Dans mon dernier message consacré à Maryse Choisy (Julien Champagne entre chien et chat, 21 septembre 2006), je n'avais pas tort, finalement, de vous recommander son livre Sur le chemin de Dieu on rencontre d'abord le diable (Emile-Paul, 1977).
Cet ouvrage, qui en fait relate ses mémoires de 1925 à 1939, la révèle effectivement d'abord pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une femme forte, à la personnalité à la fois...fragile et affirmée, bref attachante.
Oh dans ces "mémoires d'une pudique impudeur", il n'est pas directement question de Julien Champagne, bien sûr.
Mais on y retrouve, tenez, René Guénon, rencontré chez Paul Bourget, vers 1925 justement:
"Soudain je fus prise d'une crise de prophétie.
- Vous ne resterez pas à Paris. Vous retournerez en Orient. Non, pas en Asie...Plutôt en Méditerranée. Vous deviendrez une sorte de demi-dieu. Vous serez suivi par toutes les personnes qui recherchent les vérités secrètes. Une doctrine sortira de vous...
Il répliqua sur le même mode d'outre-monde, la voix vêtue de voiles:
- Vous aussi, vous deviendrez très célèbre...Mais les gens ne comprendront pas de suite votre rire. Vous serez grande."
Rapprochons-nous encore d'"Hubert", et voici l'inquiétant docteur Alexandre Rouhier (Champagne au Grand Lunaire, 25 juin 2006), et cette fois, en outre, c'est la peintre qui parle, après la deuxième guerre mondiale et le grave accident qui frappa Maryse en 1945, lequel lui inspire un tableau:
"Ca commençait à ressembler à un paysage un peu terrifiant...de l'eau sous les montagnes, un défilé, un vieux Temple...
Dans le catalogue de la galerie de la rive gauche où j'exposai mes oeuvres en 1947, cette toile portait le titre de Temple englouti.
Enthousiasmé par le quelque chose d'étrangement inquiétant qui se dégage de cette peinture, le Dr Rouhier tint à l'accrocher dans sa librairie Véga.
J'eus beaucoup d'occasions de la vendre. J'ai refusé. Je ne saurais dire pourquoi j'y tiens."
Mais revenons à l'époque de Julien Champagne, et sans nous éloigner pour autant du soufisme guénonien retrouvons en 1932...Carlos Larronde (Le maître verrier et Julien Champagne, 21 septembre 2006).
"Mon premier maître fut soufi. Il se nommait Richardson. Selon la coutume musulmane nous l'appelions Murchid.
Ses disciples étaient des écrivains et des journalistes. Fernand Divoire m'introduisit dans ce cercle où je revis Carlos Larronde, qui était quelqu'un d'important à la radio.
Murchid nous enseigna la méditation, le vide, le lotus et quelques autres exercices de yoga. Un peu courte, sa philosophie. En revanche, son intuition nous étonnait."
En fait, Richardson prédit l'assassinat du président de la République Paul Doumer, survenu la même année. Curieusement, toujours en 1932, Ralph Soupault caricaturait dans le magazine Comoedia un gouvernement de femmes, où Choisy était Président du Conseil...
"Cet événement nous secoua", commente brièvement Maryse Choisy à propos de la disparition de Paul Doumer, et non de la mort de Champagne. Et elle ajoute aussitôt:
"Moi je créai un hebdomadaire ésotérique: Votre Bonheur, puis Consolation. Henri Bergson me donna un brillant article pour le premier numéro...
Après quelque temps, je me vis entourée de petits mages qui rêvaient d'aventures faustiennes. Ils évoquaient un ange dont le nom se terminait en ael et s'étonnaient qu'il cassât de la vaisselle.
Après Péladan je découvrais qu'il était dangereux de fréquenter des alchimistes et des groupes d'occultistes sans être rattachée à quelque vraie et grande Eglise.
Je cherche Dieu dans tous les cieux. Depuis trois ans je suis inquiète. Je demande des prêtres à tous mes amis...Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père."
Voilà qui, je crois, est clair. Nous reviendrons plus tard, j'espère, sur Votre Bonheur et Consolation.
Dans l'attente, je vous propose de savourer avec moi la première et la dernière phrase de ces mémoires de Maryse Choisy, dont le titre me rappelle beaucoup cette citation du "grand intuitif" que fut Emile-Jules Grillot de Givry, in Le Grand OEuvre: Celui qui ne descend pas ne montera pas:
http://www.evene.fr/tout/grillot-de-givry
"J'écris pour les berceaux...je regarde le monde avec des yeux qui ne sont pas encore nés. Dans le lait de la tendresse humaine je verse l'élixir de ma propre vie." Et
"Tant que mes projets s'inscriront dans le plan du cosmos, il ne peut rien m'arriver de fâcheux. Mon Dieu, que votre volonté soit faite!"
Ou encore, dans L'être et le silence (éditions du Mont-Blanc, Genève, 1964):
"Peut-être ne puis-je écrire que pour les berceaux?". Et ibidem, "tout vieillard qui ne s'est pas construit un corps glorieux retombera en enfance."
http://touscesgens.hautetfort.com/archive/2007/09/02/maryse-choisy.html
Plus près encore si c'est possible de l'alchimie, lisons ensemble ce bref et beau poème extrait de son recueil Fugues (Jean-Renard, Paris, 1942):
Déjà curieusement intitulé Harmonie des sphères, il s'achève de façon éloquente ou comme on voudra limpide: "Dans l'Athanor le ciel vient boire."
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