particulier de la reine Anne."
Son épigraphe, précise Fulcanelli, renferme le même sens et emploie presque les mêmes mots que la fameuse devise de l'Ordre hermétique de l'Hermine: Malo mori quam foedari, je préfère la mort à une souillure.
"L'inscription gravée sur le phylactère de notre caisson porte: .MORI.POTIVS.QUAM.FEDARI. Plutôt la mort que la souillure. Belle et noble maxime d'Anne de Bretagne."
Mais dans l'ésotérisme de l'Art sacré, poursuit l'Adepte, l'hermine, image du mercure philosophique, signale la netteté absolue d'un produit sublimé, que l'adjonction du soufre, ou feu métallique, contribue à rendre plus éclatant encore.
"L'hermine pure et blanche apparaît ainsi comme un emblème expressif du mercure commun uni au soufre-poisson dans la substance du mercure philosophique."
Quant à la clôture, elle nous révèle quels signes extérieurs constituent le meilleur critérium d'obtention du produit secret, ou mercure animé, à l'issue d'une préparation canonique.
"Le caractère propre du mercure est précisément d'affecter à sa surface un réseau de lignes entre-croisées, tressées à la manière des paniers d'osier, d'autant plus apparentes que la matière est plus pure."
Cette purification progressive, simple mais fastidieuse, est cependant le préalable indispensable de la réussite.
"Quoiqu'on fasse ou qu'on veuille tenter, jamais l'esprit ne demeurera stable dans un corps immonde ou insuffisamment purifié."
La devise, toute spirituelle, qui accompagne notre hermine, le proclame: Plutôt la mort que la souillure.
"Quatre cornes d'où s'échappent des flammes, avec la devise: .FRVSTRA. Vainement."
C'est pour Fulcanelli la traduction lapidaire des quatre feux de la coction. Mais il met aussitôt en garde les débutants pressés:
"Nous devons prévenir les artistes qui tenteront de réaliser l'OEuvre en soumettant l'amalgame philosophique aux températures croissantes des quatre régimes du feu, qu'ils seront infailliblement victimes de leur ignorance et frustrés du résultat escompté."
Et de conseiller de considérer avant toute chose le rapport que les Sages ont établi entre le feu et le soufre.
"Les quatre degrés de l'un doivent infailliblement corrrespondre aux quatre degrés de l'autre."
Enfin, il renvoie à la minutieuse description de la coction par Philalèthe, dont il fait remarquer qu'au lieu d'être directe, comme on le croit généralement, elle comporte plusieurs phases ou régimes, simples réitérations d'une seule et même technique.
"A notre avis, ces paroles représentent ce que l'on a dit de plus sincère sur la pratique secrète des quatre degrés du feu."
"Près de l'arbre aux fruits d'or, un dragon robuste et trapu exerce sa vigilance à l'entrée du jardin des Hespérides.
Le phylactère particulier à ce sujet porte, gravée, cette inscription: .AB.INSOMNI.NON.CVSTODITA.DRACONE. En dehors du dragon qui veille, les choses ne sont pas gardées."
Fulcanelli indique alors que le dragon est choisi comme représentant hiéroglyphique de la matière minérale brute avec laquelle on doit commencer l'OEuvre. C'est dire, enchaîne-t-il, le soin qu'il faut apporter à l'étude des signes extérieurs et des qualités capables d'en permettre l'identification.
"Chargé de surveiller l'enclos merveilleux où les philosophes vont quérir leurs trésors, le dragon passe pour ne jamais sommeiller. Ses yeux ardents demeurent constamment ouverts.
Il ne connaît ni repos ni lassitude et ne saurait vaincre l'insomnie qui le caractérise et lui assure sa véritable raison d'être."
A cette vitalité perpétuelle et latente du dragon et donc du sujet s'ajoute leur caractère uniformément bien peu engageant:
"La cristallisation spéciale de celui-ci se trouve clairement indiquée par l'épiderme écailleux de celui-là."
Semblables sont les couleurs, car la matière est noire, ponctuée de rouge ou de jaune, comme le dragon qui en est l'image. Quant à la qualité volatile du minéral élu, nous la voyons traduite par les ailes membraneuses dont le monstre est pourvu.
"Parce qu'il vomit, dit-on, quand on l'attaque, du feu et de la fumée, et que son corps finit en queue de serpent, les poètes l'ont fait naître de Typhon et d'Echidna...Le dragon tient du premier sa nature chaude, ardente, sulfureuse, tandis qu'il doit à sa mère sa complexion froide et humide, avec la forme caractéristique des ophidiens."
A l'exclusion des autres minéraux et des autres métaux, il conserve les principes nécessaires à l'élaboration du Grand OEuvre.
"Il en est le dépositaire, le conservateur vigilant, et notre Adepte parle en sage lorsqu'il enseigne qu'en dehors de cet être solitaire les choses philosophales ne sont pas gardées, puisque nous les chercherions vainement ailleurs."
"Un cygne, majestueusement posé sur l'eau calme d'un étang, a le col traversé d'une flèche. Et c'est sa plainte ultime que nous traduit l'épigraphe de ce petit sujet agréablement exécuté:
.PROPRIIS.PEREO.PENNIS. Je meurs par mes propres plumes."
L'oiseau, en effet, fournit l'une des matières de l'arme qui servira à le tuer.
"Ce bel oiseau, ajoute Fulcanelli, dont les ailes sont emblématiques de la volatilité, et la blancheur neigeuse l'expression de la pureté, possède les deux qualités essentielles du mercure initial ou de notre eau dissolvante."
Il doit être vaincu par le soufre, - issu de sa substance et que lui-même a engendré, - afin d'obtenir après sa mort ce mercure philosophique, en partie fixe et en partie volatil, que la maturation subséquente élèvera au degré de perfection du grand Elixir.
"Tous les auteurs enseignent qu'il faut tuer le vif si l'on désire ressusciter le mort...
Le bon artiste n'hésitera donc pas à sacrifier l'oiseau d'Hermès, et à provoquer la mutation de ses propriétés mercurielles en qualités sulfureuses, puisque toute transformation reste soumise à la décomposition préalable et ne peut se réaliser sans elle."
"Deux cornes d'abondance s'entrecroisent sur le caducée de Mercure. Elles ont pour épigraphe cette maxime latine:
.VIRTVTI.FORTVNA.COMES. La fortune accompagne la vertu."
C'est, explique Fulcanelli, de la vertu secrète du mercure philosophique, figuré par l'image du caducée, que l'auteur de ces symboles entend parler.
"Les cornes d'abondance traduisent l'ensemble des richesses matérielles que la possession du mercure assure aux bons artistes.
Par leur croisement en X, elles indiquent la qualité spirituelle de cette noble et rare substance, dont l'énergie brille comme un feu pur, au centre du corps exactement sublimé."
Sur le caisson de Dampierre, insiste-t-il, les deux serpents montrent des têtes canines, l'une de chien, l'autre de chienne, version imagée des deux principes contraires, actif et passif, fixe et volatil, le chien de Corascène et la chienne d'Arménie d'Artéphius, mis au contact du médiateur figuré par la baguette magique, qui est le feu secret.
"Ce sont ces mêmes serpents qu'Hercule enfant étouffe dans son berceau, les seuls agents dont l'assemblage, le combat et la mort, réalisés par l'entremise du feu philosophique, donnent naissance au mercure hermétique vivant et animé."
Comme ce double mercure possède double volatilité, les ailes du pétase, opposées à celles des talonnières sur le caducée, servent à exprimer ces deux qualités réunies.
Voici maintenant les tables de la loi hermétique, sur lesquelles on lit une phrase française, singulièrement présentée: .EN.RIEN.GIST.TOVT.
"Devise primordiale, avance Fulcanelli, que se plaisent à répéter les philosophes anciens, et par laquelle ils entendent signifier l'absence de valeur, la vulgarité, l'extrême abondance de la matière basique d'où ils tirent tout ce qui leur est nécessaire."
Aux yeux du sage, le fer, ce paria de l'industrie humaine, est incomparablement plus noble que l'or et l'or plus méprisable que le plomb...ou le cuivre. Ce souverain n'a de riche et précieux que le vêtement, qui dissimule un corps inerte.
"Dépouillé de son manteau, il révèle alors la bassesse de ses origines et nous apparaît comme une simple résine métallique, dense, fixe et fusible, triple qualité qui le rend impropre à la réalisation de notre dessein."
C'est donc non pas à l'or mais à la pierre brute et vile qu'il convient de s'adresser, sans répugnance pour son aspect misérable, son odeur infecte, sa coloration noire, ses haillons sordides.
"Ce sont précisément ces caractères peu séduisants qui permettent de la reconnaître, et l'ont fait regarder de tout temps comme une substance primitive, issue du chaos originel, et que Dieu, lors de la Création et de l'organisation de l'univers, aurait réservée pour ses serviteurs et ses élus."
Tirée du Néant, elle en porte l'empreinte et en subit le nom: Rien.
"Mais les philosophes ont découvert qu'en sa nature élémentaire et désordonnée, faite de ténèbres et de lumière, de mauvais et de bon rassemblés dans la pire confusion, ce Rien contenait Tout ce qu'ils pouvaient désirer."
"La lettre majuscule H surmontée d'une couronne n'offre plus aujourd'hui qu'une inscription en partie martelée, mais qui se lisait autrefois:
.IN.TE.OMNIS.DOMINATA.RECVMBIT. En toi repose toute puissance."
La lettre H, commente Fulcanelli, ou du moins le caractère graphique qui lui est apparenté, a été choisi par les philosophes pour désigner l'esprit, âme universelle des choses, ou ce principe actif et tout-puissant que l'on reconnaît être, dans la nature, en perpétuel mouvement, en agissante vibration.
"C'est l'indication du premier échelon de l'échelle des sages, scala philosophorum, de la connaissance acquise de l'agent hermétique, promoteur mystérieux des transformations de la nature minérale, et celle du secret retrouvé de la Parole perdue."
Cet agent était jadis désigné, entre les Adeptes, sous l'épithète d'aimant ou d'attractif.
"Le corps chargé de cet aimant s'appelait lui-même Magnésie, et c'est lui, ce corps, qui servait d'intermédiaire entre le ciel et la terre, se nourrissant des influences astrales, ou dynamisme céleste, qu'il transmettait à la substance passive, en les attirant à la manière d'un aimant véritable."
Quant à la couronne qui complète ce signe important, c'est la couronne royale des élus.
"Notre couronne est précisément le domicile d'élection de l'esprit. C'est une misérable substance, ainsi que nous l'avons dit, à peine matérialisée, mais qui le renferme en abondance."
C'est là ce que les philosophes antiques ont fixé dans leur corona radiata, décorée de rayons en saillie, laquelle n'était attribuée qu'aux dieux ou aux héros déifiés.
"Ainsi expliquerons-nous que cette matière, véhicule de la lumière minérale, se révèle, grâce à la signature rayonnante de l'esprit, comme la terre promise réservée aux élus de la Sapience."
"C'est un symbole ancien et souvent exploité que nous rencontrons en ce lieu: le dauphin entortillé sur le bras d'une ancre marine.
L'épigraphe latine qui lui sert d'enseigne en donne la raison: .SIC.TRISTIS.AVRA.RESEDIT. Ainsi s'apaise cette terrible tempête."
Sous le nom de dauphin, d'échénéide ou de rémora, ce poisson, rappelle Fulcanelli, caractérise le principe humide et froid de l'OEuvre, qui est le mercure, lequel se coagule peu à peu au contact et par l'effet du soufre, agent de dessication et de fixité.
"Ce dernier est ici figuré par l'ancre marine, organe stabilisateur des vaisseaux, auxquels il assure un point d'appui et de résistance à l'effort des flots."
La longue opération qui permet de réaliser l'empâtement progressif et la fixation finale du mercure offre une grande analogie avec les traversées maritimes et les tempêtes qui les accueillent.
"C'est une mer agitée et houleuse que présente en petit l'ébullition constante et régulière du compost hermétique...Le dauphin nage à la surface des flots impétueux, et cette agitation dure jusqu'à ce que le rémora, hôte invisible des eaux profondes, arrête enfin, comme une ancre puissante, le navire allant à la dérive."
Une pellicule couvre toute la superficie, et, s'épaississant, s'affermissant chaque jour, marque le triomphe de la terre sur l'eau, du sec sur l'humide, et l'époque du nouveau Phénix.
"Dans le bouleversement général et le combat des éléments s'acquiert cette paix permanente, l'harmonie résultant du parfait équilibre des principes, symbolisés par le poisson fixé sur l'ancre: sic tristis aura resedit."
ARCHER
En guise d'addendum, notons que la série suivante, dernière et huitième des caissons alchimiques du château de Dampierre-sur-Boutonne ne comporte selon Fulcanelli qu'un seul caisson consacré à la science d'Hermès.
Ce caisson n'est pas reproduit dans les Demeures Philosophales et il ne semble pas qu'il ait été dessiné par Julien Champagne.
"Il représente des roches abruptes dont la silhouette sauvage se dresse au milieu des flots. Ce tableau lapidaire porte pour enseigne: .DONEC.ERVNT.IGNES. Tant que durera le feu."
Allusion, d'après l'Adepte, aux possibilités d'action que l'homme tient du principe igné, âme ou lumière des choses, unique facteur des mutations matérielles.
"Des quatre éléments de la philosophie antique, trois seulement figurent ici: la terre, représentée par les rochers, l'eau par l'onde marine, l'air par le ciel du paysage sculpté. Quant au feu, animateur et modificateur des trois autres, il ne semble exclu du sujet que pour mieux souligner sa prépondérance."
Et Fulcanelli de développer une magnifique méditation sur l'élément feu, que je regrette d'abréger, mais j'en profite pour vous inciter à lire ce véritable morceau de bravoure, digne de figurer dans toute anthologie, fût elle littéraire, scientifique ou hermétique:
"Tant que durera le feu, la vie rayonnera dans l'univers...tant que durera le feu, la matière ne cessera de poursuivre sa pénible ascension vers l'intégrale pureté...Tant que durera le feu, l'homme sera en rapport direct avec Dieu, et la créature connaîtra mieux son Créateur."
Et il martèle finalement:
"Ce que nous devons surtout retenir, comme ayant la priorité dans la science qui nous intéresse, c'est la haute vertu purificatrice que possède le feu.
Principe pur par excellence, manifestation physique de la pureté même, il signale ainsi son origine spirituelle et découvre sa filiation divine."
ARCHER