Charly et quelques autres, comme l'ami Stibia ou Pierre, nous sauront peut-être gré de revenir brièvement ce mois sur le chapitre Louis d'Estissac des Demeures Philosophales, que nous avons déjà abordé à deux reprises (articles Champagne de Coulonges à Terre Neuve et Julien Champagne cheminant).
Il n'est probablement pas inutile de rappeler, en préambule, que le titre complet du dit chapitre est en fait Louis d'Estissac, gouverneur du Poitou et de la Saintonge, grand officier de la Couronne et philosophe hermétique. Et que Fulcanelli y écrit que Rabelais, possiblement précepteur de d'Estissac et qui fut son hôte vers 1550, en son Pantagruel, dénomme le château de ce philosophe (Coulonges-sur-l'Autize), Coulonges-les-Royaux.
Notre Adepte souligne également, ainsi que nous l'avions évoqué en son temps, le fait que de Coulonges, édifié de 1542 à 1568, "le mobilier, les porches, les pierres sculptées, les plafonds, et jusqu'aux tourelles d'angle, tout a été dispersé" ultérieurement. Certaines de ces pièces furent acquises par un aquafortiste célèbre, Etienne-Octave de Guillaume de Rochebrune, et servirent à la réfection et à l'embellissement de sa propriété de Fontenay-le-Comte, en Vendée.
C'est grâce à cet Octave que nous voudrions maintenant entrer dans le vif de notre sujet mensuel.
"M. de Rochebrune, précise Fulcanelli en note, né à Fontenay-le-Comte en 1824, et mort au château de Terre Neuve en 1900, était le grand-père du propriétaire actuel, M. du Fontenioux."
Contrairement au petit-fils, avec qui des contacts ont pu être noués en vue de la parution des Demeures, son aïeul était donc un presque contemporain de Fulcanelli (1839?-?), qui tout en se concentrant sur l'interprétation hermétique des motifs de la cheminée du grand salon, n'en liste pas moins, de façon assez inhabituelle chez lui, peut-être pour complaire à cette famille, et "pour l'agrément des amateurs", précise-t-il, certaines des curiosités qu'abrite le manoir actuel.
Sur la vie et l'oeuvre de Rochebrune, qui fut aussi graveur, sculpteur et collectionneur d'oeuvres d'art, quelques sites permettent d'obtenir des précisions significatives, comme:
http://www.fontainesdefrance.info/biographies/biorochebrune.htm
http://figuresherminoises.over-blog.com/article-octave-de-rochebrune-1824-1900--40745134.html
http://recherche-archives.vendee.fr/archives/catalogue/personne/Rochebrune,%20Octave%20de/Z
http://www.culture.fr/recherche/?typeSearch=collection&SearchableText=Rochebrune+Octave+Guillaume+de&portal_type=CLT_Site_Note
Mentionnons aussi en particulier de René Vallette (René de Thiverçay) et Emile Boutin, Octave de Rochebrune, sa vie, son oeuvre (Lussaud, Fontenay-le-Comte, 1925) et d'Adélie Avril un mémoire d'histoire de l'art dont on peut souhaiter qu'il soit édité sur Le château de Terre Neuve (université de Rennes, 2007).
Sur le château de Terre Neuve justement, Fulcanelli semble avoir consulté une étude non publiée, puisqu'il évoque sa lecture d'"une monographie manuscrite, probablement rédigée par M. de Rochebrune."
Ce dernier fut donc d'une certaine façon son propre Julien Champagne en même temps que son propre Eugène Canseliet, puisqu'il a également dessiné certaines parties de son château sur lesquelles Fulcanelli ne s'est pas attardé, comme cette autre cheminée monumentale, vraisemblablement érigée, elle, dans l'atelier d'imprimerie et de gravure du propriétaire des lieux.
Provient-elle également de Coulonges? Il est au moins permis de le supposer, pour peu qu'on en juge par les caissons du plafond qui la surplombe.
Et sans doute certains de ses motifs pourraient-ils eux aussi se prêter à une exégèse alchimique, si du moins on pouvait les voir représentés en gros plan, comme ces sirènes dont on se plaît à imaginer qu'elles sont peut-être "noires et enceintes."
"Le plus beau plafond du château de Coulonges, celui qui en ornait jadis le vestibule et la salle du trésor, couvre maintenant le grand salon de Terre Neuve, dénommé l'Atelier", précise Fulcanelli. Et d'ajouter:
"Il est composé de près de cent caissons, tous variés; l'un de ceux-ci porte la date de 1550 et le monogramme de Diane de Poitiers."
L'Adepte renvoie alors son lecteur à sa leçon sur Dampierre-sur-Boutonne, autre demeure que nous avons déjà maintes fois parcourue ensemble (voir en particulier notre article de Diane de Poitiers à Champagne), et que nous allons retrouver dans quelques lignes.
Dans cette attente, je ne peux que relever immédiatement cette curieuse expression de salle du trésor, qui nous fait aussitôt penser à celle de l'hôtel Jacques Coeur (article Julien Champagne dans la chambre du trésor), ainsi qu'aux kaléidoscopiques Voyages d'Irène Hillel Erlanger (article Irène Hillel et Julien Champagne).
Nous ne savons pas, pour l'instant du moins, si le manuscrit de Rochebrune étudié par Fulcanelli a été finalement publié.
En tout cas l'auteur des Demeures paraît avoir ignoré, à moins qu'il ne l'ait délibérément passé sous silence, l'existence de plusieurs documents sur Terre Neuve, édités en 1887 et dont une partie émane d'Octave.
Il est vrai que les deux cahiers de la collection Paysages et monuments du Poitou, imprimés à Paris par Motteroz, n'ont apparemment été tirés qu'à 400 exemplaires, selon toute vraisemblance largement réservés à leurs souscripteurs.
Il est non moins vrai que certains écrits d'Octave sont peut-être encore à découvrir, qu'il s'agisse d'autographes ou d'imprimés à petit nombre, voire de recueils présentant le caractère d'un exemplaire unique, comme ces Etudes historiques et artistiques sur le Poitou et la Vendée, de Rochebrune et Benjamin Fillon (Clouzot, Niort, 1887), avec cette belle gravure représentant l'atelier de l'artiste, vu à travers sa porte :
http://www.binoche-renaud-giquello.com/html/fiche.jsp?id=1552896&np=6&lng=fr&npp=20&ordre=1&aff=1&r=
1887 encore...Donc si Fulcanelli a bien compulsé le manuscrit de Rochebrune sur le château, et si ce dernier était similaire ou identique à ce qui fut publié cette année là, l'éventuelle, voire probable, première rencontre entre les deux hommes a bien peu de chances d'être postérieure.
Mais ce qui est relativement surprenant en fait, c'est surtout que Fulcanelli connaissait parfaitement l'existence de ces fameux Paysages et Monuments du Poitou.
Il la cite, non pas à propos de Coulonges, mais dans son examen des emblèmes hermétiques de...Dampierre-sur-Boutonne.
Doutant que Jeanne de Vivonne pût être l'inspiratrice des célèbres caissons de cette autre demeure philosophale, il stipule: "Telle était la question que nous nous posions en feuilletant le beau recueil de Jules Robuchon" et en donne aussitôt en note la référence précise: Paysages et monuments du Poitou, photographiés par Jules Robuchon. Tome IX: Dampierre-sur-Boutonne, par Georges Musset, Paris, 1893.
Fulcanelli connaissait donc également, au moins de nom, le photographe Jules Robuchon (1840-1922), à propos duquel nous avons déjà dit quelques mots, justement dans un article sur Dampierre (Constance de Champagne).
Savait-il qu'il fut membre de la Société des Antiquaires de l'Ouest? On peut le supposer, sans plus, puisqu'il mentionne seulement l'appartenance à cette société de Georges Musset.
Comme on peut le vérifier sur nos reproductions, la dite SAO comprenait quoiqu'il en soit des membres de qualité, du moins à nos yeux, comme encore René Vallette...
Et Octave de Rochebrune.
Aussi connu comme sculpteur, Jules César Robuchon, à qui l'on doit en particulier un buste de l'archéologue Léon Palustre (1838-1894), que Fulcanelli cite dans ses Demeures à propos de Dampierre et de Nantes, est resté célèbre comme photographe, au point qu'un artisan de nos relations, à qui nous avons récemment confié la reproduction de certains de nos clichés joints, s'est parfaitement et spontanément souvenu de sa contribution dans son domaine de prédilection.
Fils d'imprimeur-typographe, originaire de Fontenay-le-Comte, il reçut d'abord une formation de lithographe, avant de découvrir dans les années 1860 la photographie, qui devint dès lors sa vraie passion, conjuguée avec un goût prononcé pour l'archéologie.
C'est ainsi qu'il parcourut avec son barda et par tous les moyens de transport envisageables, la pluralité des régions de l'Ouest de la France. Egalement libraire-éditeur, il est spécialement resté dans la mémoire collective pour le grand nombre de cartes postales réalisées à la suite de ses multiples pérégrinations, ce qui le rapproche de Julien Champagne, dont certains des dessins constituent manifestement des reproductions généralement fidèles de ce type de positifs (Chartres, Vitré...).
Citons sur Jules César les ouvrages de Francis Ribemont: Jules Robuchon, imagier de la Vendée et du Poitou (L’Horizon chimérique, Bordeaux, 1999) et de de Christophe Vital, Jean-Pierre Remaud et Serge Bauchet, La Vendée sous l'oeil de Robuchon (Somogy, La Roche-sur-Yon, 2008).
http://le-cercle-histo.over-blog.fr/article-robuchon-un-regard-poitevin-fontenay-le-comte-vendee-1999-71030353.html
http://recherche-archives.vendee.fr/archives/catalogue/personne/Robuchon,%20Jules-C%C3%A9sar/Z
http://www.cparama.com/forum/jules-robuchon-photographe-editeur-poitiers-t3429.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Robuchon
Pour en venir maintenant au contenu de nos deux cahiers sur Coulonges et Terre Neuve (cinquante-neuvième à soixante-deuxième livraisons des Paysages et monuments du Poitou), je dirai d'abord que naturellement s'y trouve reproduite sous la forme d'une photographie de Jules Robuchon, la cheminée "XVIème siècle provenant du château de Coulonges-les-Royaux" sur laquelle disserta Fulcanelli.
Duquel nous apprenons en particulier que "la cheminée du grand salon, achetée à Coulonges, fut réédifiée au château de Terre Neuve en mars 1884." Incroyable précision, que trois ans plus tard, les dits cahiers, lesquels ne contredisent aucunement, pour autant, les assertions de l'auteur des Demeures, ne m'ont pas paru recéler.
Ensuite, qu'il est bien exact que de multiples parties du monument originel ont été transportées à leur emplacement actuel: "Le premier appartement intéressant que nous trouvons dans l'aile du fond porte le nom de Salle du Trésor: c'est la première pièce à plafond plat. Quarante-cinq caissons représentant des fleurons variés à l'infini et d'un modelé très savant la composaient. Toutes ces pierres ont été transportées à Terre Neuve; elles recouvrent le plafond du grand atelier."
De cet atelier, la porte d'entrée, "XVIe siècle, ordre dorique, provenant du château de Coulonges" et notamment décorée de trois salamandres, animal cher à François 1er comme aux alchimistes, est également photographiée par Jules César (J.C.). Lequel prit encore un cliché d'un tapis des Gobelins, ultérieurement donné par Louis XIV à Voyer d'Argenson, garde des Sceaux, dont l'intérêt pour l'alchimie est notoire...
Il n'est pas fait mention dans ces livraisons de Paysages et monuments du Poitou d'un séjour à Terre Neuve de François Rabelais, mais on y rappelle "le long séjour" que fit au couvent des Cordeliers de Fontenay celui qui, par anagramme de son patronyme se fit aussi appeler, comme le souligne Eugène Canseliet, Seraphin Calobarsy.
Fulcanelli le présente comme un possible précepteur de Louis d'Estissac. Les liens entre les deux hommes sont confirmés par Mireille Huchon dans sa récente biographie de l'abstracteur de quintessence Alcofibras Nasier (NRF Gallimard, 2011).
Huchon n'hésite pas au demeurant à consacrer dans cet ouvrage plusieurs pages à l'alchimie de Rabelais: "L'alchimiste s'affiche" dès 1534, note-t-elle ainsi courageusement.
Voici donc tranchée, d'une certaine façon, la question que posait dès 1971 la revue Atlantis dans sa livraison de mars-avril: Rabelais était-il alchimiste? Quelque peu, y répondait Jacques d'Arès, tout en présentant son élève Louis d'Estissac comme un opératif.
Pour terminer (provisoirement, si Dios quiere), je voudrais saluer ici, en changeant d'octave, l'heureuse initiative de Diffusion rosicrucienne, qui propose à la vente depuis peu un enregistrement des fugues de l'Atalante fugitive de Michel Maier.
On pourra au demeurant en écouter de brefs extraits gratuits en suivant le premier lien ad hoc:
http://www.drc.fr/prodManuel/pres-produit/zoom-produit/1816/atalanta-fugiens-_-cd.html?manuel_redir=pres-produit&cat=155
http://recherchestraditions.blogspot.com/2011/10/atalanta-fugiens-cd-michael-maier.html
Il ne s'agit pas là d'une première, je crois qu'il y a eu au moins un précédent britannique (écossais, si je ne me trompe pas), mais cette composition tchèque de Vagantes, dûe en 2004 à Martin Konvalinka est sans doute la plus récente, et me paraît en tout cas excellente.
La musique, de Maier ou pas, est destinée à être jouée. Et l'alchimie est art de musique et d'harmonie. Dans la notice qui accompagne le CD, Konvalinka émet finalement une hypothèse des plus intéressante, et qui de toute façon ne devrait pas choquer nos frères et soeurs en Hermès, en assignant à chaque fugue telle planète et/ou tel élément: Elémentaire, mon cher Rochebrune.
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