Retournons pour la cinquième fois ce soir au manoir lexovien de la salamandre (Champagne lexovien, 17 avril 2006, Champagne et le manoir de Lisieux, 28 août 2006, Etoile de Champagne, 23 septembre 2006, Champagne et l'homme à l'écot, 25 septembre 2006).
La planche IX de l'édition originale des Demeures Philosophales de Fulcanelli, illustrée par Julien Champagne, porte le titre suivant: Baphomet - Combat de l'Homme et du Griffon.
Elle est remplacée dans l'édition Pauvert par un cliché qui porte le numéro XII, et qui pourrait bien avoir servi de support à "Hubert" pour son dessin.
"Sur le pilier médian du premier étage, commente Fulcanelli, on remarque un groupe assez intéressant pour les amateurs et les curieux du symbolisme.
Bien qu'il ait beaucoup souffert et s'offre aujourd'hui mutilé, fissuré, corrodé par les intempéries, on en peut, malgré tout, discerner encore le sujet.
C'est un personnage serrant entre ses jambes un griffon dont les pattes, pourvues de serres, sont très apparentes, ainsi que la queue du lion prolongeant la croupe, détails permettant, à eux seuls, une identification exacte.
De la main gauche, l'homme saisit le monstre vers la tête et fait, de la droite, le geste de le frapper."
Pour l'Adepte dévolu au XXème siècle, ce motif est l'un des emblèmes majeurs de la science hermétique, celui qui couvre la préparation des matières premières de l'OEuvre.
"Tandis que le combat du dragon et du chevalier indique la rencontre initiale, le duel des produits minéraux cherchant à défendre leur intégrité menacée, le griffon marque le résultat de l'opération...
Du combat que le chevalier, ou soufre secret, livre au soufre arsenical du vieux dragon, naît la pierre astrale, blanche, pesante, brillante comme pur argent, et qui apparaît signée, portant l'empreinte de sa noblesse, la griffe, ésotériquement traduite par le griffon, indice certain d'union et de paix entre le feu et l'eau, entre l'air et la terre."
Et Fulcanelli de nous livrer toute une série de précieuses indications sur la manière dont il s'agit d'opérer pour parvenir au résultat escompté:
"Si vous désirez posséder le griffon - qui est notre pierre astrale -, en l'arrachant de sa gangue arsenicale, prenez deux parts de terre vierge, notre dragon écailleux, et une de l'agent igné, lequel est ce vaillant chevalier armé de la lance et du bouclier...
De même, les maîtres nous conseillent d'employer aussi un filet délié ou un rets subtil, pour capter le produit au fur et à mesure de son apparition.
L'artiste pèche, métaphoriquement, le poisson mystique, et laisse l'eau vide, inerte, sans âme: l'homme, en cette opération, est donc censé tuer le griffon. C'est la scène que reproduit notre bas-relief."
On voit bien que Mulciber pourrait avoir raison quand il rapproche cette sculpture de la lame de la force dans le tarot, force que nous avons évoquée en son temps à propos du mausolée de François II à Nantes (Champagne force aimant, 11 mars 2006, De François II à Julien Champagne, 27 septembre 2006).
J'aurais tout aussi bien pu intituler cet article-ci Baphomet de Champagne. En effet, le grotesque qui surplombe la scène précédemment étudiée retient également l'attention de Fulcanelli:
"Sculptée au-dessus du groupe de l'homme au griffon, vous remarquerez une énorme tête grimaçante, agrémentée d'une barbe en pointe.
Les joues, les oreilles, le front en sont étirés jusqu'à prendre l'aspect d'expansions flammées. Ce masque flamboyant, au rictus peu sympathique, apparaît couronné et pourvu d'appendices cornus, enrubannés, lesquels s'appuient sur la torsade du fond de corniche.
Avec ses cornes et sa couronne, le symbole solaire prend la signification d'un véritable Baphomet, c'est-à-dire de l'image synthétique où les Initiés du Temple avaient groupé tous les éléments de la haute science."
Pour l'Adepte, on y retrouve d'abord la fusion mystique des natures de l'OEuvre, que symbolisent les cornes du croissant lunaire posées sur la tête solaire. Mais il y voit aussi un sens apocalyptique, préfigurant les derniers chapitres du Mystère des Cathédrales comme des Demeures Philosophales, et sans doute ceux de son troisième livre non paru, le Finis Gloriae Mundi:
"On n'en est pas moins surpris de l'expression étrange, reflet d'une ardeur dévorante, que dégage cette face inhumaine, spectre du dernier jugement.
Il n'est pas même jusquà la barbe, hiéroglyphe du faisceau lumineux et igné projeté vers la terre, qui ne justifie quelle connaissance exacte de notre destinée le savant possédait."
Puis Fulcanelli revient sur le sens microcosmique et alchimique de cet emblème.
"On peut dire, sans trop divulguer, que le soufre, père et teinturier de la pierre, féconde la lune mercurielle par immersion, ce qui nous ramène au baptème symbolique de Mété exprimé par le mot baphomet."
Et il cite un passage de la Bibliographie générale des Sciences occultes de "l'érudit et savant philosophe" Pierre Dujols (Julien Champagne et le libraire du Merveilleux, 19 avril 2006), ouvrage pourtant non publié à ma connaissance:
"Comme les Templiers, les Ophites avaient deux baptèmes: l'un, celui de l'eau ou exotérique; l'autre, ésotérique, celui de l'esprit ou du feu. Ce dernier s'appelait baptème de Mété."
Et il conclut en affirmant que le baphomet apparaît donc bien comme l'hiéroglyphe complet de la science, figurée ailleurs dans personnalité du dieu Pan, image mythique de la nature en pleine activité. Et il se réfère encore à Magophon:
"Mété était une divinité androgyne figurant la nature naturante...Proclus dit textuellement que Métis ou Natura germinans était le dieu hermaphrodite des adorateurs du Serpent...le Baphomet était l'expression païenne de Pan."
Mais pour lui la mystique chrétienne véhicule le même message; ainsi par exemple du mythe du Graal:
"Le sang qui bouillonne dans le saint calice est la fermentation ignée de la vie génératrice...Le Pain et le Vin du sacrifice mystique, c'est le feu dans la matière, qui, par leur union, produisent la vie."
Avant de clore, peut-être provisoirement, ce chapitre Lisieux, il me reste à remercier, outre Mulciber, Alejandro, à qui nous devons ces deux belles gravures romantiques sur Lisieux, la première étant de Robida, et la seconde extraite de l'essai de Challamel sur "le manoir de François 1er":
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