Dans les mélanges offerts à Antoine Faivre (Esotérisme, gnoses et imaginaire symbolique, Peeters, Louvain, Belgique, 2001), Didier Kahn s'interroge gravement sur la présence et surtout, dit-il, sur l'absence, de l'alchimie dans l'architecture civile et religieuse.
S'agissant du château de Dampierre-sur-Boutonne, il a eu un prédécesseur, apparemment méconnu au surplus de Fulcanelli, qui ne le cite pas (le prédécesseur, bien sûr).
Avec ce livret d'André Arsonneau intitulé Chronique dressée sur le Chateau-Gaillard et Dampierre (Lafond-Debenay, Niort, 1875), nous tenons là d'ailleurs une des plus anciennes descriptions des célèbres caissons hermétiques sinon alchimiques.
On ne sait trop qui était cet André Arsonneau, dirait à ce stade un Robert Halleux, qu'il ait ou non comme nous la tentation de relever le double A (ou AA) de son nom, mais on connaît de ce patronyme un André Arsonneau, qui était laboureur à Dampierre de surcroît.
S'il s'agit bien de notre homme, comme c'est possible, voire probable, on lui doit également un Almanach du bon laboureur (Saint-Maixent, Reversé, et Niort, Clouzot, 1879).
Las, pour AA nos fameux caissons, qu'il étudie en détail pour tâcher de justifier sa thèse, racontent en fait "l'histoire mise sous emblêmes d'un château plus ancien, lequel a existé à cent pas de là": le Château-Gaillard.
Son fascicule est malheureusement peu illustré, et en outre la lithographie annoncée du château de Dampierre manque à notre exemplaire, mais deux reproductions idoines nous permettront de constater qu'il est bien rare qu'on ait totalement tort, ou au contraire absolument raison.
Comme Fulcanelli, Arsonneau doute que les trois croissants mêlés et le double D enlaçant un H se rapportent forcément à Henri II et Diane de Poitiers (cf. notre article De Diane de Poitiers à Champagne).
A l'inverse, sa méconnaissance de l'ancienne notation "chymique" conduit André à une interprétation peu canonique et alambiquée de ces autres hiéroglyphes, respectivement du Soufre et du Feu, eux aussi commentés dans Les Demeures Philosophales (article Champagne au colloque Canseliet), qui le fait finalement conlure à son leit-motiv intangible: l'arbre qui les porte est celui de Chateau-Gaillard.
Fallait-il pourtant assassiner proprement Arsonneau André comme l'a fait dans le Bulletin de 1883 de la Société des Archives Historiques de la Saintonge et de l'Aunis (Mortreuil, Saintes, et Picard, Paris) un Louis Audiat, il est vrai professeur de réthorique, au collège de Saintes, justement?
Pour lui, cette Chronique est "une grossière mystification, dont les idées et le style révèlent le faux à plein." Il est vrai qu'Audiat est lui même le distingué auteur d'une Epigraphie santone et Aunisienne (Orliaguet, Saintes, 1870), où il avait préalablement traité du même sujet.
Il est de fait, également, que dans son article ci-dessus mentionné il réserve l'essentiel de ses foudres à un confrère (comme un certain docteur Arsonneau, à vrai dire), l'abbé Jules Noguès, curé de Dampierre, et à sa monographie historique et archéologique précisément intitulée Dampierre-sur-Boutonne (Hus, Saintes, 1883). Mais comme les travaux de Louis et Jules sont, eux, relevés par Fulcanelli, je vous propose d'en rester pour l'instant à l'ouvrage d'André Arsonneau.
A la décharge d'Audiat, rendons au demeurant hommage à sa consciencieuse objectivité, puisque et Noguès et Arsonneau figurent à son catalogue de 1885 de la bibliothèque de la ville de Saintes.
En fait, le fascicule d'Arsonneau est bien loin d'être inintéressant, et on y trouve entre autres une foultitude de notations des plus parlantes, comme cette appréciation sur les origines du nom de Dampierre. Il viendrait selon lui de Dominus Petrus, Monseigneur Pierre. "On tire encore ce mot de Dama-Petra, Pierre Dame".
Il rapporte également certaines des inscriptions du château, comme ces deux, dont l'une écrite en lettres dorées sur une planche détachée de l'une des deux poutres (la plus au midi) du lambris peint dans la salle des gardes, au premier étage. Là se trouve une grande et superbe cheminée à colonnes, dorée et peinte, qui porte aussi ses inscriptions. Voici l'inscription de cette planche (André en donne le latin, puis sa traduction française, qui est la suivante):
"Des exploits glorieux, une âme courageuse, une bonne renommée qui ne faillit pas, des richesses médiocres, bien acquises, honnêtement accrues, ont toujours passé pour un don de Dieu, posé au-delà des atteintes de l'envie, et devant être à toujours un titre de gloire et un exemple devant la postérité."
L'autre inscription, poursuit-il, se lit sur chacun des côtés de la grande cheminée. La main de justice y porte une balance, et tient enchaînée les passions (cette fois, donnons-en le latin): DAT IVSTVS. FRENA SVPERBIS.
J'ai voulu ensuite collationner les légendes des caissons proprement dits, pour comparer les leçons de Louis à celles de Fulcanelli. Au-delà de différences somme toute mineures apparemment, seules deux des notations, qui il faut le noter sont données dans le même ordre par les deux auteurs, m'ont paru nettement dissemblables.
Là où Fulcanelli ne lit plus que CO.PIA, Arsonneau discerne SCO.PIACA.NON et suppose vindictam po CO.PLACA.NON. ultos manes: je demande raison; apaise les manes de celui qui n'est point vengé (article Constance de Champagne).
Au même article, on pourra vérifier que Fulcanelli ne distingue pas, contrairement à Arsonneau, les lettres du phylactère acompagnant "une fleur épanouie sous un soleil ardent." Pour ce dernier, de l'inscription rongée on ne distingue que ORAS. Et il s'interroge: Faudrait-il la restaurer par flori noxoe HORAS astro ducente fervido. Un soleil ardent apporte à cette fleur des heures funestes? "Un soleil qui fait jeter à la fleur toute sa force de végétation, puis qui la brûle."
Il est curieux de relever, pour en terminer avec ce mensuel devoir de vacance, que dans ses Demeures Fulcanelli rapporte pourtant:
"D'après M. le docteur Texier, à l'obligeance de qui nous devons ce renseignement, les figures de Dampierre n'auraient jamais été publiées en totalité. Toutefois, il en existe une reproduction dessinée d'apès l'original et conservée au musée de Saintes.C'est à ce dessin que, pour certains motifs imprécis, nous avons eu recours afin de rendre notre description aussi complète que possible."
Cette reproduction est peut-être (ou non) la même que celle signalée page 130 dans le Recueil des Actes de la Commission des arts et monuments de la Charente-Inférieure - et Société d'archéologie de Saintes (1908-1912):
En 1909, "M. l'abbé E. Clénet signale dans le volume des Mémoires de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres l'hommage offert au musée de Niort par M. A. Bouneault d'un album contenant les relevés faits sur place des caissons du château de Dampierre-sur-Boutonne."
Ne méprisons pas, par conséquent, des contributions à la recherche comme celle d'Arsonneau, qui à propos de notre "dragon qui veille" (article Frustration de Champagne) réussit en outre à trouver des accents quasiment fulcanelliens:
"A diverses époques, il a été fait mention de dragons ou serpents monstrueux, vus en différents lieux, par exemple ceux de Régulus, de Saint-Georges, de Mons, de Rouen, de l'île de Rhodes, etc.
A ces récits de la bonne Légende, la Science, son adversaire instruit, secoue d'habitude la tête avec prétention et répond: "fable".
Mais a-t-elle tout vu, cette dame la Science, non exempte aussi de se tromper, elle dont les disciples titrés donnèrent si peu de nos inventions, persécuteurs souvent du génie qui découvre?
Où a-t-elle pris le droit de crier "impossible!" sur telle oeuvre non réapparue de la création? Elle, éclose d'hier, envieuse et voyant si court, incapable de pénétrer seulement les mystères d'un brin d'herbe, veut-elle avoir sondé les forces premières de la Nature, et oser dire à cette épouse éternelle de l'Univers: "Tu n'as jamais eu la puissance de produire cela."
Daniel Stolcius
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