La planche XXVIII de l'édition originale des Demeures Philosophales de Fulcanelli, illustrée par Julien Champagne, est de nouveau consacrée aux caissons alchimiques de la galerie du premier étage du château de Dampierre-sur-Boutonne.
Cette troisième série de caissons est bien sûr également reproduite dans l'édition Pauvert des Demeures (tome 2, planche XXX, 1977).
Je vous propose cette fois encore de passer en revue les emblèmes qui la composent, et ce l'un après l'autre.
"La figure géométrique que nous rencontrons ici, nous dit Fulcanelli, ornait fréquemment les frontispices des manuscrits alchimiques du moyen âge.
On l'appelait communément Labyrinthe de Salomon, et nous avons signalé ailleurs qu'elle se trouvait reproduite sur le dallage de nos grandes églises ogivales.
Cette figure porte la devise: .FATA.VIAM.INVENIENT. Les destins trouveront bien leur voie."
Pour l'Adepte, le labyrinthe est le symbole parlant du Grand OEuvre considéré sous l'angle de sa réalisation matérielle et exprime les deux grandes difficultés que comporte l'ouvrage:
"De ces deux points, le premier regarde la connaissance de la matière, qui assure l'entrée, et celle de sa préparation, que l'artiste accomplit au centre du dédale.
Le second concerne la mutation, par le secours du feu, de la matière préparée. L'alchimiste refait donc, en sens inverse, mais avec prudence, lenteur, persévérance, le parcours rapidement effectué au début de son labeur."
Et de préciser que c'est à cette seconde phase ou période de l'OEuvre que s'applique l'enseigne latine:
"A partir du moment où le compost, formé de corps vitalisés, commence son évolution, le mystère le plus impénétrable couvre alors de son voile l'ordre, la mesure, le rythme, l'harmonie et le progrès de cette admirable métamorphose que l'homme n'a point la faculté de comprendre ni d'expliquer.
Abandonnée à son propre sort, soumise aux affres du feu dans les ténèbres de son étroite prison, la matière régénérée suit la voie secrète tracée par les destins."
"Dessin effacé, sculpture au relief disparu. Seule, l'inscription subsiste, et la netteté de sa gravure tranche sur l'uniformité nue du calcaire environnant; on y lit: .MICHI.CELVM. A moi le ciel!"
Pour Fulcanelli, cette expression est moins celle de l'idée présomptueuse et baroque d'une illusoire conquête de l'empyrée que d'un espoir radieux dirigé vers la connaissance des choses célestes. Parvenu au résultat tangible du labeur hermétique, le philosophe n'ignore plus quelle est la puissance, la prépondérance de l'esprit.
"Aussi, peut-on conserver l'espoir d'obtenir, par le simple examen du labeur spirituel dans l'ouvrage hermétique, les éléments d'une conception moins vague du Grand OEuvre divin, du Créateur et des choses créées."
Faisant probablement allusion à l'étude déjà citée de Louis Audiat, Fulcanelli précise d'emblée à propos de ce caisson:
"Nos prédécesseurs n'ont reconnu, dans ce petit sujet, que le symbole attribué au roi de France Henri II.
Il se compose d'un simple croissant lunaire, que cette devise accompagne: .DONEC.TOTVM. IMPLEAT.ORBEM. Jusqu'à ce qu'il emplisse toute la terre."
Pour l'Adepte, la lune marque en fait le but final de l'OEuvre au blanc. C'est en effet au règne de la lune que paraît la couleur caractéristique de l'argent, c'est-à-dire le blanc.
"A cette phase de la coction le rebis offre l'aspect de fils fins et soyeux, de cheveux étendus à la surface et progressant de la périphérie vers le centre.
D'où le nom de blancheur capillaire qui sert à désigner cette coloration. La lune, disent les textes, est alors dans son premier quartier.
Sous l'influence du feu, la blancheur gagne en profondeur, atteint toute la masse et vire, en surface, au jaune citron. C'est la pleine lune; le croissant s'est amplifié jusqu'à former le disque lunaire parfait: il a complètement empli l'orbe."
"Fixée sur un tronc d'arbre couvert de feuilles et chargé de fruits, une banderole déroulée porte l'inscription: .MELIVS.SPE.LICEBAT. Certes, on pouvait espérer mieux."
Pour Fulcanelli, nous avons ici affaire à une image de l'arbre solaire que signale le Cosmopolite dans son allégorie de la forêt verte.
"Notre Adepte entend ainsi parler du premier soufre, qui est l'or des sages, fruit vert, non mûr, de l'
arbor scientiae.
Si la phrase latine traduit quelque déception d'un résultat normal, et que beaucoup d'artistes seraient bien aises d'obtenir, c'est qu'au moyen de ce soufre on ne peut encore espérer la transmutation. L'or philosophique, en effet, n'est pas la pierre."
Mais, ajoute-t-il, si le découragement n'atteint pas le disciple, qu'il suive l'exemple de Saturne et redissolve dans le mercure, selon les proportions indiquées, ce fruit vert que la bonté divine lui a permis de cueillir, et il verra ensuite, de ses yeux, se succéder toutes les apparences d'une maturation progressive et parfaite.
"Deux pélerins, pourvus chacun d'un chapelet, se rencontrent à proximité d'un édifice, -église ou chapelle, - que l'on aperçoit au second plan.
De ces hommes fort âgés, chauves, portant la barbe longue et le même vêtement, l'un soutient sa marche à l'aide d'un bâton; l'autre, qui a le crâne protégé par un épais capuce, semble manifester une vive surprise de l'aventure, et s'écrie:
.TROPT.TART.COGNEV.TROPT.TOST.LAISSE."
Pour Fulcanelli, sous l'aspect du premier vieillard, c'est le mercure, notre fidèle serviteur, qui est figuré.
"Le chapelet qu'il tient forme, avec le bourdon, l'image du caducée, attribut symbolique d'Hermès...La matière dissolvante est communément reconnue, entre tous les philosophes, pour être le vieillard, le pélerin et le voyageur du grand Art."
Et le second peregrinus, me direz-vous?
"Quant au vieil alchimiste, si joyeux de cette rencontre, s'il n'a point su jusqu'ici où trouver le mercure, il montre assez combien pourtant la matière lui en est familière, car son propre rosaire, hiéroglyphe parlant, représente le cercle surmonté de la croix, symbole du globe terrestre et signature de notre petit monde.
On comprend alors pourquoi le malheureux artiste regrette cette reconnaissance tardive, et son ignorance d'une substance commune, qu'il avait à sa portée, sans jamais penser qu'elle pût lui procurer l'eau mystérieuse, vainement cherchée ailleurs..."
"Dans ce bas-relief sont figurés trois arbres voisins et de pareille grandeur: deux de ceux-ci montrent leur tronc et leurs rameaux desséchés, tandis que le dernier, resté sain et vigoureux, paraît être à la fois la cause et le résultat de la mort des autres.
Ce motif est orné de la devise: .SI.IN.VIRIDI.IN.ARIDO.QVID. S'il en est ainsi dans les choses verdoyantes, qu'en sera-t-il dans les choses sèches?"
Fulcanelli considère ici que suivant le principe d'analogie, ce qui se passe dans le règne végétal doit trouver son équivalence dans le règne minéral.
"Les trois arbres constituent ainsi un emblème transparent de la façon dont naît la pierre des philosophes, premier être ou sujet de la pierre philosophale...
Telle est l'origine de notre pierre, pourvue dès sa naissance de la double disposition métallique, laquelle est sèche et ignée, et de la double vertu minérale, dont l'essence est d'être froide et humide.
Ainsi réalise-t-elle, en son état d'équilibre parfait, l'union des quatre éléments naturels, que l'on rencontre à la base de toute philosophie expérimentale."
Après avair remarqué que le motif ci-dessus est curieusement sculpté de façon à ce qu'il apparaisse couché, à l'inverse des autres, et l'ayant donc redressé pour en faciliter la lecture, voyons ensemble ce que nous en dit l'Adepte:
"Dressée sur son bâti, et plongeant à demi dans l'auget, une meule de grès n'attend plus que le rémouleur pour la mettre en action.
Toutefois, l'épigraphe de ce sujet, qui devrait en souligner la signification, semble au contraire ne présenter aucun rapport avec lui; et c'est avec une certaine surprise qu'on y lit cette inscription singulière:
.DISCIPLVS.POTIOR.MAGISTRO. L'élève est-il supérieur au maître?"
Pour Fulcanelli, la meule représente le dissolvant hermétique ou premier mercure, et le rémouleur, ici non représenté, n'est autre que le soufre.
"De cet ouvrage, quel est le maître? Evidemment, celui qui aiguise et qui fait tourner la meule, - ce rémouleur absent du bas-relief-, c'est-à-dire le soufre actif du métal dissous.
Quant au disciple, il représente le premier mercure, de qualité froide et passive, que certains dénomment fidèle et loyal serviteur, et d'autres, eu égard à sa volatilité, servus fugitivus, l'esclave fugitif."
Et de répondre à la question du philosophe que jamais l'élève ne pourra s'élever au-dessus du maître, mais qu'avec le temps, le disciple, passé maître à son tour, deviendra l'alter ego de son précepteur:
"Car si le maître s'abaisse jusqu'au niveau de son inférieur dans la dissolution, il l'élèvera avec lui dans la coagulation, et la fixation les rendra semblables l'un à l'autre."
"La tête de Méduse, posée sur un socle, montre son rictus sévère et sa chevelure entrelacée de serpents; elle est ornée de l'inscription latine:
.CVSTOS.RERVM.PRVDENTIA. La prudence est la gardienne des choses."
Mais prudentia, enchaîne aussitôt Fulcanelli, désigne aussi la sagesse. Et le nom même de Méduse exprime la pensée dont on s'occupe, l'étude favorite.
En outre, il rappelle que Méduse changeait en pierre ceux dont le regard rencontrait le sien, et qu' avec ses deux soeurs, Euryale et Sthéno, cette Gorgone exprime symboliquement l'idée de pouvoir et d'étendue propre à la philosophie naturelle.
"Ces relations convergentes, qu'il nous est interdit d'exposer plus clairement, permettent de conclure que, en dehors du fait ésotérique précis mais à peine effleuré, notre motif a pour mission d'indiquer la sagesse comme la source et la gardienne de toutes nos connaissances, le guide sûr du laborieux à qui elle découvre les secrets cachés dans la nature."
"Posé sur l'autel du sacrifice, un avant-bras est consumé par le feu. L'enseigne de cet emblème igné tient en deux mots:
.FELIX.INFORTVNIVM. Heureux malheur!"
Pour l'Adepte, qui comme souvent appuie son argumentation sur l'étymologie grecque, l'avant-bras humain sert d'hiéroglyphe à la voie courte et abrégée. Mais il ajoute qu'il symbolise aussi, pour les mêmes raisons, le tour de main, le procédé spécial, une manière personnelle de travail. En quoi consiste-t-il pour l'alchimiste?
Fulcanelli affirme que ce tour de main se réduit en fait à l'application d'un feu très énergique,ajoutant:
"Ce feu n'est pas seulement figuré, sur notre bas-relief, par les flammes, il l'est encore par le membre lui-même, que la main indique comme étant un bras dextre...
On sait assez que que la locution proverbiale "être le bras droit" se rapporte toujours à l'agent chargé d'exécuter les volontés d'un supérieur, - le feu dans le cas présent."
Mais il précise également que quiconque, ignorant le tour de main de l'opération, se risque à l'entreprendre, doit tout craindre du feu. L'expérience se termine le plus souvent par l'explosion du creuset et la projection du four. Et si le cherchant a la chance d'en sortir sain et sauf
"alors il pourra s'écrier, comme notre philosophe: Heureux malheur! Car l'accident, l'obligeant à réfléchir sur la faute commise, lui fera découvrir sans doute le moyen de l'éviter, et le tour de main de l'opération régulière."
Certes, cette chance n'est hélas pas le lot commun, et la prudentia évoquée précédemment nous semble en définitive à reconseiller.
Suivant certaines sources, l'accident contre lequel Fulcanelli nous met en garde aurait à l'époque qui nous intéresse causé le décès de Louise Barbe, et les projections entraînées par l'explosion dont il s'agit pourraient bien expliquer aussi la "maladie" qui fut fatale à Julien Champagne.
Mais pour terminer sur une note optimiste, je voudrais vous présenter maintenant la plus "exotique" des éditions connues actuellement du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli.
Cette édition nipponne de 2002 est, je puis en témoigner, d'une grande qualité, et on peut toujours se la procurer sur le site japonais d'Amazon:
http://www.amazon.co.jp/%5927%8056%5802%306e%79d8%5bc6/dp/433604449X/sr=8-2/qid=
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Inutile en outre pour commander le livre d'apprendre la langue des samouraïs, il vous suffira d'un peu d'anglais!
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