Comment ne pas revenir sur le cas Roussel? Nous l'avons déjà évoqué à quelques reprises, certes: Raymond Roussel et Champagne, 4 février 2006, d'abord, puis de façon plus allusive à propos du mythique "traineau à hélice" conçu et réalisé par Julien, dont Roussel fut admiratif: Champagne et le traineau à hélice, 14 février 2006, Julien Champagne ingénieur de Nicolas II, 19 mars 2006.
Mais tout de même...Voici un monstre sacré du surréalisme et du nouveau roman, qui a connu à la fois Julien Champagne, Eugène Canseliet, Fulcanelli...
Sans prétendre démêler l'écheveau de sa vie et de son oeuvre en un seul article, ni même en plusieurs, je vous propose de donner à nouveau quelques coups de projecteur sur l'homme et ses écrits, et pour ce faire je vais commencer par suivre le judicieux conseil que m'a donné il y a quelques mois un des lecteurs de ce blog, qui -sans doute justement - a choisi de s'appeler Canterel.
Comme je l'avais souligné en son temps, Canterel nous a fait en effet remarquer qu'on pouvait établir un parallèle entre Julien Champagne dessinateur de Fulcanelli d'une part, et de l'autre Henri-Achille Zo, illustrateur des Nouvelles Impressions d'Afrique de Raymond Roussel.
Rien n'est plus vrai à mon sens, si on prend en compte deux faits que je considère comme incontournables:
Dans les deux cas, les instructions données par les auteurs à leurs illustrateurs ont été, à la mode de l'époque sans doute, particulièrement rigoureuses.
Ce qui me conduit à une déduction "en second" qui me paraît logique. C'est sans doute parce que dans les deux cas, on ne peut comprendre les ouvrages dont il s'agit, et Dieu sait s'ils sont...hermétiques du moins au premier abord, en se référant seulement au texte, et donc en faisant totalement abstraction de la partie de l'oeuvre qui est dessinée.
Comment ne pas rappeler, à ce propos, qu'une tradition constante en alchimie en particulier est que si parfois la lettre ment, l'image est constamment réputée plus sincère?
Les alexandrins et les images des Nouvelles Impressions d'Afrique, publiées en 1932 et qui constituent la dernière oeuvre anthume de Roussel, ont coûté à leur auteur sept ans de travail.
Comment les décrypter?
Le classique procédé rousselien révêlé dans son livre posthume: Comment j'ai écrit certains de mes livres (1935), qui d'ailleurs est dans son esprit très similaire à la cabale chère à Grasset d'Orcet et Fulcanelli, est-il la clé unique de son oeuvre?
http://livres.fluctuat.net/raymond-roussel.html
http://www.almaleh.com/roussel.htm
Sans doute pas, d'ailleurs Raymond a bien écrit, en toute sincérité, de ce procédé, qu'il "n'est pas le même pour tous" ses ouvrages. Comme l'a fort bien vu Ginette Adamson dans son étude précisément intitulée Le procédé de Raymond Roussel (Rodopi, Amsterdam, 1984), il est clair au surplus qu'il ne s'applique pas (ou pas totalement) aux Nouvelles Impressions.
Mais alors, comment déchiffrer ce dernier livre? Dans un petit bouquin qui m'a fourni le titre de cet article, puisqu'il est dénommé avec un humour qui eût plu et à Fulcanelli et à Roussel, entre autres, L'écheveau du cas Roussel, jeu de mots que je ne vous ferai pas l'affront d'élucider, Jacques Caumont nous livre une piste plaisante, qui justement nous renvoie aux images de Zo (musée Nicéphore Niepce, Chalon-sur-Saone, 2000):
http://www.museeniepce.com/expositions/expositions_right.php?code_expo=caumont&lang=fr
http://www.museeniepce.com/expositions/expositions_right.php?code_expo=caumont&lang=us
Comme le souligne Philippe Collin dans sa présentation de l'ouvrage, Caumont pense si j'ai bien compris que "l'or naît de desseins" et donc suggère de chercher la solution de l'énigme des Nouvelles "d'à fric" dans une superposition d'images les unes sur les autres.
Pour reprendre l'expression du même Philippe, je préfère cependant de mon côté m'en tenir pour l'instant au classique "appariement texte/image."
Voulez-vous un exemple, je n'ose dire une illustration de ce qui précède? Jacques a eu la bonne idée, outre de reproduire ce portrait de Zo, d'écrire les indications que Roussel a donné à ce dernier pour ses 59 dessins.
Voici ce qui est ainsi publié de l'avant-dernier croquis: "Un mur tout uni où les mots Mane Thecel Phares sont écrits comme en lettres de flammes. Rien d'autre, ni personnage, ni banquet. Lettres de l'époque."
Caumont dans son essai choisit de relier ce dessin au premier d'entre eux, celui de Saint Louis prisonnier à Damiette. Pas faux, peut-être, mais pourquoi ne pas penser aussi au dernier poème, celui des jardins de Rosette, que je retranscris suivant la belle réédition de Jean-Jacques Pauvert (1963, 1979):
"Feu qui, si grand que soit tel nom, tel pseudonyme,
Chez nul n'est reconnu de façon unanime;
L'homme n'a pas ainsi qu'un pantin au bazar
Son prix collé sur lui; sur son mur Balthazar
Vit, en traits défiant le grattoir et la gomme,
Trois mots de feu briller...puis s'éteindre; chez l'homme,
Le feu de l'oeil s'éteint à l'âge ou dent par dent
Et cheveu par cheveu, sans choc, sans accident,
Par l'action du temps, sa tête se déleste;
Se fait aux profondeurs du grand vide céleste
Où la lumière court sans jamais le franchir;
L'aphone, à son ardoise, ennuyeuse à blanchir;
Il ne sait aux gifleurs que tendre l'autre joue,
Soit de ses fins talents s'il triche lorsqu'il joue;
Sur celui qui s'éloigne on fait courir maints bruits;
D'opaque frondaison, de rayons et de fruits."
Oui je sais, je vous ai fait grâce des parenthèses...Mais qui est ce Mister Zo?
Premier piège à éviter, H.A. Zo n'est pas...son père, et premier maître en peinture:
http://www.artcult.com/zo.html
De la difficulté de se faire un prénom:
http://www.lepoint.fr/voyages/speciaux/document.html?did=150077
http://www.artcult.com/zo.html
Vous avez noté comme moi que ce Zo...là illustra le Ramuntcho de Pierre Loti, un des auteurs favoris de Raymond Roussel.
Well, Henri-Achille Zo (1873-1933) est un presque contemporain de Raymond Roussel et de Julien Champagne:
http://www.artnet.com/artist/677563/henri-achille-zo.html
Pami les autres admirations de Roussel, et outre Jules Verne, figure d'ailleurs un certain Edmond Rostand, mais passons là-dessus pour cette fois.
"Notre" Zo fut donc célèbre en son temps pour ses scènes espagnoles et basques, avec en particulier une prédilection pour les thèmes sévillans (comme d'ailleurs son papa) et aussi pour ses représentations tauromachiques.
De lui, je vous présente aujourd'hui ce tableau, tantôt intitulé La sieste, et tantôt Le patio, au dilettantisme bien rousselien.
D'après Cosy Ray, "Zo et Roussel se connaissaient déjà en 1924". N'oublions pas en effet, que l'illustre et riche Raymond était notamment l'heureux propriétaire d'une villa à Biarritz, plage Miramar.
"Ceci contredit l'information suivant laquelle, avant 1928, Roussel aurait confié à une agence de police privée, Goron, le soin de rechercher le dessinateur apte à exécuter d'après ses instructions les illustrations des Nouvelles Impressions d'Afrique."
Je ne saurais mieux dire, et comme ajouterait Richard Khaitzine, Rouletabille appréciera. Mais puisque nous avons eu l'heur de contempler, grâce à Zo, ce moment de détente d'excellent aloi, il est peut être temps de s'interroger également sur la légende (vraie ou fausse) de l'homosexualité de Roussel.
Est-ce vraiment pour faire taire les rumeurs à ce sujet que l'écrivain prit pour compagne Charlotte Dufrène, qui ne le quittera plus jusqu'à sa mort en 1933 (insistons-y, malgré tout: Julien Champagne, 1877-1932; Raymond Roussel, 1877-1933)?
Tout de même, Raymond "connaissait" officiellement Marie Charlotte Frédez (1880-1968), puisqu'il semble s'agir du vrai nom de Dufrène, depuis 1910...
De cette femme dont j'ignore si elle fréquenta comme son compagnon Julien Champagne, et qu'aima tant Michel Leiris, voici un portrait touchant, que j'extrais du CD-Rom de Johann Dreue sur Fulcanelli: Chronique d'un mystère annoncé (Archimed, 2000).
Et je terminerai, provisoirement sans doute, par ce dernier cliché, provenant de la même source: Voyez donc ci-dessous, selon Dreue, "le laboratoire de Fulcanelli, boulevard Richard Wallace dans la propriété de Raymond Roussel".
Le laboratoire parisien, ou bien un laboratoire, de Fulcanelli, de Champagne, ou encore...de Roussel?
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