Le second cahier de Johan Dreue sur Fulcanelli (un alias de Jules Violle, pense-t-il, et rappelons-le) m'a plus intéressé que le premier.
Pourtant, au premier abord, il peut sembler décevant, dans la mesure où encore une fois aucune preuve n'est présentée à l'appui de sa thèse.
Mais c'est sa démarche qui m'a plu, une démarche de comparatiste si j'ai bien compris, et qui donc vise à rapprocher les écrits de Fulcanelli et de Violle, pour le premier au travers des Demeures Philosophales, et pour le second en s'appuyant sur un récit d'une expédition au Mont-Blanc, en 1875, et sur une leçon de 1892 autour des travaux d'Edmond Becquerel (1820-1891).
Pour Dreue, "certaines phrases s'y retrouvent à l'identique, ou si ce ne sont pas des phrases entières, ce sont également les thèmes, tel que la volonté métallique...on y retrouve les mêmes protocoles d'expérience." Affaire à suivre.
Auteur récemment d'un estimable Dictionnaire d'Alchimie, Christian Montesinos vient de nous gratifier aux Editions de la Hutte d'un fort volume, très argumenté et richement illustré, sur les Symboles étranges des cathédrales.
Relevons d'abord que pour lui, "on sait aujourd'hui que sous le pseudonyme de Fulcanelli se cachait un "collège" d'hermétistes à la tête duquel oeuvrait pour l'essentiel le libraire Pierre Dujols." Et d'employer l'expression Dujols-Fulcanelli.
Et surtout il défend une thèse intéressante, quoique criticable, sur la genèse du symbolisme alchimique et hermétique de nos basiliques.
Selon lui, Fulcanelli après d'autres auteurs alchimistes, depuis le XVème siècle assure-t-il, a simplement plaqué délibérément sur un symbolisme religieux (ici chrétien) une interprétation alchimisante qui ne serait nullement conforme aux intentions initiales des bâtisseurs. C'est selon moi aller un peu loin en besogne, et faire fi et de la nature même du symbole, qui est de pouvoir renvoyer à plusieurs interprétations, et du rapport complexe qui existe entre l'alchimie, "art sacré", et la religion, au niveau des concepts comme à celui des personnes.
Curieuse coïncidence, Jacques Troger vient pour sa part de faire paraître aux Editions de Massanne un livret voué aux trésors et secrets alchimiques de Notre-Dame-de-Paris.
Opportunément intitulé Le symbole oublié, cet essai s'attache précisément à mettre en valeur l'apport d'un Esprit Gobineau de Montluisant, dont il reproduit l'essai le plus connu, en l'illustrant, ou plus près de nous d'un Charles-François Dupuis, d'un Victor Hugo, d'un Louis-Paul-François Cambriel, d'un Prosper Mérimée, d'un Eugène Viollet-le-Duc...
Et pour lui, Guillaume de Paris (1190-1249) a dès le XIIIème siècle été "le premier des grands décorateurs de la cathédrale." Or, cet évèque fut, semble-t-il, un alchimiste.
Lui aussi agréablement orné de clichés, cet ouvrage se présente donc comme une nouvelle glose alchimique, dans le droit fil de Fulcanelli, et sans écarter forcément les interprétations religieuses ou morales, privilégie une vision proprement hermétique.
Le 850ème anniversaire de Notre-Dame aidant probablement, j'ai découvert à la libraire parisienne du Graal un autre opuscule récent se donnant également le même objet, qui pourrait être en fait une réédition.
Dans son Mystère alchimique de Notre-Dame de Paris (LMC éditeur), qui se présente comme un dialogue avec un alchimiste, Jeff le Mat suit globalement la même démarche que Jacques Troger. Pour notre auteur, "si on prend le Portail du Jugement, où tout est décrit, sur la partie gauche on a la représentation philosophique de l'OEuvre, et sur la partie droite le mode d'emploi."
Il rappelle aussi, de façon opportune, que la grande rosace Ouest est partagée en vingt-quatre parties. Les douze inférieures représentent les douze mois de l'année, avec les travaux de la terre, et les douze supérieures l'OEuvre alchimique avec les travaux du ciel.
Enfin, relevons qu'il précise in fine, qu'à Chartres, si on prend le portail Sud de la cathédrale, "ce sont quasiment les mêmes dessins qui sont représentés, et quasiment de la même manière."
De Chartres justement, Patrick Burensteinas fournit un aperçu pénétrant, dans son nouveau livre: Chartres cathédrale alchimique, qu'il vient de faire paraître aux éditions TrajectoirE.
Il y insiste justement, selon nous, sur l'importance du puits des Saints-Forts, notamment dans sa dimension tellurique, partagée avec les piliers qui l'entourent; de ce tellurisme chartrain, nous pouvons à nouveau témoigner ici personnellement.
Mais pour moi, la majeure de son ouvrage demeure que lui aussi considère que "tout comme sur les bas-reliefs de Notre-Dame de Paris, l'alchimiste utilise les représentations du portail sud de Notre-Dame de Chartres pour décrire son Grand OEuvre."
Et Burensteinas de fournir à ce propos moult clichés et commentaires qui démontrent amplement qu'ici il est bien dans le vrai.
La dernière en date des oeuvres de Richard Khaitzine vient de paraître chez Dervy Poche. Il y poursuit sa réflexion sur la langue des oiseaux, notamment au travers de son influence sur l'écrivain Georges Perec.
Mais comme il n'a pas encore été question de Julien Champagne dans cet article, je voudrais surtout insister sur la vision qu'a actuellement Khaitzine du rôle de ce dernier. Pour lui, "si les apports de Dujols et de Champagne aux Fulcanelli sont indéniables, l'essentiel, à savoir la partie alchimique, est redevable à un troisième homme, un "opératif."
Ce troisième homme selon Richard pourrait être Alphonse Jobert (1852-1921) dont Champagne aurait pu être le disciple. Khaitzine s'appuie essentiellement s'agissant de ce point sur une photo de Champagne dans son labo, déjà évoquée ici (cf.article Champagne dans son laboratoire), photo assortie d'une dédicace à Dujols. Ce labo "de Champagne" ressemblerait en fait étrangement...à celui de Jobert.
Après avoir signalé le fait que notre Richard national s'attache à trouver également des similitudes entre Les Demeures Philosophales de Fulcanelli et La Vie mode d'emploi de Perec, et pour en revenir à la langue des oiseaux, félicitons l'éditeur américain Ouroboros Press de nous avoir offert ces temps-ci une belle édition en anglais du Jocus Severus de Michel Maier. Cette "blague sérieuse" consiste en fait en une conférence de volatiles, dont la chouette est la reine, et l'arbitre le phénix.
De René Schwaeblé, autre disciple de Jobert selon Khaitzine, la librairie Le Songe de Polia propose, entre autres rares ouvrages hermétiques, le Cours pratique d'Alchimie (Lucien Bodin, Paris, sans date).
http://songedepolia.com/
Enfin je recommande un entretien en ligne que l'alchimiste Bernard Chauvière vient à nouveau d'accorder aux éditions Arqa:
http://www.editions-arqa.com/editions-arqa/spip.php?article1575
Comme on est dans une période "à cadeau", si quelqu'un ou quelqu'une a retrouvé ou dispose de l'affiche EDF mentionnée par Eugène Canseliet dans sa deuxième préface aux Demeures, merci de nous en faire profiter, d'une manière ou d'une autre.
Et passez tous et toutes un bon et heureux Noël!
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