Fulcanelli fait vendre, nous dit-on. Tout en regrettant sincèrement que l'attrait de la résolution du mystère de ce pseudonyme puisse parfois obérer celui qui doit, ou devrait, selon nous, s'attacher à l'étude de son oeuvre écrite, il nous faut reconnaître, sincérité obligeant, que l'un et l'autre sont désormais liés, de façon quasiment indissoluble.
C'est ainsi que par respect pour la mémoire vivante de l'alchimiste le plus célèbre du XXème siècle, qui fut aussi le maître de Julien Champagne, nous nous plaisons à saluer toute nouvelle publication le concernant, pourvu naturellement qu'elle nous apparaisse comme sérieuse.
Tel est bien le cas, nous semble-t-il, du petit livre que Jean-Claude Allamanche vient en 2012 de faire éditer par Télètes, dont d'emblée le titre interrogatif pourra, croyons nous, en séduire plus d'un (et d'une, évidemment): Fulcanelli, une énigme irrésolue?
Reconnaisons-le sans barguigner, une telle humilité nous plait, après tant d'affirmations péremptoires au sujet de Jules Violle, Paul Decoeur, et tant d'autres.
De fait, ce Lyonnais de quelque 72 printemps, étudiant l'alchimie depuis une petite quarantaine d'années à l'instigation nous apprend-t-il du professeur Faussurier, vient si on le suit de consacrer toute une décennie à Fulcanelli.
Cet homme, si simplement supérieur à beaucoup, est-il pour autant un inconnu total? Pas tout à fait. Typographe averti, il a en 2010-2011 fait paraître au Moulin de l'Etoile un sagace petit volume consacré aux Marques secrètes des imprimeurs de la Renaissance, en tant que "signes visuels d'un ésotérisme de métier".
L'hermétisme approche ici de nous à grands pas, d'autant que l'opuscule en question semble actuellement épuisé:
http://lemoulindeletoile.com/hermetisme.htm
http://www.eklectic-librairie.com/domaine-livres-compagnonnage-ref-moulin12-allamanche-les-marques-secretes-des-imprimeurs-de-la-renaissance.html
La thèse d'Allamanche est bien présentée. Sur Fulcanelli, il ne cite guère dans sa bibliographie que le livre de Geneviève Dubois (Fulcanelli dévoilé, Dervy, 1992); il ignore ou feint d'ignorer ceux parus depuis, mais par contre il a manifestement beaucoup lu sur les Lesseps, en particulier sur le patriarche Ferdinand.
C'est que pour lui, ses fils Charles, Bertrand, Jacques et Paul, tous plus ou moins épris d'alchimie, sont peu ou prou mêlés, non seulement à l'élaboration de l'oeuvre de Fulcanelli, mais à celle de son "mythe", confié d'abord à Julien Champagne, puis à Eugène Canseliet.
Il semble même que Charles (1840-1923) ait ses faveurs comme Fulcanelli (première période). Très bien bâtie, son approche, qui nous fait penser de ce point de vue à celle de Frédéric Courjeaud sur Camille Flammarion (Fulcanelli, une identité révélée, Claire Vigne, 1996), a pour originalité de présenter de possibles Fulcanelli "intermédiaires" de seconde période (Bertrand et Jacques) et finalement un Fulcanelli "ultime" (troisième période): Paul.
Ami de Champagne, Bertrand (1875-1918) aurait été initié par Charles au travail au laboratoire dès 1899. Sa fin tragique au combat, suivie quelques années de celle de Jacques (1883-1927) dans un accident d'avion, ne leur auraient permis en fait de jouer qu'un rôle modeste dans l'élaboration du Mystère des Cathédrales et des Demeures Philosophales.
A l'inverse, Paul (1880-1955), exécuteur testamentaire de Charles, et qui aurait versé une rente à Champagne de 1923 à son décès en 1932, peut poursuivre le travail de son aîné.
Il serait ainsi le Fulcanelli qui aurait accompagné Canseliet en 1924 aux obsèques de son ami Anatole France, celui qui aurait approuvé en son temps Mystère et Demeures, aurait en 1927 retiré le troisième livre, actuellement non paru, de Fulcanelli (Finis Gloriae Mundi) au même Canseliet, etc.
La trame chronologique élaborée par Allamanche est donc solide, "robuste" même. Naturellement on pourra lui objecter qu'elle ne repose apparemment sur aucun document précis, et accessoirement qu'il paraît parfois s'égarer dans certaines "clefs" qu'il propose, comme ce rapprochement osé entre "l'affaire Fulcanelli" et le traité de Cyliani (Hermès dévoilé, paru en 1832).
Mais il est vrai que ce même Cyliani, fréquemment cité par Fulcanelli, a aussi fait l'admiration aussi bien de Champagne que de Canseliet. Pour ne pas conclure, comme il se doit, et si vous voulez recueillir ici mon humble avis, ce "complément d'enquête" mériterait sans doute...un complément.
Avant de vous quitter à nouveau, pour un temps ou la moitié d'un, permettez-moi de vous signaler la parution d'un magnifique volume: Intitulé tout simplement Alchimie, l'art royal, il vient lui aussi de paraître en 2012 à l'Imprimerie Nationale.
Dû à Jörg Völlnagel, il est peu intéressant s'agissant des derniers siècles (XVIIIème au XXème), mais contient sur les précédents une iconographie très riche de plusieurs traités classiques, dont le plus récent est le Mutus Liber (1677), qu'il propose en couleurs, et sans omettre de faire référence au travail à son propos d'un certain Canseliet.
Michel Spacher, pcc
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