Julien Champagne (1877-1932) a-t-il personnellement connu Albert Poisson (1868-1893 ou -1894), dont il fut un lecteur assidu (notre article Albert Poisson et Julien Champagne)? Nous ne pouvons en être sûrs pour l'instant, même si tous deux ont eu leurs habitudes à la Librairie du Merveilleux de Chamuel (notre article Champagne et l'archange), puis de Dujols et Thomas, ces derniers étant pour le coup des proches de Champagne.
Dès 1892 en tout cas cette librairie nous a gratifié d'une Bibliographie de la science occulte, dont l'Atelier Empreinte de Rennes-leChâteau a eu la bonne idée, voici quelques mois, de proposer à la vente une réimpression récente.
http://www.atelier-empreinte.com/
Notre ami Bernardo me signale d'ailleurs ces jours-ci que cette bibliographie est disponible à la BNF (Gallica):
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65536s.r=Papus.langFR
Comme on pourra le vérifier aisément, la rubrique alchimie de ce catalogue est essentiellement occupée par un "auteur maison", Poisson en personne.
On y retrouvera sans grande surprise ses principaux ouvrages alors à la vente, mais aussi des "brochures" encore non parues, et présentées comme étant sous presse (merci à Hélias de sa contribution aux illustrations).
La Lettre sur la magie de Roger Bacon, traduite et commentée par Albert, semble effectivement avoir été éditée en 1893 sous le titre de Lettre sur les prodiges de la nature et de l'art et sur la nullité de la magie.
Mais quid de cette autre brochure, cette fois de Poisson lui-même, intitulée tout bonnement Paris alchimique?
Reconnaissons en toute simplicité que nous ignorions jusqu'alors si cet essai, lointain prédécesseur de celui de Bernard Roger (Paris et l'alchimie, Alta, 1981), était ou non paru.
En fait il nous semblait que non, mais un autre de nos compagnons, Simplet en l'occurence, vient tout juste de le découvrir dans le numéro de février 1893 de la revue L'Initiation:
http://crptrad.aecoute.info/old/download.php?op=geninfo&did=266
http://www.martinismeoperatifquebec.org/monument.pdf
Qui plus est, il en existe aussi un manuscrit....
Dès 2006 l'Espagnol José Rodriguez Guerrero signalait l'existence d'un fonds Poisson à la Wellcome Library de Londres.
http://www.revistaazogue.com/expo1.htm
En 2009 le Britannique Adam McLean a entrepris d'en rendre public le détail.
http://www.alchemydiscussion.com/view_topic.php?id=276&forum_id=8
Ce fonds est désormais parfaitement identifié et il est accessible aux chercheurs.
On y trouve une bonne quinzaine de manuscrits, dont celui qui nous intéresse aujourd'hui:
http://archives.wellcome.ac.uk/DServe/dserve.exe?dsqIni=Dserve.ini&dsqApp=Archive&dsqDb=Catalog&dsqCmd=NaviTree.tcl&dsqField=RefNo&dsqItem=MS3930/3939#HERE
Ce manuscrit (3939) du début des années 1890 a pour titre Les monuments alchimiques de Paris. Signé de Philophotes, pseudonyme bien connu d'Albert Poisson, il se compose d'une vingtaine de feuillets qui constituent à mon avis une version plus ou moins aboutie du "Paris alchimique" évoqué ci-dessus.
Parmi les autres documents du fonds, mentionnons au passage l'intérêt de celui sur cette Société hermétique des Protylites (manuscrit 3941) que Poisson paraît avoir envisagé de mettre sur pied, toujours vers 1890.
La provenance du fonds Poisson de la Wellcome apparaît comme clairement établie: Il provient de la vente Sotheby's (1934) de la bibliothèque parisienne de Lionel Hauser (les manuscrits sont estampillés de son sceau L.H.).
http://archives.wellcome.ac.uk/DServe/dserve.exe?dsqIni=Dserve.ini&dsqApp=Archive&dsqDb=Catalog&dsqCmd=show.tcl&dsqSearch=%28RefNo==%27MS3930%2F3939%27%29
Féru d'hermétisme, ce banquier fut un ami et probablement un mécène d'Eugène Canseliet. Il passe également pour avoir été un agent d'affaires de l'écrivain Marcel Proust.
Dans ses Monuments alchimiques, Albert insiste beaucoup, naturellement, sur ceux dûs à son cher Flamel. Il n'en demeure pas moins qu'on y trouve également la cathédrale Notre-Dame de Paris, dans la lignée de Laborde, Montluisant, Cambriel et autres, mais aussi la Sainte Chapelle.
Nous avons donc affaire avec ce texte à un véritable précuseur du Mystère des Cathédrales, et même des Demeures Philosophales, bref à une sorte de prélude à l'oeuvre de Fulcanelli, d'autant que Poisson n'hésite pas à s'écarter sur un feuillet de son propos parisien, en mentionnant de façon laconique l'hôtel Jacques Coeur de Bourges et une "méson" montepellieraine d'Arnaud de Villeneuve.
Il est vrai que Fulcanelli lui-même reprendra (aussi?) à son compte d'autres études modernes antérieures à son oeuvre et centrées cette fois sur des monuments non français, telles celles de Jacob et Haatan sur le poële alchimique suisse de Winterthur (1896 et 1902). Son disciple Canseliet fera plus tard de même, tout en la critiquant, avec celle, "inestimable" de Pietro Bornia sur la porte hermétique de la villa romaine Palombara, parue en 1895 dans la revue L'Initiation de ce "bon Papus" à qui Chamuel confia la direction de la bibliographie mentionnée au début de cet article, que nous ouvert sous l'égide décidément propice de La Librairie du Merveilleux.
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