C'est avec cette belle gravure romantique du manoir de la salamandre ou si vous préférez de la maison François 1er, à Lisieux, que je vous propose de revenir maintenant pour la troisième fois, en compagnie de Fulcanelli et de son dessinateur Julien Champagne, sur ce logis alchimique qui fut vraisemblablement édifié et occupé par un Adepte, resté dans un anonymat total.
Sans pouvoir conclure, Fulcanelli s'est cependant livré à son propos à toute une étude historique qui l'a conduit à se demander si cet alchimiste n'aurait pas été proche du groupe d'hermétistes qui à cette époque ont oeuvré, à Caen et à Flers, et qu'on connaît généralement sous le nom générique des "alchimistes de Flers": Grosparmy, Valois, et Vicot.
Sur le manoir de Lisieux et son histoire, sur laquelle nous reviendrons j'espère, n'hésitez pas dans l'attente à consulter:
http://hdelboy.club.fr/salamandre_lisieux.html
http://www.bmlisieux.com/normandie/maisonlx.htm
Dans mes précédents articles sur ce charmant édifice hélas disparu (Champagne lexovien, 17 avril 2006 et Champagne et le manoir de Lisieux, 28 aout 2006), je n'ai pas abordé l'une des pièces maîtresses de la "méson", qui est tout simplement sa porte d'entrée. Ouvrons donc ensemble cette porte, étudiée en détail par Fulcanelli dans le chapitre des Demeures Philosophales qu’il a consacré au manoir.
Et précisons d’emblée que la planche V de l'édition originale des Demeures, oeuvre de Julien Champagne, n'étant qu'imparfaitement remplaçée dans l'édition Pauvert de 1977 par un cliché que je trouve pour ma part peu élégant (planche VIII), j'ai choisi de vous en présenter un autre.
"Nous voici, nous dit donc Fulcanelli, à l'entrée, close depuis longtemps du joli manoir. La beauté du style, le choix heureux des motifs, la délicatesse de l'exécution font de cette petite porte l'un des plus agréables spécimens de la sculpture sur bois au XVIème siècle.
C'est une joie pour l'artiste, autant qu'un trésor pour l'alchimiste, que ce paradigme hermétique exclusivement consacré au symbolisme de la voie sèche, la seule que les auteurs aient réservée sans en fournir d'explication."
L'Adepte précise alors que dans l'analyse de ce paradigme, il respectera l'ordre du travail, sans se laisser guider par des considérations d'ordre esthétique ou de logique architecturale, et ce afin de rendre plus sensible aux étudiants la valeur des emblèmes examinés.
Et il enchaîne aussitôt:
"Sur le tympan de l'huis aux panneaux sculptés, on remarque un intéressant groupe allégorique composé d'un lion et d'une lionne se faisant vis-à-vis. Ils tiennent tous deux, par leurs pattes antérieures, un masque humain personnifiant le soleil, cerné d'une liane recourbée en manche de miroir."
Fulcanelli estime que lion et lionne, principe mâle et vertu femelle, reflètent l'expression physique des deux natures, de forme semblable, mais de propriétés contraires, que l'art doit élire au début de la pratique.
"De leur union, accomplie selon certaines règles secrètes, provient cette double nature, matière mixte que les sages ont nommée androgyne, leur hermaphrodite ou Miroir de l'Art.
C'est cette substance, à la fois positive et négative, patient contenant son propre agent, qui est la base, le fondement du Grand OEuvre."
"Au poteau d'huisserie gauche de la porte que nous étudions, un sujet en haut-relief attire et retient l'attention.
Il figure un homme richement vêtu du pourpoint à manches, coiffé d'une sorte de mortier, et la poitrine blasonnée d'un écu montrant l'étoile à six pointes.
Ce personnage de condition, campé sur le couvercle d'une urne aux parois repoussées, sert à indiquer, suivant la coutume du moyen âge, le contenu du vaisseau."
C'est, ajoute Fulcanelli, la substance qui, au cours des sublimations, sélève au-dessus de l'eau, qu'elle surnage comme une huile; c'est l'Hypérion et le Vitriol de Basile Valentin, le lion vert de Ripley et de Jacques Tesson, en un mot la véritable inconnue du grand problème.
Et il termine, naturellement, par une explication du motif de la salamandre:
"Voici maintenant le dernier sujet décoratif de notre porte. C'est une salamandre servant de chapiteau à la colonnette torse du jambage droit.
Elle nous paraît être, en quelque sorte, la fée protectrice de cette agréable demeure, car nous la retrouvons sculptée sur le corbeau du pilier médian, situé au rez-de-chaussée, et jusque sur la lucarne du grenier.
Il semblerait même, étant donné la répétition voulue du symbole, que notre alchimiste eût une préférence marquée pour ce reptile héraldique."
Pour lui, la salamandre est l'hiéroglyphe du feu secret des sages:
"Dans l'élaboration du mercure, rien ne saurait se substituer au feu secret, à cet esprit susceptible de l'animer, de l'exalter et de faire corps avec lui, après l'avoir extrait de la matière immonde...
Ce Bélier "qui cache en soy l'acier magique" porte ostensiblement sur son écu l'image du sceau hermétique, astre aux six rayons.
C'est donc dans cette matière très commune que nous devons rechercher le mystérieux feu solaire, sel subtil et soufre spirituel, lumière céleste diffuse dans les ténèbres du corps, sans laquelle rien ne peut se faire et que rien ne saurait remplacer."
ARCHER