Dans le numéro IX des Cahiers de La Tour Saint-Jacques (1962), que nous avons déjà mentionné à maintes reprises, et qui est principalement consacré à un dossier Parapsychologie, Robert Ambelain, au seuil de son article : Jean-Julien Champagne, alias Fulcanelli, mentionne une oeuvre d'"Hubert" que nous aimerions bien exhumer avec vous.
Il s'agit, nous dit-il, d'un ex-libris réalisé pour son maître et ami Jules Boucher, dont la description me paraît digne d'être rapportée:
"Une voûte surbaissée de style flamboyant, que supportent deux piliers gothiques, découvre et encadre une partie du vaste désert de Libye.
Au fond, apparaissent les trois pyramides de Chéops, de Chephrem et de Mykérinos, ainsi que la grande route des caravanes reliant la haute et la basse Egypte.
Elles s'éclairent sous le rayonnement du soleil levant, tandis qu'au ciel la lune achève de décliner sur l'horizon.
Ainsi se trouvent marqués, dans le temps, l'origine égyptienne des sciences et leur apogée au Moyen Age; puis, dans l'espace, l'opposition équivalente du Soleil et de la Lune, prototype du symbolisme universel.
Au premier plan, un livre ouvert, que regarde curieusement un petit caméléon, emblème des manifestations colorées qu'une même substance emprunte dans ses réactions multiples, porte la devise du Créateur des choses: "Ego eïmi to Alpha kai to Omega..." je suis l'Alpha et l'Oméga, le Principe et la Fin."
Et Ambelain d'ajouter: "Un texte, en nos archives, de la main même de Jules Boucher, témoigne que cette description est de Jean-Julien Champagne lui-même et, au-delà de la science du dessinateur, d'une perception particulièrement subtile des aspects supérieurs de la vieille science d'Hermès.
Avec d'autres, il témoigne contre la thèse d'un Champagne ignorant l'alchimie et simplement relégué au rang d'illustrateur d'ouvrages alchimiques."
Sur ce dernier point, je donne personnellement raison à l'auteur de Dans l'ombre des cathédrales. Mais Ambelain va plus loin, et nous rapporte avec précision les circonstances dans lesquelles il eut à prendre connaissance de l'existence de cet emblème:
"C'est en 1935, à la Saint-Jean d'été, que dans un grand hebdomadaire de vulgarisation de l'occultisme, dirigé alors par Maryse Choisy, Jules Boucher publia un premier article consacré à l'alchimie, article dans lequel le public fut mis en présence de Jean-Julien Champagne, avec la description de l'ex-libris."
Et il nous donne aussitôt la référence du numéro de la revue contenant l'article: Votre bonheur, numéro 13, 20 juin 1935.
Je crois qu'ici quelques commentaires de ma part seront les bienvenus. D'abord, nous avons déjà rencontré Jules Boucher: Je vous renvoie en particulier à mon courrier Champagne et Jules Boucher du 13 février 2006.
Ensuite, je peux vous annoncer que nous le retrouverons, ainsi que Maryse Choisy, une "drôle de dame", psychanalyste à ses heures, dont on peut dire dès à présent qu'elle a eu plusieurs vies, et aussi qu'elle a eu des liens étroits avec Jules Boucher.
Notez bien aussi que nous sommes en 1935. Julien Champagne a disparu depuis trois ans, et cette année-là précisément, une rumeur parcourt les milieux ésotériques: Fulcanelli est comme le Grand Pan, il n'est pas mort, a émigré "tras los montes", voire en Amérique latine, et s'apprête à faire paraître son troisième ouvrage: Le fameux Finis Gloriae Mundi.
Outre la couverture du numéro ad hoc de La Tour Saint-Jacques, j'ai reproduit intentionnellement celle de l'édition espagnole du livre de Kenneth Rayner Johnson: El Misterio Fulcanelli ( Martinez Roca, 1981), déjà cité (Inactualité de Julien Champagne, 15 avril 2006), et sur lequel j'aurai également sans doute à revenir.
Il y a deux raisons à cela. La première est que cette couverture nous donne une occasion d'admirer le vitrail correspondant au bas-relief "de l'alchimie", étudié en son temps (Julien Champagne dessine l'alchimie, 5 février 2006).
La seconde est un peu plus sophistiquée. Dans cet ouvrage, Rayner Johnson évoque l'épisode rapporté ci-dessus par Ambelain, avec force détails, mais sa version est légèrement différente. Avec ce qui pourrait au premier abord passer pour le résultat de la merveilleuse imprécision de la langue anglaise, il ne dit pas ex-libris, mais "illustration".
Seulement voilà, lui aussi insiste: "an illustration Champagne had designed for a book by Boucher", soit en espagnol: "una ilustracion dibujada por Champagne para un libro de Boucher."
Et en bon français: "Une illustration que Champagne avait conçue pour un livre de Boucher."
Et bien, je ne suis pas sûr que ce faisant Rayner Johnson soit dans l'erreur. La description d'Ambelain n'est-elle pas un peu trop complexe, s'agissant d'un ex-libris? Il a fallu, si ce n'est pas le cas, que la vignette fût de grandes dimensions...
En tout cas, cette description me rappelle fortement celle donnée par Jean Laplace (De Champagne à Jean Laplace, 29 juillet 2006) du frontispice commandé à Julien Champagne par Fulcanelli pour son troisième livre, finalement non paru...le Finis Gloriae Mundi.
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