" A Nice, se retrouvent certains frères d'Elie, dans la demeure du Comte Prozor où sont organisées des réunions à thèmes philosophiques et hermétiques. Nous pouvons voir les Schwaller, les Celli, les Coton-Alvart, etc...
A Paris, ils sont tous les invités de Nathalie Clifford-Barney, la richissime américaine, amie de Milosz, qui reçoit au 20 rue Jacob, dans un petit temple maçonnique "Le Temple de l'amitié" et des soirées se donnent aussi chez les de Lesseps, avenue Montaigne.
C'était un petit monde, toujours les mêmes, qui fréquentait à la fois les sociétés initiatiques et les salons littéraires et scientifiques.
Dans le sein des "Veilleurs" s'épanouissait la "Fraternité d'Elie" composée de 12 "Frères" parmi lesquels : René Schwaller, Milosz, Henri Coton-Alvart, Elmiro Celli, Gaston Revel, Carlos Larronde, René Bruyez, Luis de la Rocha, Louis Alainguillaume, Le Carpentier, etc...
Les Frères d'Elie furent donc liés à Champagne."
De qui, cette citation? Geneviève Dubois, bien sûr:
http://www.eklectic-librairie.com/ArticlesAuteurs/GenevieveDubois.htm
Pourquoi mentionner maintenant cet article extrait, non de son livre Fulcanelli dévoilé, mais de de la revue "Regards", n°2? C'est que je voudrais ce jour vous entretenir de "l'amazone" franco-américaine Natalie Clifford Barney (1876-1972), dont par conséquent voici et le temple et la loge, et des portraits suggestifs.
A mon sens, et je compte bien vous en apporter d'autres justifications que celle de ses liens avec les Veilleurs de René Schwaller, elle n'a pas pu ne pas connaître Julien Champagne.
Mais d'abord, permettez-moi de remercier un de nos lecteurs de m'avoir incité à lire le livre qu'en 1976 Jean Chalon a consacré à Barney: Portrait d'une séductrice (Stock).
C'est de cet ouvrage que sont extraits nombre de clichés reproduits ici, et c'est à sa lecture que j'ai pu m'apercevoir, notamment, que la "Sapho de Washington" puisque c'est ainsi que s'y intitule la photo ci-dessus, a été dès l'enfance une proche des soeurs Shillito, comme elle originaires de l'Ohio - Etat des Etats-Unis qui, comme on le sait, est avant tout celui du petit pull marine d'Isabelle Adjani.
Sacrée piscine! Quoi, vous avez dit Shillito? Bon sang, mais c'est bien sûr, nous revoici en présence de la Mary de mon article Julien Champagne et Mary Shillito du 31 août 2006...
Les deux soeurs Shillito , Mary et...Violette, cher Patrick Rivière, sont en fait des amies d'enfance de Natalie.
C'est d'ailleurs Violette, prématurément décédée en 1901, qui présentera Natalie à l'un de ses amours, la poétesse Pauline Tarn, plus connue sous le nom de René(e) Vivien (1877-1909):
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9e_Vivien
http://www.ieeff.org/vivien.htm
En 1901, Renée publie son premier recueil, Etudes et préludes. Il est pour "N", "pour Elle".
Insatiable conquérante, Clifford Barney va toute sa vie durant collectionner les aventures, essentiellement féminines.
Vers 1909, rapporte Chalon, "Natalie traverse l'Europe pour y traquer jusqu'à Saint-Pétersbourg sa dernière proie, l'artiste Henriette Roggers. Déplacement inutile: la séductrice a été évincée par un séducteur, un colonel russe.
Pour se consoler, pendant le retour, elle lit le Candide de Voltaire." Rappelons-nous, tout de même, que la dite Henriette Roggers passe pour avoir été un modèle de Julien Champagne
(Henriette Roggers et Champagne, 18 août 2006).
C'est à ce moment (1909) qu'elle découvre son "antre" du 20 rue Jacob. Et dès cette (belle) époque, elle est amie d'Anatole France, lui même proche de Fulcanelli et Champagne
(Anatole France et Julien Champagne, 22 février 2006).
Alors que la première guerre mondiale est sur le point d'éclater, "Natalie va souvent déjeuner à Saint-Cloud chez Anatole France."
France dont elle louera "l'incorrigible, charmante et timide politesse."
Et puis, bien sûr, en plein conflit de 1914-1918, voici venir le Veilleur Milosz, qui lit au temple de l'Amitié sa traduction du Faust de Goethe. "Un bombardement ne suffira pas à interrompre cette lecture que l'on poursuivra à la lueur d'une chandelle."
Milosz, qualifié par l'Amazone de "seul mystique réussi que je connaisse", a lui aussi succombé aux envoûtements de la séductrice. Il termine immanquablement ses lettres par une formule magique: "J'embrasse les ailes de mon ange."
Dans un des livres qu'elle a consacré au poète lituanien, O.V. Milosz (L'Age d'Homme, 1996), Alexandra Charbonnier souligne que ce dernier devint vite un habitué des "vendredis" de Natalie.
Elle et lui se verront jusqu'en 1937, et après la mort du "métaphysicien", Clifford Barnier fondera une association pour l'édition de son oeuvre, et la célébration de son souvenir.
Alexandra fait également mention dans son essai d'une liste que Natalie aurait elle même dressé de ses oeuvres, écrites tantôt en français, et tantôt en anglais.
Car l'Amazone a aussi été une artiste, et dirais-je, ...un penseur redoutable. Je retiendrai en tout cas de cette liste, outre Aventures de l'esprit (1929), The city of the flower, oeuvre non datée, donc éternelle.
Il s'agit d'un poème avec enluminures, qui n'existerait qu'à un exemplaire. Cette oeuvre est donc aussi unique.
"Pour apporter quelque chose, dit justement Natalie, il faut venir d'ailleurs."
Mais restons-en à Clifford Barney, telle qu'en elle-même:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Natalie_Clifford_Barney
http://www.natalie-barney.com/
Son portrait "à la cape de fourrure" réalisé en 1897 par sa maman, elle-même artiste peintre, figure désormais au Smithonian Museum of American Art.
Pour Jean Chalon, lui aussi séduit sur le tard, elle s'applique à "mettre en pratique l'un de ses plus chers axiomes - et nietzschéens - : Devenez ce que vous êtes."
Je m'en voudrais de quitter Natalie sans vous citer encore de ses pensées, qui, Champagne ou pas, ne peuvent que nous la faire aimer.
Voici donc, rapporté par Chalon, un extrait de ses Eparpillements (1910), d'où l'alchimie me semble superbement transparaître :
"Toute expression, tout art est une indiscrétion que nous commettons envers nous-mêmes. Et ceci ne provient pas d'une "pauvreté", mais d'un surcroît de richesse, car c'est ainsi que nous faisons vivre les quelques heures de notre vie au-delà d'elles-mêmes.
Et devant nos passés, la discrétion n'est qu'un oubli sans valeur, stérile...Je crois qu'il est pieux d'honorer nos morts de quelques paroles par lesquelles ils peuvent encore se survivre, et de leur donner au lieu d'un néant silencieux et graduel, quelque épitaphe inspirante et courageuse de ce qu'ils furent.
Car il est peut-être coupable de laisser se dissiper sans voix et sans chants ces prodigues qui, de la vie même, ont fait leurs chefs-d'oeuvre.
L'histoire de leurs amours, pieusement recueillies, a embelli le monde; c'est l'aumône que leurs richesses nous font. Elle est également leur seule postérité.
Il y a aussi des indiscrétions de silence. Et ne serait-ce pas la pauvreté sans recours que de laisser mourir ce qui est mort?"
Magnifique! A propos, connaissez vous le sceau de l'Amazone? Il figure une main tenant une flèche, le tout entouré de sa devise: Spes anchora vitae.
Et toujours selon Chalon, une de ses expressions favorites est: "Il faut inventer sa vie." A Jean Chalon, elle dira aussi:
"A bientôt, mon Jean, à toujours."
Dans son tout récent Guide du Paris initiatique (Dualpha, 2006), Richard Raczynski confirme finalement: "Nathalie Barney fréquentait le Paris occulte."
Il attribue à Milosz, ami de longue date, cette transition entre le monde des lettres et celui de l'ésotérisme.
"Celui-ci présenta à Nathalie Barney un groupe issu du "Cercle Apostolique" et de son ordre intérieur "les Veilleurs": la Fraternité d'Elie."
http://www.ruevisconti.com/LaRueMysterieuse/TempleAmitie.html
Et n'oublions pas non plus dans le cercle de ses relations, un certain Coton-Alvart, lui aussi frère d'Elie, qui connut Julien Champagne:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-3552044.html
Enfin, Fulcanelli lui-même, dont Champagne fut l'illustrateur des oeuvres, eut pour dernier domicile connu un appartement jouxtant le Temple de l'amitié de Natalie:
http://www.fulgrosse.com/article-4011092.html
"Les arbres du jardin du Temple de l'amitié sont visibles de toute la partie latérale de l'immeuble 12, rue Jacob."
Peinte ici en 1920 par son double, sa compagne d'artiste Romaine Brooks (1874-1970), et désormais visible au musée Carnavalet, une femme cavalière, une gazelle amazone galope pour l'éternité. Noire cabale en sol majeur!
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