Jean Dubuis (1919-2010) vient de nous quitter et il me paraît juste pour commencer de rendre hommage à l'un de nos aînés, dont l'oeuvre spagyrique connaît une renommée internationale.
Fondateur du groupe d'études Les Philosophes de la Nature (LPN), Dubuis a concentré l'essentiel de son enseignement dans une série de cours qu'il y a dispensé.
S'il conserve en France certains fidèles, comme Patrice Malèze, Jean a su conquérir également une certaine audience de portée mondiale, notamment aux Etats-Unis et en Australie.
Relativement proche d'un Albert Riedel (Frater Albertus) ou d'un Hans Nintzel, il n'est pas étranger, en particulier, à l'association anglo-saxonne des Philosophers of Nature (PON).
http://www.levity.com/alchemy/dubuis_inter.html
http://portaelucis.fr/html/dubuis.htm
http://www.triad-publishing.com/jdubuis.html
La spagyrie entretient avec l'alchimie un rapport complexe, et même si le mystère alchimique est loin d'être étranger à la pensée de Jean Dubuis, je suis tenté d'avancer cette conception, que certains trouveront peut-être excessivement simplificatrice, que le spagyriste est d'abord et avant tout un homme de recettes, de procédés.
Partant sa relation au cosmos, la dimension intérieure de sa quête, quand elles existent, se situent en stricte périphérie de ce qui est pour lui l'essentiel, finalement: Son travail au laboratoire.
Or il en est tout autrement pour un alchimiste. C'est donc à certains mystères de détail de l'alchimie ou plus exactement de son histoire récente que je vais maintenant consacrer mon petit pensum mensuel.
En alchimie, le mystère pourtant nous apparaît comme une des plus rares, une des plus simples des évidences.
Cela commence souvent par la fulgurance d'une inspiration poétique...Tenez, pourquoi diable le poète (et peintre) portugais contemporain Nicolau Saiao, né en 1946 a-t-il choisi de dédier son poème du Monde "à l'ingénieur Gaston Sauvage (Fulcanelli)"?
Ce Sauvage là, il ne peut en aucun cas, croyons-nous, être identifié à l'Adepte. Certes, nous l'avons vu apparaître dans certaines galaxies fulcanelliennes, plus ou moins fournies: la galaxie Poulenc, celle du Grand Lunaire, celle enfin de la transmutation de 1922.
Mais il est né pratiquement en même temps qu'Eugène Canseliet, selon toute vraisemblance (1897 et 1899 respectivement). Donc c'est un tout jeune homme qui assiste à l'opération de Sarcelles, exécutée par le disciple Canseliet, en présence de l'illustrateur Julien Champagne.
Et cette expérience est, elle, présidée, dirigée...par Fulcanelli. En définitive, quand on veut bien considérer le parcours pour le moins chaotique de Sauvage, il est permis, dans l'état actuel de nos connaissances, ou si l'on veut du nuage de notre inconnaissance, de se demander ce que Gaston pouvait bien aller faire dans cette galée.
Voici donc un petit mystère, et voilà cependant ce qui ne saurait nous ôter le plaisir d'admirer, d'abord dans le texte, la superbe litanie composée par Nicolau, sur le monde et la vie, litanie d'où l'alchimie transparaît clairement:
http://www.triplov.org/letras/nicolau_saiao/2009/Mundo.htm
A princípio não sabes e pensas que sabes A seguir sabes e pensas que não sabes
No fim nada sabes e é então que tudo sabes. Ainda que nada te fite no rosto
não há grau nem posto ao longo da Estrada que não seja gosto
virado ao desgosto na luz ainda errada. Escada anti-rosto estrada destroçada.
Ou altivo cão luminoso e vivo no espaço votivo desde o céu ao chão.
Campo mais que ardido estepe ou sertão.
Barca sem oceano até ao minuto da hora subida no mar aparecida
fecundo e impoluto.
Máscara que navega até onde chega o olho vidrado do dragão solene
sereno e perene infrene, postado no corpo e no fruto.
Verão anti-escorbuto. Soubeste a princípio no meio saberás
no fim buscarás a figura ardente a estrela maldita o animal silente
a janela oclusa a mão que se agita desperta e medita
na porta doente que usa e abusa do peito deserto
sangrento e aberto.
Na boca fechada por prata, ouro e espada.
Le distingué fulcanelliste Walter Grosse, lui aussi lusitanien, a bien voulu nous proposer une traduction en français de ces vers parus en 1992 dans le recueil Objets d'inquiétude de Saiao:
Au début tu ne sais pas, et tu penses que tu sais Ensuite, tu sais et tu penses que tu ne sais pas
A la fin tu ne sais rien et c’est alors que tu sais tout. Même si rien ne se fixe sur ton visage
Il n’y a pas de degré ou d’étage tout au long de la Route Qui ne soit pas un goût tourné au chagrin
Dans la lumière qui est encore une déroute. Echelle anti-visage, échelle détruite.
Ou chien distingué, lumineux et vif Dans l’espace sacré, du ciel à la terre.
Champ plus que brûlé, steppe ou forêt. Barque sans océan, jusqu’à la minute
De l’heure de la montée dans la mer trouvée Féconde et non polluée.
Masque qui navigue jusqu’où arrive L’œil de verre du dragon solennel
Serein et pérenne, sans freins Posté dans le corps et dans le fruit. Eté anti-scorbut.
Tu as su au début, à la fin tu sauras A la fin tu chercheras
La figure ardente, l’étoile maudite
L’animal silencieux, la fenêtre occluse La main qui s’agite, s’éveille et médite
Sur la porte malade, qui use et abuse De la poitrine déserte, sanglante et ouverte.
Sur la bouche fermée par de l’argent, de l’or Et une épée.
Et maintenant, à quelques jours de la Pentecôte, tentons d'approcher un mystère un peu plus grand.
Le rêve, nous le savons bien depuis Le Songe Verd, peut nous ouvrir certaines des portes du mystère alchimique, d'où la raison n'est pas absente, certes, mais ne saurait être en aucun cas prépondérante.
Alors disons qu'il y a quelques nuits j'ai rêvé du premier livre de Fulcanelli, précisément intitulé Le Mystère des Cathédrales.
Pourquoi donc, me demandai-je, l'Adepte considérait-il, nous dit-on, ce maître ouvrage, qui n'en déplaise à L'As de la Belle nous en apprend beaucoup sur l'Alchimie, comme moins abouti que son second opus des Demeures Philosophales?
Voyons, me dis-je, ôtons-en le développement final sur Hendaye, pièce rapportée de sa troisième oeuvre à ce jour non parue, le Finis Gloriae Mundi. De toute façon, il s'agit là d'une croix, près d'une église, et cette dernière n'a rien d'une basilique.
Mais alors, que penser du chapitre consacré à Bourges? Fulcanelli y passe prestement devant la cathédrale berruyère, et s'attarde avec brio sur l'hotel Lallemant et celui de Jacques Coeur. On s'éloigne déjà du Mystère, et on s'approche des Demeures.
Finalement les seules cathédrales étudiées en détail par Fulcanelli à l'appui de sa démonstration sont celles de Paris et d'Amiens. On eût aimé une, voire des confirmations..., d'autant que de ce point de vue les Demeures pourront paraître extrêmement riches.
Quelle cathédrale eût pu faire l'objet d'un chapitre entier, qui semble avoir été finalement réservé? S'il n'y en a une seule, je parierais volontiers pour Chartres, le plus ancien des pélerinages, nous dit Fulcanelli lui-même.
Et si son disciple Eugène Canseliet ne s'est guère étendu sur l'édifice beauceron, d'après l'Index de son oeuvre qu'a établi Jean Laplace, constatons cependant que le Maître y fait régulièrement allusion, aussi bien dans les Demeures que dans le Mystère.
Soulignant par exemple l'étroite parenté des emblêmes de Paris et d'Amiens, il n'hésite pas à étendre à Chartres cette ô combien significative proximité symbolique. Et à bon droit, puisque pour en être convaincus il nous suffit de nous rendre au plus fulcanellien des musées, celui des monuments français du palais de Chaillot.
Certain bas-relief hermétique chartrain dont on peut y admirer le moulage ressemble à s'y méprendre à son homologue parisien.
Donc la redondance ne semble pas constituer un argument valable à sa retenue. Curieusement, Chartres aurait été au centre de la relation entre Julien Champagne, alchimiste, peintre et dessinateur qui fut au service de Fulcanelli, et l'ésotériste René Schwaller.
Tous deux auraient cherché ensemble à retrouver le secret des bleux et des rouges des vitraux de Chartres, ces merveilles médiévales dont il nous est rapporté qu'elles auraient pu être teintes dans la masse par les artistes verriers, éventuellement en ayant recours à l'utilisation de la pierre philosophale.
Etrangement encore, Champagne aurait été sur ce point en possession d'un manuscrit...Existerait-il quelque part tout un chapitre non publié du Mystère des Cathédrales?
Mon espoir est dans l'agneau de Dieu.
Lambspring, suivi par Jean d'Espagnet
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