Parmi les personnages fréquentés par Julien Champagne au sein du groupe "magiste" du Grand Lunaire, dit aussi parfois Très Haut Lunaire, figurent, outre Jules Boucher, déjà portraituré, Gaston Sauvage et Alexandre Rouhier.
C'est de ce dernier que je vous dire quelques mots aujourd'hui, Rouhier dont grâce à Fulgrosse je peux enfin vous présenter une photo des plus rares, qui est extraite du livre opportunément intitulé Call no man Master de Joyce Collin-Smith (Gateway Books, 1988 et Authors OnLine, 2004).
Le docteur Alexandre Rouhier (1875-1968) s'est d'abord fait connaître comme pharmacologue. En 1926, il donna à l'Institut métapsychique international une conférence sur Les plantes divinatoires, reprise la même année dans la Revue métapsychique, et qui sera publiée en 1927 aux éditions Gaston Doin.
La même année, il fait paraître aux mêmes éditions son oeuvre la plus connue, consacrée au Peyotl, "la plante qui fait les yeux émerveillés", qui est en fait le plus célèbre des hallucinogènes, et sert de base à la mescaline. Ce livre est alors préfacé par le professeur Emmanuel Perrot.
Les travaux de Rouhier sur les drogues suscitent aussitôt un intérêt significatif outre-Rhin, et il est rapidement traduit en allemand (Die Hellsehen hervorrufenden Pflanzen, Max Altman, Leipzig, 1927).
Ils seront réédités après la deuxième guerre mondiale, en France comme en Allemagne (Le peyotl, Trédaniel, 1975 et 1989, Die Hellsehen hervorrufenden Pflanzen, Express Edition, Berlin, 1986, et VWB, Berlin, 1996).
Mais Alexandre Rouhier est bien entendu ausi un ésotériste à la personnalité complexe. En 1935 il préfacera le Traité élémentaire de géomancie d'Eugène Caslant (Revue métapsychique, 1936, réédition Trédaniel, 1990).
Enfin, sous le pseudonyme de Petrus Talemarianus, il fera paraître en 1949, aux éditions Véga, De l'architecture naturelle ou rapport sur l'établissement, d'après les principes du Tantrisme, du Taoïsme, du Pythagorisme & de la Cabale, d'une "Règle d'Or" servant à la réalisation des lois de l'harmonie universelle & contribuant à la réalisation du grand oeuvre. Cette somme est, il convient sans doute de le relever, illustrée par le peintre Marcel Nicaud.
On verra encore apparaître le docteur Rouhier, curieusement dénommé Antoine pour l'occasion, justement comme directeur commercial des éditions Véga, créées en 1929.
Selon Marie-France James, dans son livre Esotérisme et christianisme autour de René Guénon (NEL, 1981), il rompt avec ce dernier philosophe alors au Caire, en Egypte, renonçant à publier ses oeuvres, vers 1930, alors même qu'il devient propriétaire de la librairie Véga. Nous aurons probablement à revenir ultérieurement sur l'entourage de cette librairie à l'époque de Julien Champagne.
Et Julien Champagne, précisément, et le Grand Lunaire, dans tout çà, me direz-vous?
J'ouvre donc avec vous l'opuscule de Pierre Geyraud sur Les sociétés secrètes de Paris (Emile Paul frères, 1938) et nous lisons au chapitre consacré au T.H.L. (Très Haut Lunaire):
"Le T.H.L. est une société luciférienne...Le Pape noir est, comme les autres dirigeants, alchimiste...Il y a là un éditeur de la rive gauche."
Je pense que cet éditeur de la rive gauche, et de la main gauche, est A. Rouhier.
"Un artiste-dessinateur."
Et voici Julien Champagne.
L'enseignement suprême, ajoute Pierre Geyraud, est notamment basé sur les livres de Fulcanelli. Dans un ouvrage postérieur, L'occultisme à Paris (Emile Paul, 1953), Pierre Geyraud au chapitre Alchimie attribuera même à Julien Champagne, qu'il confondait avec Fulcanelli, le titre de co-fondateur du Grand Lunaire:
"Il contribua à constituer, dans les parages de l'église Saint-Merri, une société luciférienne très fermée, dont il dessina lui-même...le Baphomet."
"Quelque temps après, en 1932, Champagne devait mourir d'une mort affreuse et lente, rue Rochechouart, pour avoir trahi la secte."
Alexandre Rouhier est mentionné par Robert Amadou comme sataniste, "dans l'ombre de Fulcanelli", in Le feu du soleil, Pauvert, 1978. Amadou le gratifie encore du pseudonyme de R.P. Sabazius.
Sabazius aurait, toujours d'après Robert Amadou, ibidem, écrit un ouvrage intitulé Envoûtement et contre-envoûtement (Editions Occulta, ca 1937, fac-similé Editions J.B.G.,1977).
Amadou dit vrai, et hélas ce petit livre laisse à la lecture une impression pour le moins troublante:
Rouhier est également un des personnages d'un curieux récit romancé de Teddy Legrand, Les sept têtes du dragon vert, paru en 1933 et que les éditions M.C.O.R. ont eu la bonne idée de refaire paraître, à tirage limité, en 2007.
Il y apparaît comme d'autres ésotéristes, tels que Sédir. Alexandre y est ce "pharmacien connu" qui a consacré un ouvrage fort bien fait au peyotl, objet depuis 1918, selon Legrand, de recherches scientifiques dans les laboratoires européens.
Dans ses Alchimiques mémoires de la revue La tourbe des philosophes (N°15-16, 1981), Eugène Canseliet précisera que comme Gaston Sauvage et Jules Boucher, Alexandre Rouhier (doctor Sabazius) travaillait au laboratoire Poulenc.
Ariane Touze, dans son catalogue 6 de la librairie ésotérique Le Songe de Polia (Librairie Dévotions de Fonteneilles, par Souppes sur Loing), affirme au printemps 2011 que "la thèse du docteur Rouhier sur le peyotl et son voyage au Nouveau Mexique furent financés par les laboratoires Poulenc.
Ce fut dans leurs locaux qu'il rencontra Gaston Sauvage et d'autres personnages que l'on retrouvera dans l'énigmatique société du "Grand Lunaire" souvent évoquée dans l'énigme Fulcanelli."
Mais laissons à Eugène Canseliet le mot de la fin de ce post. Dans Le feu du soleil, op.cit., il affirme:
"Alexandre Rouhier, Gaston Sauvage et Jules Boucher...entraînèrent, plus ou moins, ce pauvre Julien Champagne, dans une assez fâcheuse collaboration qui lui aliéna, sans espoir, la protection puissante de Fulcanelli."
Et à titre anecdotique mentionnons les dires de Gilette Ziegler dans son Histoire secrète de Paris (Stock,
1967). Pour elle le Très Haut Lunaire aurait été fondé en 1896 par un Américain, Aleister Crosby.
Le premier "pape" du T.H.L. aurait été un autre Américain, Albert Pike. Elle paraît considérer que cette
société était encore active au moment où elle écrivit son livre.
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/article-champagne-au-grand-lunaire-83879101.html
ARCHER