Julien Champagne a notamment été l'illustrateur des livres de Fulcanelli; notamment, nous l'avons vu et le verrons, mais pas uniquement.
Eugène Canseliet en fut le rédacteur, puis le "propagateur", j'allais écrire, entre guillemets bien sûr, le propagandiste; je crois même qu'il est le véritable ou du moins un véritable apôtre de la science hermétique.
Une question que je voudrais poser à ce stade est la suivante: Y a-t-il eu un Julien Champagne d'Eugène Canseliet? Globalement, ma réponse sera actuellement négative, Canseliet, peintre et dessinateur, a été son propre Julien Champagne, et a choisi de n'illustrer qu'occasionnellement, de ses propres esquisses, ses livres et articles de revues, ce que d'ailleurs on peut regretter d'un point de vue esthétique: confortée par ses aquarelles, son oeuvre n'en est que plus belle, par exemple quand il traite du traité Donum Dei de Georges Aurach .
Si on excepte donc certaines collaborations pratiquement ponctuelles, comme celle déjà mentionnée de sa fille Isabelle, un seul nom me paraît s'imposer dans la durée, celui, qu'on pourra trouver inattendu, de Jorge Camacho.
Comment peut-on considérer que ce peintre cubain surréaliste est un continuateur, presque un héritier de Julien Champagne, du moins dans certaines de ses productions, alors qu'il est né à La Havane deux ans après la mort d'"Hubert"? C'est, cher CosyRay, ce que nous allons maintenant découvrir ensemble.
Ouvrons donc pour commencer l'essai d'Eugène Canseliet sur L'hermétisme dans la vie de Swift et dans ses voyages, tiré à part des Cahiers du Sud publié dans la collection Hermès de Fata Morgana en 1983 ( édition "définitive" en 1998).
Les illustrations sont de Jorge Camacho, dont celle-ci:
On peut y vérifier à nouveau la justesse de l'adage alchimique qui veut que très souvent les images sont plus sincères, plus parlantes que les textes des écrits.
Il ne m'appartient pas de développer le point de science évoqué ci-dessus, mais comment ne pas voir qu'il est tout sauf accessoire?
La réminiscence d'une des devises de Jacques Coeur est patente, et bien sûr la lecture cabalistique "fer terre" sera plus qu'autorisée, comme en témoignent les symboles astrologiques et chymiques qui encerclent les mots fatidiques et les unissent.
Il me paraît évident que la main de Jorge Camacho a été comme tenue, qu'il a sans doute réalisé mais peut-être pas conçu cette vignette. Alors, cette oeuvre serait, sinon alimentaire, du moins de circonstance? Et bien, rien n'est moins sûr.
Que savons nous au juste de cet artiste? Autodidacte, Jorge Camacho s'établit en 1959 à Paris où il se lie à André Breton et aux Surréalistes. "Celui qui piège", ainsi que le désignait Breton en 1964, restera fidèle à ses premiers engagements.
En 1965, il participera à la XIème exposition internationale du surréalisme, l'Ecart Absolu, à la Galerie l'Oeil. Il deviendra un ami proche d'Henri Michaux et Joyce Mansour...Jorge Camacho vit et travaille entre Paris et l'Andalousie depuis 1975.
Il a puisé dans tous les domaines de la culture pour nourrir sa vision d'artiste: l'art précolombien, le jazz, la musique andalouse, la poésie française et haïtienne (qu'il traduit), la science alchimique et la cabale, la photograhie, l'ornithologie...L'oeuvre de Jorge Camacho naît d'un désir de peindre tout ce que le réel a d'énigmatique et de paradoxal.
Son espace pictural aborde des mondes torturés, où l'ésotérisme le plus sophistiqué côtoie un chamanisme surpenant. Au delà de ces marques, les tableaux de Jorge Camacho expriment un univers poétique, sous l'éclairage raffiné d'une palette...fauve.
En 2003, il a exposé à la Maison parisienne de l'Amérique latine et Somody a fait paraître à cette occasion un livre collectif, comprenant des textes de l'écrivain cubain Zoé Valdès, et intitulé Jorge Camacho, Le miroir aux mirages.
En 2004, Anne Tronche lui a consacré un ouvrage bilingue, français et espagnol, aux éditions Palantines: Jorge Camacho, vue imprenable...
Vue imprenable en tout cas sur l'alchimie, dont on voit bien qu'elle a pu être au moins facilitée par la rencontre avec André Breton, admirateur de Fulcanelli et ami d'Eugène Canseliet.
A partir de 1968, Jorge Camacho s'intéresse à l'étude de la science alchimique, et choisit comme devise "Silentium Post Clamores", le titre même d'un ouvrage de Michel Maier (1617), où l'auteur présente les origines du rosicrucianisme comme notamment égyptiennes...
A ce moment, de façon significative, Jorge Camacho cesse de participer à toute activité collective. Il dirigera...chez Fata Morgana une collection sur l'alchimie, et inaugurera en 1978 le cycle de ses propres publications alchimiques par son Héraldique alchimique nouvelle, qu'il co-signera avec Alain Gruger (Le Soleil Noir), et sur lequel nous allons revenir.
Il ne s'agit pas là d'une passade, d'un feu de paille, au contraire, la démarche est volontaire, durable. Voyez plutôt cette liste de ses ouvrages "sur l'alchimie", extraite de sa bibliographie de 2003:
Le Hibou philosophe, avec une introduction de Bernard Roger, La Pierre d'Alun, Bruxelles, 1991
Basile Valentin, De la nature des métaux, avec une introduction de Bernard Roger, la Pierre d'Alun, Bruxelles, 1997
Typus Mundi, commenté par Bernard Roger et Jorge Camacho, Tenuel, Huelva, 1997
Arcanes de la philosophie naturelle, avec une introduction de Bernard Roger, Fondation Pol François Lambert, 1998
La cathédrale de Séville et son bestiaire hermétique, avec Bernard Roger, Pol François Lambert, Huelva, 2001
Mentionnons aussi, à la même rubrique, deux catalogues d'exposition:
Le Ton Haut, à la Galerie Mathias Fels, avec une préface de Bernard Roger, 1969
La Danse de la mort, à la Galerie de Seine, avec une préface de René Alleau, 1976
J'en profite, sans hélas pouvoir m'appesantir sur ce point, pour regretter la discrétion et le silence qui entourent les activités alchimiques de Bernard Roger et de René Alleau, tous deux proches des surréalistes.
Mais revenons, si vous le voulez bien, à l'Héraldique alchimique nouvelle de Jorge Camacho et Alain Gruger.
Elle est tout de même préfacée - et postfacée - par un Eugène Canseliet, qui de surcroît signe solennellement de ces lettres de Frère Chevalier d'Héliopolis, F.C.H., ce qui est inhabituel.
Canseliet naturellement insiste d'emblée sur l'importance en alchimie de la science du blason.
"Le blason ne parle que pour ceux qui sont capables d'en saisir le langage indistinct."
Pour arriver au degré altissime de pureté requis par l'alchimie, ajoute-t-il, "la voie est longue et difficile que Jorge et son ami inséparable, à la suite de notre cher André Breton, parcourent inlassablement, dans leur quête de l'or du temps; ce moteur perpétuel du Surréalisme.
Leurs découvertes sont nombreuses que, dans l'amour et la charité, ils ont transformées en emblèmes et en devises, sur écus et banderoles."
De ces emblèmes, j'ai choisi de reproduire le quarante et unième, qui est intitulée le cheval de bois et est accompagnée d'un vers magnifique d'Arthur Rimbaud, poète que de surcroît Jorge Camacho a traduit par ailleurs:
"Elle est retrouvée! Quoi? l'éternité. C'est la mer mêlée Au soleil."
Devons nous entendre que la distinction entre voie sèche et humide et en partie sophistique?
Quant au cheval de bois, il nous renvoie bien sûr aux jeux des enfants, dont le cerf-volant est une autre illustration.
Jeux d'enfants qui fournirent le titre d'un classique traité d'alchimie, reproduit par Jean Laplace dans deux de ses livraisons du Curieux de Nature.
Travail de femmes et jeux d'enfants, c'est une des définitions possibles du labeur alchimique. Travail de femme, car il ne s'agit bien souvent "que" de laver et cuire.
Dans son épilogue à l'Héralidique alchimique nouvelle, Canseliet rappelle ainsi:
"L'alchimie se montre tout spécialement l'art de la cuisson."
Sur le jeu des enfants, Eugène Canseliet reviendra à plusieurs reprises, notamment dans son Alchimie expliquée (Pauvert).
Au chapitre de L'oeuf philosophal, il estime ainsi, à propos d'une représentation de la Vierge, qui reçoit sur son sein le fluide spirituel du cosmos, qu'elle renvoie tout aussitôt sur le petit Jésus étendu à ses pieds, dans son douillet moïse:
"Ce sont, précisément, ces symboliques manipulations, de la Vierge Marie et du bambin précoce, qui concourent à la confection du vase, dans le Grand OEuvre, et qui justifient que l'ensemble des Philosophes les eussent comparées au jeu des enfants et au travail des femmes."
Cette Vierge est-elle l'Isis noire ou déjà la Dame blanche à laquelle Jorge Camacho a consacré vers 1998 le tableau ci-dessus? Voyez:
http://www.habanaelegante.com/Fall-Winter2002/Cafe.html
...et devinez!
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/article-cuba-libre-de-champagne-119957431.html
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