Je pense personnellement qu'on aurait tort de négliger les vignettes qui ornent les première et quatrième de couverture des ouvrages de Fulcanelli.
L'exemple de "l'écu final" qui agrémente la fin du texte du Mystère des Cathédrales, sur lequel nous avons déjà réfléchi (Julien Champagne et l'écu final, 18 février 2006) et sur lequel nous reviendrons peut-être, nous y incite en tout cas.
Ces vignettes non signées sont-elles de Champagne? Rien ne le prouve, mais rien non plus ne permet d'en douter. Je prends pour ma part le pari qu'elles sont bien l'oeuvre de Julien.
Dans un livre d'alchimie, c'est peu de dire que rien ne doit être a priori considéré comme étant laissé au hasard. Commençons donc, en ce dimanche du Christ Roi, notre examen de ces motifs par ceux qui décorent l'édition originale des Demeures Philosophales, et que j'ai reproduits dans l'ordre inverse, au début et à la fin de cet articulet.
Pourquoi commencer ici par la fin? D'abord parce que dans la science qui nous occupe, et qui est précisément, comme dirait Muriel Cerf, celle des fins dernières, c'est justement la connaissance poussée de l'aboutissement de l'OEuvre qui permet au...débutant de moins errer.
Au cas particulier, il se trouve en outre que la vignette reproduite ci-dessus a déjà été commentée, et ce sont ces commentaires justement qui vont ce soir nous servir de fil conducteur.
Je ne compte pas cette fois essayer d'interpréter avec vous le sens alchimique des armes parlantes dont il s'agit.
Si je le faisais, je commencerai d'ailleurs sans doute de toute façon par ce lionceau à la crinière tressée comme la ceinture berruyère de l'Offerus de Bourges, avant même de m'intéresser au bouclier qu'il tient dressé, à son chevron, à ses besants et cette étoile que l'on pourrait croire tous issus des neiges éternelles...
Mais voilà, il se trouve qu'on a cru reconnaître dans cette pièce héraldique les armes d'un abbé du mont Saint-Michel, Robert Jolivet. Les dites armes seraient d'ailleurs toujours visibles sur une des tours de la Merveille.
Grâce à Calendrier, rappelons en tout cas qu'elle figurent dans le recueil qu'un élève de Viollet-le-Duc, Edouard Corroyer, a en 1877 (une année fétiche de ce blog) consacré à l'Histoire et aux légendes du mont.
Robert II Jolivet fut effectivement le trentième abbé du Mont, de 1410 à 1444. Il est resté célèbre pour avoir fortifié l'abbaye de 1415 à 1420, avant de passer dans le parti anglais. Malgré cela, les Anglais assiégeant l'abbaye ne purent l'emporter. Juste retour des choses, et gloire à l'Archange!
C'est peut être le moment de rappeler que René Alleau, "historien des sciences" né en 1917 et disciple d'Eugène Canseliet, a non seulement écrit un livre sur les Aspects de l'alchimie traditionnelle (1953), mais aussi a publié un ouvrage sur les Enigmes et symboles du mont Saint-Michel (1970):
http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=livAut&auteur_id=1469
Cet abbé Jolivet nous renvoie quoi qu'il en soit par homonymie à François Jollivet-Castelot (1874-1937), alchimiste parfois un peu rapidement rangé parmi les spagyristes ou "hyperchimistes", et dont d'autres au contraire ont voulu faire un fulcanellisable, en tirant justement argument de la présence des armes de Jolivet sur la couverture d'un livre de Fulcanelli. Je fais ici bien sûr allusion à la thèse - et le mot est topique - de Pierre Pelvet (L'alchimie en France de 1900 à 1950, Paris X-Nanterre, 1980).
Je n'ai pas l'intention de m'immiscer dans ce débat, car tel n'est pas l'objet de ce blog. Mais je voudrais tout de même dire quelques mots de ce savant douaisien, que l'on voit ici dans son laboratoire, car le moins que l'on puisse dire est qu'il a marqué l'histoire de l'alchimie occidentale au tournant du XXème siècle. Et aussi parce que certains membres de son entourage sont également de celui de Julien Champagne.
D'abord, hommage à Douai, et secondairement à mon fils, cette cité nordique abrite toujours une école des mines...
Ensuite, quelques mots sur l'oeuvre justement d'un de ses enfants: La vie et l'âme de la matière (1894); L'Hylozoïsme; l'Alchimie (1896), opuscule dans lequel il qualifie l'alchimiste Albert Poisson d'"illustre"; Comment on devient alchimiste (1897) et en 1901 La science alchimique.
Je ne cherche pas à être complet, mais je voudrais citer également Les sciences maudites (1900), avec des aquarelles de Léon Galand et Paul Girou, parmi lesquelles celle, charmante et ô combien symbolique reproduite ci-dessous.
Dans son livre Fulcanelli dévoilé, Geneviève Dubois précise que Jollivet fut membre du Groupe Indépendant d'Etudes Esotériques, créé en 1889 et devenu en 1894 l'Ecole Hermétique.
Toujours selon Geneviève, le même Castelot créa en 1896 la Société Alchimique de France (SAF), dont la revue s'appela d'abord L'Hyperchimie, puis en 1904 Nouveaux horizons et après 1920 La Rose-Croix.
Les statuts de cette SAF ont été très opportunément imprimés par Les Editions Maçonniques dans leur réédition en 2006 de Comment on devient alchimiste.
J'aimerais en profiter pour rappeler que ce livre de Jollivet-Castelot a été préfacé par Papus (Gaboriau et Champagne, 6 mars 2006).
On voit dans ces statuts que les fondateurs de la SAF sont sept. Outre Jollivet, secrétaire général, "un comité de perfectionnement a été constitué, comprenant Papus (Gérard Encausse), Marc Haven, Sédir".
Sur Haven et Sédir, je vous renvoie principalement à mon article Champagne et l'homme de désir, 10 août 2006.
Parmi les membres fondateurs, "le docteur Gérard Encausse, et MM. Emmanuel Lalande...Stanislas de Guaïta et Tabris (alias René Philipon, Cf. Julien Champagne en maçonnerie égyptienne, 19 novembre 2006).
Enfin parmi les membres honoraires, citons Camille Flammarion (membre d'une autre SAF, celle d'Astronomie, cher Frédéric Courjeaud) et August Stindberg:
http://fr.wikipedia.org/wiki/August_Strindberg
Et après celà, ne croyez surtout pas que le dramaturge suédois bien connu Strindberg fut une exception, et que la renommée internationale de la société alchimique française soit un épiphénomène.
Dès 1897, dans un article intitulé "The alchemical revival", Henry Carrington Bolton la cite nommément et analyse son impact, vu des Etats-Unis. Cet article de la revue américaine Science sera repris devant l'American Chemical Society. Sur Carrington Bolton, voyez:
http://www.chemicalheritage.org/about/boltonia%C2%AD6.pdf
Enfin, en 1926, année de publication de l'édition originale du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli, Jollivet-Castelot était en correspondance avec Harvey Spencer Lewis, l'"imperator" de l'ordre rosicrucien AMORC, comme en fait foi le document ci-dessus, également reproduit.
Sur ce dignitaire américain, je vous renvoie par exemple à:
http://www.crc-rose-croix.org/histoire/lewis.asp
Mais pour ne pas paraître avoir quitté Julien Champagne, je souhaite aussi relever le fait que certains des autographes de Jollivet-Castelot portent comme ici des initiales que nous avons déjà vues et que nous reverrons j'espère.
Enfin, et je terminerai donc par là, la première vignette de couverture des Demeures Philosophales de Fulcanelli, avec son écailleuse tête de poisson, nous rappelle peut-être que le mont Saint-Michel est dit au péril de la mer, et que ni le sel ni la voie humide ne sont absents de la quête alchimique.
Peut-être est-elle, du moins si je suis Walter Grosse, également destinée à appeler notre attention à la fois sur le fait que certain ancêtre de Champagne était fondeur, et sur celui que la symbolique du campanile est elle-même profondément alchimique.
Toujours grâce à Calendrier, et à ses commentaires ci-dessous, nous savons en tout cas que cette cloche décidemment des plus fulcanellienne nous vient du Finis Terrae:
http://campanologie.free.fr/Records.html
Que l'ange qui veille sur le mont, et qui m'est cher à plus d'un titre, car je me souviens parfaitement de certain envol, veuille bien étendre sa protection sur nous, tous et toutes.
http://www.linternaute.com/video/115274/mont-saint-michel/
ARCHER