Je crois bien que c'est Atorène, dans son remarquable ouvrage : Le laboratoire alchimique, paru en 1981 chez Guy Trédaniel, qui le premier a attiré l'attention sur le le fait que Julien Champagne - et d'ailleurs Eugène Canseliet - a été pendant un certain temps le voisin du père de Stéphane Grappelli.
Ce livre a ensuite été traduit en espagnol (El laboratorio alquimico, Luis Carcamo, 1989, et Humanitas, 1998) et en italien (Il laboratorio alchemico, Mediterranee, 1996). Comme je n'ai sous la main que cette dernière édition, et que les autres semblent actuellement épuisées, voici la citation correspondante, dans la langue de Pétrarque et Dante et extraite de la notice biographique que l'auteur consacre à Eugène Canseliet:
"1925 - All'inizio dell'anno si stabilisce, insieme con J.J. Champagne, al numero 59 bis di via Rochechouard (sic) a Paragi, ciascuno in una mansarda al sesto piano. La camera accanto alla sua è occupata dal padre di Stéphane Grappelli."
Et grâce à la "toile" et à Patrick Rivière, voici le texte équivalent dans l'idiome de Rabelais et de Cyrano de Bergerac:
"1925 - En début d'année, il s'installe avec J.J. Champagne au 59 bis de la rue Rochechouard (resic) à Paris, chacun dans une mansarde au sixième étage. La chambre qui jouxte la sienne est occupée par le père de Stéphane Grappelli."
http://www.alchymie.net/alchimistes/e_canseliet.htm
Bien entendu, Eugène Canseliet avait lui-même et si j'ose dire par avance confirmé ce point (notamment dans ses Alchimiques mémoires de la revue La Tourbe des Philosophes, numéro 3, 1978). Julien Champagne et lui ont donc occupé leurs "mansardes" respectives, à cette
même adresse, de 1925 à 1932, année du décès de Champagne.
Mais qu'en dit pour sa part le grand violoniste Stéphane Grappelli (1908-1997)? Et bien, ouvrons le livre de ses propres mémoires, intitulé Mon violon pour tout bagage, paru de son vivant en 1992 chez Calmann-Lévy.
Superbe titre d'ailleurs, qui rappelle en particulier celui d'une pièce de théatre du bel écrivain que fut Jean Anouilh - Le voyageur sans bagage-, titre philosophique s'il en est, voire évidemment alchimique, par exemple si l'on songe au mythe rosicrucien des "nobles voyageurs".
Et bien, Grappelli confirme! Oh il n'évoque directement ni Champagne, ni Canseliet, mais pour lui, le 59 bis de la rue Rochechouart est bien resté manifestement lié à sa prime enfance, auprès de ses parents, que nous voyons ci-dessus avec leur fils en 1909.
Hélas, il aura la douleur de perdre très tôt sa maman, Anna, à l'âge de quatre ans, et c'est à l'occasion de ce deuil que son père Ernesto et lui ont emménagé dans leur nouveau logis, peu avant la première guerre mondiale, probablement vers 1912:
"Après sa disparition, nous avons échoué, rue de Rochechouart, au 59 bis, dans une chambre de bonne du sixième étage."
Cet étage sera aussi une douzaine d'années plus tard celui où résideront Canseliet et Champagne. Et Grappelli de tracer alors de son papa d'origine italienne un portrait émouvant, qui aurait sans doute plu à nos deux alchimistes:
"C'était une espèce d'érudit, bohème. Il était licencié ès lettres. Pour lui, l'argent n'avait guère d'importance. Il vivait au jour le jour. Il passait le plus clair de son temps à la Bibliothèque nationale, à traduire Virgile et d'autres auteurs latins ou grecs anciens."
Ernesto était aussi mélomane et c'est lui qui, le premier, donna à Stéphane le goût de la musique. Après la guerre, il s'établira en Alsace avec une autre Anna, et en 1923, à quinze ans, son fils se retrouvera seul rue Rochechouart. Mais avant de le quitter, il lui fit cadeau d'un violon...
Notons encore que Grappelli a également appris précocement à jouer du piano. Et qu'entre deux tournées, jusqu'en 1931 au moins, il est resté fidèle à sa chambre de la rue Rochechouart.
Non seulement donc il a pu, mais il a dû rencontrer à maintes reprises, peut-être de façon épisodique, et Eugène et Julien, ce dernier, né un an après Ernesto, étant certes d'une autre génération; mais Canseliet, lui, aurait presque pu être pour lui une sorte de frère aîné.
Je ne voudrais pas quitter Grappelli sans ajouter que sa musique reste vivante, et qu'avec celle de ses amis Django Reinhardt, Yehudi Menuhin et autres, elle continue et continuera sans doute longtemps à toucher le coeur des hommes, fussent-ils les plus humbles.
Je voudrais aussi vous signaler que dans un DVD où il fait le bilan de sa carrière, Stéphane évoque là encore le fameux 59 bis:
http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=1439600&Mn=3&Origin=fnac_google&Ra=-3&To
=0&Nu=2&Fr=3
Mais en retrouvant Champagne, allons-nous quitter Grappelli? Pas sûr. Dans mon article Canseliet ami de Champagne (11 février 2006), j'ai déjà mentionné le fait que pour Eugène Canseliet Julien Champagne, passé maître dans l'art du pinceau et du crayon, en était aussi un...
dans celui du violon.
Et il y a encore un autre témoignage, intéressant à bien des égards, qui tendrait à confirmer que Champagne a aussi enseigné, et à prouver qu'à lui non plus le piano n'était pas inconnu. Ce témoignage nous est rapporté par Robert Amadou dans le numéro 75 du magazine L'Autre monde (1983). Le voici, dans les mots de Robert:
"Un lecteur qui a désiré gardé l'anonymat m'apporte des éléments d'information que je vais résumer.
Son premier souci est de défendre la mémoire de Julien Champagne. En particulier, il a trouvé dans mon article l'écho d'une accusation d'ivrognerie qui fut portée contre Julien Champagne, et il s'indigne: C'est une calomnie.
Sa marraine a travaillé avec Champagne qui était son professeur de piano et de dessin et dont elle fut amoureuse."
CQFD. Mais la suite n'est pas mal non plus:
"Elle veillait aux feux de l'athanor et assista à la première transmutation que Champagne réalisa, en présence et avec l'aide d'Eugène Canseliet., dans une chambre d'hôtel.
De l'or philosophal obtenu en cette occasion servit pour une bague qu'elle portait et qui a aujourd'hui disparu.
Disparue aussi, après la mort de Champagne, une petite valise de couleur verte, enlevée par un disciple.
Lors de ses expériences alchimiques au bois de Boulogne, Champagne fut blessé à la jambe par une explosion.
Il fut accusé de sorcellerie et connut des démêlés avec l'autorité militaire, "car il gênait tout le monde."
Sans commentaires.
Pour conclure, certes provisoirement, voici une hémérocalle, fleur de jardin qui en anglais porte le nom poétique de daylily, ou lis de jour.
Cette espèce particulière a été baptisée Stéphane Grappelli. La forme de ses pétales me rappelle fortement celle du Sceau de Salomon.
Il s'agit là d'un hybride de création récente (1999). Parmi ses "parents", j'ai relevé les patronymes de Magicien de cour et de Déesse de l'amour.
C'est en tout cas Walter Grosse qui en publiant les résultats d'un recensement de 1926 a confirmé la réalité de ce qui précède:
http://fulgrosse.over-blog.com/article-6434752.html
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