Nous voici sans aucun doute devant une énigme majeure de l'alchimie, qui nous est proposée par cette crédence de l'oratoire ou si l'on veut de la chapelle de l'hotel Lallemant, à Bourges.
La planche XXXV de l'édition originale du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli, dessinée et signée par Julien Champagne, sera plus tard photographiée pour l'édition Pauvert, où elle porte le numéro XLVI.
Voici d'abord ce que dit Fulcanelli de cette pièce très curieuse et singulièrement rare:
"Creusée dans la muraille, auprès de la fenêtre, une petite crédence du XVIe siècle attire le regard autant par la joliesse de sa décoration que par le mystère d'une énigme considérée comme indéchiffrable...
Notre crédence porte cependant...l'empreinte alchimique dont nous n'avons fait, en cet ouvrage, que décrire les particularités.
En effet, sur les piliers engagés qui supportent l'architrave de ce temple en miniature, nous découvrons directement au-dessous des chapiteaux les emblèmes consacrés au mercure philosophal; la mérelle, coquille de saint Jacques ou bénitier, surmontée des ailes et du trident, attribut du dieu marin Neptune.
C'est toujours la même indication du principe aqueux et volatil. Le fronton est constitué par une large coquille décorative servant d'assise à deux dauphins symétriques liés dans l'axe à leur extrémité.
Trois grenades enflammées achèvent l'ornementation de cette crédence symbolique. L'énigme par elle-même comporte deux termes: RERE, RER, qui semblent n'avoir aucun sens et sont, tous deux, répétés trois fois sur le fond concave de la niche.
Et l'Adepte de se livrer alors à un savant travail d'élucidation partielle:
"Nous découvrons déjà, grâce à cette disposition simple, une indication précieuse, celle des trois répétitions d'une seule et même technique voilée sous la mystérieuse expression RERE, RER.
Or, les trois grenades ignées du fronton confirment cette triple action d'un unique procédé, et, comme elles représentent le feu corporifié dans ce sel rouge qu'est le Soufre philosophal, nous comprendrons aisément qu'il faille réitérer trois fois la calcination de ce corps pour réaliser les trois oeuvres philosophiques, selon la doctrine de Geber.
La première opération conduit d'abord au Soufre, ou médecine du premier ordre; la seconde opération, absolument semblable à la première, fournit l'Elixir, ou médecine du second ordre, lequel n'est différent du Soufre qu'en qualité et non pas en nature; enfin, la troisième opération, exécutée comme les deux premières, donne la Pierre philosophale, médecine du troisième ordre, laquelle contient toutes les vertus, qualités et perfections du Soufre et de l'Elixir multipliées en puissance et en étendue..."
Mais, poursuit Fulcanelli, comment déchiffrer l'énigme des mots vides de sens? D'une manière très simple, se répond-t-il à lui-même:
"RE, ablatif latin de res, signifie la chose, envisagée dans sa matière; puisque le mot RERE est l'assemblage de RE, une chose, et RE, une autre chose, nous traduirons deux choses en une, ou bien une double chose, et RERE équivaudra ainsi à RE BIS.
Ouvrez un dictionnaire hermétique, feuilletez n'importe quel ouvrage d'alchimie et vous trouverez que le mot REBIS, fréquemment employé par les Philosophes, caractérise leur compost, ou composé prêt à subir les métamorphoses successives sous l'influence du feu.
Résumons. RE, une matière sèche, or philosophique; RE, une matière humide, mercure philosophique; RERE ou REBIS, une matière double, à la fois humide et sèche, amalgame d'or et de mercure philosophiques, combinaison qui a reçu de la nature et de l'art une double propriété occulte exactement équilibrée.
Nous voudrions être aussi clair dans l'explication du second terme RER...RER sert à cuire, à unir radicalement et indissolublement, à provoquer les transformations du compost RERE...
Qu'est-ce donc que RER? - Nous avons vu que RE signifie une chose, une matière; R, qui est la moitié de RE, signifiera une moitié de chose, de matière.
RER équivaut donc à une matière augmentée de la moitié d'une autre ou de la sienne propre...Prenons un exemple, et supposons que la matière représentée par RE soit le réalgar ou sulfure naturel d'arsenic. R, moitié de RE, pourra donc être le soufre du réalgar ou son arsenic, lesquels sont semblables, ou différents, selon qu'on envisage le soufre et l'arsenic séparément ou combinés dans le réalgar.
De telle sorte que RER sera obtenu par le réalgar augmenté du soufre, qui est considéré comme formant la moitié du réalgar, ou de l'arsenic, envisagé comme l'autre moitié dans le même sulfure rouge.
Quelques conseils encore; cherchez tout d'abord RER, c'est-à-dire le vaisseau. RERE vous sera ensuite facilement connaissable."
Fulcanelli nous confirme ici, mine de rien, ce qu'il a déjà expliqué quelques lignes plus haut, à savoir que ces trois lettres RER "contiennent un secret d'une importance capitale, qui se rapporte au vase de l'OEuvre." Sur ce thème du vase, du vaisseau ou de l'oeuf philosophique, on pourra se reporter utilement à mon post Julien Champagne au matras du 25 mai 2006.
"Par le terme d'oeuf, précise Fulcanelli dans le même passage que celui de ce post précédent, les Sages entendent leur composé, disposé dans son vase propre, et prêt à subir les transformations que le feu y provoquera.
C'est, dans ce sens, positivement un oeuf, puisque son enveloppe, ou sa coque, renferme le rebis philosophal."
Dans son édition du Mutus Liber (Pauvert, 1967), Eugène Canseliet reviendra longuement sur l'énigme de la crédence. Après avoir affirmé que le vaisseau secret n'est pas le contenant, mais le contenu même, il précise:
"Dans l'oeuf des philosophes, comme dans celui de la poule plus expressément, la coquille ou contenant, est formée en même temps que les diverses substances ou contenu, qui sont destinées au développement de l'individu nouveau."
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/article-julien-champagne-au-rebis-117239089.html
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