Albrecht Dürer fut il affilié à l'ordre écossais du Chardon mentionné par Fulcanelli dans ses Demeures Philosophales, au chapitre consacré au palais Holyrood d'Edimbourg, palais déjà "maltraité" à deux reprises dans notre petit bloc-notes?
En tout cas pour Fulcanelli cet ordre, créé en 1540 par Jacques II, roi d'Ecosse, se composait originairement de douze chevaliers, comme toutes les fraternités dérivées de la Table ronde.
Selon lui, cette Chevalerie ne fut pas complètement étrangère, en effet, à l'édification du curieux Sundial du palais qu'il étudie dans ce chapitre, et il en trouve la preuve dans la présence, sur plusieurs faces du solide, de l'emblème du chardon.
On y compte en effet, observe-t-il, six capitules floraux et deux tiges fleuries de l'espèce dite serratula arvensis. Et d'ajouter: "Ne peut-on reconnaître dans la prépondérance évidente du symbole, l'affirmation d'un sens secret imposé à l'ouvrage et contresigné par les Chevaliers?"
Cette étude fulcanellienne clôt en fait l'édition originale des Demeures (Schemit, 1930). Or, dès 1926, nous trouvons son "illustrateur" Julien Champagne tout occupé du symbole en question, si on en croit une pièce d'archive familiale inédite que je vous propose d'explorer maintenant avec vous (je vous laisse à penser de quelle famille il s'agit).
Comme ce document non signé comporte deux écritures différentes, qu'elles appartiennent ou non à la même personne, je livre ci-contre à votre examen des spécimens des graphies considérées, dont l'une fait immédiatement suite à l'autre.
Et je soumets à votre sagacité la transcription intégrale de ce document, en rejetant mes quelques commentaires à la fin de celui-ci:
Première écriture
"23 juillet 1926
Hier, j'ai reçu ta bonne lettre et aujourd'hui le rouleau contenant l'Illustration (interpolation d'Archer: il s'agit ici manifestement de la revue portant ce titre). L'une et l'autre m'ont fait le plus vif plaisir et je t'en remercie beaucoup.
La carte postale de Stirling, avec l'image de la maison fatale, est bien intéressante. Mais je regrette de causer tant de souci à ton aimable correspondant, d'autant que je vais malheureusement être obligé de faire encore appel à sa sollicitude.
C'est à propos du cadran solaire du palais Holyrood d'Edimbourg, et j'aurais besoin de quelques précisions à son sujet. Voilà deux mois environ que je l'étudie et j'ai fini par en découvrir la clé. Il est bien entendu que ce fameux "Sundial" n'a jamais été une oeuvre de gnomonique. J'ai vu du premier coup à quelle science il se rapportait.
Restait à l'analyser. Par malchance, sur les trois faces latérales de l'icosaèdre (il en compte dix), je n'en ai qu'une de visible, la seconde est vue obliquement et la troisième complètement noyée dans l'ombre. Sur l'unique face, voici ce que l'Initié peut lire (en grossissant l'image de trois diamètres): "...et ajoute un grain de cire (trois grammes quatre-vingt-deux) et jette sur Mercure..."
Cela est écrit en caractères hiéroglyphiques si peu connus qu'il n'y a peut-être pas dix personnes au monde qui les puissent traduire. D'ailleurs l'expression de cadran solaire donné à ce polyèdre est, cabalistiquement, exacte. (Ici un mot grec), voisin du mot (mot grec) dans la langue des Oiseaux, signifie le "développement en cercle des replis du grand serpent", ce qui équivaut à la "marche du soleil dans l'OEuvre de la Création."
Le cristal en question est donc bien l'indication hiéroglyphique du grand-oeuvre solaire, lequel comporte, en effet, dix parties, dix clefs ou opérations. C'est la dernière ou l'avant-dernière que je t'ai traduite.
Il me faudrait les autres, ou tout au moins les signes (très simples) qui figurent sur les autres faces. Or deux difficultés se présentent. Premièrement je désire ne pas donner la raison exacte capable de motiver ma demande. En second lieu il est possible qu'il n'existe pas d'autre carte ou photo dans le commerce.
A ces deux restrictions on peut en ajouter une troisième, celle d'une accessibilité réservée. J'ai en effet tout lieu de croire, étant donnée la conservation parfaite du petit édifice (il a environ trois mètres de haut et le polyèdre cinquante centimètres) qu'il se trouve placé au milieu d'une propriété particulière et que sa visite est soumise peut-être à quelque autorisation préalable.
Cela m'a beaucoup tracassé, mais j'ai pris le parti d'essayer malgré tout. Je vais donc demander à notre brave Ecossais s'il lui serait possible, ou de se procurer des photos, ou d'inscrire lui-même, à pied d'oeuvre, les signes inconnus sur un graphique dessiné d'avance et qui accompagnera ma demande.
Afin d'éviter toute erreur de compréhension, je ferai traduire ma lettre en langue anglaise et il pourra répondre dans la même langue. Un camarade, scientifique et professeur d'anglais, se chargera de la remettre en français.
Tu recevras donc, dans quelques jours, ces documents, et tu pourras les expédier à ton brave correspondant, en y ajoutant un mot si tu le juge nécessaire...L'apostille n'est jamais de trop et la recommandation joue un rôle important à notre époque."
Deuxième écriture
"D'où vient cert édifice et quel en a été le promoteur? C'est là un point mystérieux et que personne peut-être ne saurait solutionner. J'ai tout lieu de penser qu'il y eut, vers la fin du seizième siècle et le début du dix-septième, un véritable centre d'initiation écossaise à Edimbourg.
Il se pourrait que l'adepte connu sous le nom de Sethon, lequel révolutionna la Bavière et le Hanovre en 1602 par ses projections, soit sorti de cette fraternité ou y ait été affilié. En effet, Louis Figuier donne un document par lequel un certain Haussen, pilote hollandais, ayant fait naufrage en 1601 sur les côtes d'Ecosse, et à quelques kilomètres d'Edimbourg, fut sauvé par un alchimiste qui avait, de sa maison, assisté au naufrage.
Cette demeure, construite sur le rivage, s'appelle encore Sethon House, et Haussen, devenu l'ami de son sauveur, déclare avoir vu plusieurs fois Sethon transmuter devant lui, tant à Sethon House que chez lui, à Rotterdam.
Sethon, martyrisé en 1603 par l'Electeur de Saxe, serait mort en décembre 1603 ou janvier 1604. Le cadran d'Edimbourg serait postérieur de trente ans, mais pourrait avoir été conçu par l'un des disciples de Sethon, affiliés comme lui au centre d'Edimbourg.
Mais ce sont là choses bien abstraites et qui peuvent ne pas t'intéresser énormément. Pour moi, ma vie actuelle se passe dans ces abstractions, et j'y trouve le seul plaisir que m'accorde ma mauvaise et pénible destinée.
Quant à jouer un rôle quelconque dans le monde, à moins que ce ne soit par les ouvrages que je laisserai, et la Fraternité d'Héliopolis dont je suis le chef inconnu, l'âge et la santé ne me le permettent pas. C'est à revivre maintenant dans mes oeuvres que je tâche de m'appliquer, et c'est dans ce sens que j'use mes dernières forces, intellectuelles et physiques.
Ce n'est plus à cinquante ans, âge de la retraite pour les privilégiés de la fortune et du sort, que l'on peut espérer refaire son existence. Ce n'est plus à soi qu'il faut songer, tandis que la pierre du sépulcre s'entrebaille, mais aux jeunes, aux forts, à ceux qui ont devant eux la vie, l'espoir, l'enthousiasme. Si je parviens à réaliser ce dessein, je partirai satisfait, aussi heureux qu'on peut l'être en ce bas monde."
Les lecteurs et lectrices averti(e)s auront, cher Filostène, reconnu dans ces derniers paragraphes les lignes déjà mentionnées par Jean Artero dans son Alchimie de Lesseps. A-t-il raison ou pas de les relier à Julien Champagne? A chacun de se faire son opinion.
Quant à la mienne...je trouve pour ma part que les aspects historiques développés ci-dessus concernant Holyrood concordent pour le moins avec ceux avancés par Fulcanelli dans les Demeures.
A propos des concordances hermétiques éventuelles, cette fois, je relèverai simplement dans ce dernier ouvrage l'assertion suivante: "Le mot grec gnomon possède un autre sens que celui de l'aiguille chargée d'indiquer, par l'ombre projetée sur un plan, la marche du soleil. Il désigne aussi celui qui prend connaissance, qui s'instruit...l'éclairé."
Et cette autre: "L'icosaèdre gnomonique d'Edimbourg est bien une traduction cachée du Grand OEuvre des philosophes." Mais naturellement la glose fulcanellienne pourra paraître plus riche que les premières notations de notre scripteur.
Pour en terminer avec notre "poisson d'avril", signalons d'autres exemples des actuelles ou récentes interactions franco-britanniques en matière d'alchimie:
Le musée parisien des lettres et manuscrits, que nous avons visité tantôt, détient plusieurs autographes d'Isaac Newton, dont un constitue une sorte de compendium de ses philosophales lectures:
http://www.museedeslettres.fr/public/detail_oeuvre.php?id=106&PHPSESSID=37a247569e9e0dc613c84aa63b397592
Les éditions Sesheta viennent de leur côté de réaliser la première publication française d'une oeuvre de Sigismond Bacstrom, qui n'est autre que son Anthologie alchimique:
http://www.sesheta-publications.com/Collection-Rose-Croix-Collectanea-Rosicruciana.html
Et finalement, pour en revenir en France, saluons la parution du premier numéro de la revue Aletheia, proposé par la librairie lyonnaise Cadence, de si heureux aloi:
http://www.eklectic-librairie.com/domaine-revues-ref-aletheia001-revue-aletheia-etudes-initiations-traditions-1.html
On y retrouvera entre autres avec le plus grand plaisir et Patrick Rivière, et Claude d'Ygé, et Eugène Canseliet. Canseliet qui a naturellement fortement inspiré L'art du boulanger, de Jacques Troger (Massanne, 2011), consacré au message alchimique de la boulangerie parisienne Poilâne, évoqué ici même il n'y a guère.
http://www.massanne.com/component/acajoom/mailing/view/listid-2/mailingid-22/Itemid-5000.html
Massanne qui désormais propose également à la vente La Vie Minérale de Julien Champagne:
http://www.massanne.com/boutique.html?page=shop.product_details&flypage=flypage.tpl&product_id=232&category_id=17
Au mois prochain, Um Gottes Willen.
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