Sauf erreur, voici après notre article "Champagne et le caput mortuum" (11 septembre 2006) la dernière planche que nous devions évoquer de Julien Champagne qui soit consacrée à l'hotel Lallemant de Bourges, dans l'édition originale du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli.
Elle y porte le numéro XXXIV et est remplacée dans l'édition Pauvert par le cliché XLV. Comme son titre l'indique, elle n'illustre qu'un fragment du plafond de la chapelle.
En effet, sur la trentaine de caissons alchimiques que comporte ce plafond, qui est comme un modèle réduit de la galerie du chateau de Dampierre-sur-Boutonne, Fulcanelli a curieusement choisi de n'en faire reproduire que six.
"Notre intention, explique-t-il, n'est pas d'analyser par le menu toutes les images qui décorent les caissons de ce plafond modèle dans le genre.
Le sujet, fort étendu, nécessiterait une étude spéciale et nous obligerait à de fréquentes redites."
Cette étude, il l'entreprendra pourtant sur Dampierre, dans Les Demeures Philosophales, à propos d'un ensemble architectural bien plus volumineux...
"Nous nous bornerons donc, annonce l'Adepte, à en donner une rapide description et à résumer ce qu'expriment les plus originaux."
Quant à nous, nous allons bien entendu nous concentrer sur les six caissons dessinés par Julien Champagne, que comme pour Dampierre nous allons aborder un par un.
J'ai pensé qu'il pourrait être intéressant de reproduire à côté des dessins d'"Hubert " ceux de Christian Dumolard dans son excellent site de La Rue de l'Alchimie:
http://hermetism.free.fr/archi-lallemant.htm
Notons d'ailleurs en passant que Bourges a ou a eu une rue de l'alchimie. Notons surtout qu'avec Jean-Jacques Mathé, Christian Dumolard est un des très rares auteurs à avoir étudié de près les caissons de la chapelle de l'hotel Lallemant.
Les Croquis du plafond alchimique de l'hôtel Jean Lallemant à Bourges de Christian Dumolard ont paru en 1982, puis semble-t-il en 1991 aux éditions L'Or du Temps.
Le livre de Jean-Jacques Mathé sur L'interprétation alchimique des caissons de l'hotel Lallemant a été publié aux éditions belges du Baucens en 1976.
Je m'inspirerai également, bien entendu, de l'excellente étude d'Hervé Delboy sur le même monument:
http://hdelboy.club.fr/plafond_lallemant.html
http://hdelboy.club.fr/plafond_lallemant.pdf
Mais il va aussi de soi que pour chaque emblème, je signalerai la mention qui en est faite par Fulcanelli, fût-elle laconique.
C'est précisément le cas, en particulier, du premier d'entre eux, puisque l'Adepte se contente d'écrire à son propos:
"Nous remarquons aussi le livre ouvert dévoré par le feu."
Ce symbole du livre ouvert ou fermé est bien connu, nous avons déjà compris que le livre ouvert représente pour sa part la matière préparée, ouvrée.
Delboy cite ici Eugène Canseliet:
"Cet emblème allégorise la liquation de la matière au début du Grand OEuvre, exactement la séparation de la lumière d'avec les ténèbres par l'intervention du fer ouvrant, avec l'aide du feu, le grand Livre de la Nature."
Fulcanelli n'est guère plus disert à propos de notre second caisson, qu'il se contente de décrire et de commenter ainsi:
"La colombe auréolée, radiante et flamboyante, emblème de l'esprit."
La colombe, ajoute et confirme Delboy, exprime au mieux les félicités à venir, pour l'artiste qui aura su peser juste les matières de l'OEuvre: L'esprit, l'âme et le corps.
Que ce volatile soit ici plus spécialement voué à la représentation de l'illumination nécessaire à cette juste pesée me semble être bien souligné par les langues de feu qui l'entourent et semblent en émaner, et qui nous rappellent celles de la Pentecöte.
Du troisième caisson, Fulcanelli ne dit que quelques mots, se montrant là encore extrêmement...lapidaire:
"Le corbeau igné, juché sur le crâne qu'il becquète, figures assemblées de la mort et de la putréfaction."
Dumolard identifie pour sa part ce volatile avec le faucon pèlerin des chasses royales du Moyen Age et de la Renaissance, et cite Charles d'Arcussia, grand fauconnier royal:
" Il faut préférer le faucon parce qu'il est le signe hiéroglyphique de la victoire et parce que les os de ses cuisses attirent l'or comme l'aimant attire le fer."
Pour Delboy, le corbeau est l'autre nom que l'on donne au laiton, à l'airain, bref à l'amalgame philosophique.
Les Latins dédièrent sa constellation à Apollon, parce qu'il désaltéra le dieu de la lumière. C'est donc l'oiseau du soleil, ce qu'on aurait tendance à oublier, les alchimistes ne cessant de parler de tête de corbeau lorsqu'ils veulent signifier leur putréfaction.
Peut-être tient-on ici l'explication de cette parabole obscure de Philalèthe: "Le lion mourant, naît le corbeau."
Nouvelle illustration du fait que c'est la mort qui détient le secret de la vie.
Le quatrième motif est tout de même un peu moins austère et - peut-être par coïncidence - Fulcanelli se montre un peu plus bavard à ce moment précis:
"L'ange qui fait tourner le monde à la façon d'une toupie, sujet repris et développé dans un petit livre intitulé Typus Mundi, oeuvre de quelques pères Jésuites."
Dans cette toupie, Delboy voit un bilboquet et estime que ce jouet nous renvoie à un artifice précis:
"L'ange dévide un fil qui s'entoure autour d'une sphère surmontée du symbole cruciforme, en somme de la stibine."
C'est pour lui indiquer par là le mouvement requis au troisième oeuvre, où l'artiste doit entretenir un va-et-vient incessant de son compost.
Et de citer de nouveau Canseliet:
"La pénétration de la matière brute et frigide par l'esprit incisif et igné, celle du globe par le fer, demeure tributaire du tour de main que la Nature exige de l'artiste la copiant et lui aidant."
Fulcanelli précise que le cinquième caisson se rapporte à "la calcination philosophique, symbolisée par une grenade soumise à l'action du feu dans un vase d'orfèvrerie.
Au-dessus du corps calciné, ajoute-t-il, on distingue le chiffre 3 suivi de la lettre R, qui indiquent à l'artiste la nécessité des trois réitérations d'un même procédé."
L'Adepte ajoute d'ailleurs avoir déjà plusieurs fois insisté sur la nécessité de ces réitérations. Il ne se prive pas, pourtant, d'y revenir encore peu après, en analysant l'énigme de la crédence de l'hôtel Lallemant, que nous avons déjà exposée (Julien Champagne au rebis, 25 juillet 2006):
"Les trois grenades ignées du fronton confirment cette triple action d'un unique procédé, et, comme elles représentent le feu corporifié dans ce sel rouge qu'est le Soufre philosophal, nous comprendrons aisément qu'il faille réitérer trois fois la calcination de ce corps pour réaliser les trois oeuvres philosophiques."
"Enfin, écrit Fulcanelli, l'image suivante représente le ludus puerorum commenté dans la Toison d'or de Trismosin et figuré d'une manière identique:
Un enfant fait caracoler son cheval de bois, le fouet haut et la mine réjouie."
Delboy rapproche ce fouet qui fustige de la marotte des fous, et donc du mercure. Mais de quel mercure s'agit-il? Il semble pencher pour le premier. Et de citer...Fulcanelli:
"On sait qu'après leur sortie d'Egypte les enfants d'Israël durent camper à Réphidim, où il n'y avait point d'eau à boire; Moïse par trois fois frappa de sa verge le rocher Horeb, et une source d'eau vive jaillit de la pierre aride."
Et le cheval, me direz-vous? Peut-être symbolise-t-il le langage des simples, des parvuli, qui est aussi celui de la Nature, des Rois et des Dieux.
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