Lors de ses séjours chez les Schwaller près de Grasse, dans les Alpes Maritimes, à la fin des années 1920 et au début des années 1930 (voir mes posts Schwaller et Champagne et Schwaller croque Champagne du 2 février 2006, et Julien Champagne au Mas de Cocagne du 9 avril 2006), Julien Champagne a pu rencontrer non seulement le couple Aor-Isha, mais aussi leurs enfants.
Jeanne Germain, puisqu'ainsi s'appelait Isha de son nom de jeune fille, avait eu quatre enfants, dont deux d'une précédente union avec l'armateur Georges Lamy, dont elle devint veuve avant d'épouser René Schwaller, qui avait travaillé pour sa firme (voir mon post Julien Champagne et Allainguillaume du 3 mars 2006).
Selon certaines informations, Louis Allainguillaume, lui aussi employé de Lamy, et ami de Julien Champagne jusquà la fin de la vie de ce dernier, pourrait d'ailleurs être le véritable père de deux des enfants de Jeanne Lamy.
Toujours est-il qu'Isha eut deux fils et deux filles, dont deux, Jeanne et Jacques, semblent avoir décédé précocement et peut-être tragiquement. Son autre fils et son autre fille sont Jean Lamy, déjà mentionné, et Lucie Lamy, à qui ce post est consacré pour l'essentiel.
Faute de pouvor pour l'instant vous proposer des photos de Lucie et Jean Lamy, j'ai pensé qu'il vous serait agréable de retrouver leur maman et leur beau-père, sans doute vers l'époque de leur union en 1927 (quoique selon certaines sources, celle-ci remonterait à 1920).
Ils achèteront la propriété "Les Platanes" au Plan-de-Grasse deux ans plus tard, et c'est Isha qui la baptisera "Lou Mas de Cocagno."
Quand Julien Champagne leur y rendra visite en 1929, puis vers 1930, il a donc pu rencontrer non seulement René Schwaller et son épouse, mais aussi les deux enfants survivants de cette dernière, Jean et Lucie Lamy.
Est-ce pendant une de ces visites que ce farceur d'"Hubert", qui se faisait passer pour Fulcanelli auprès d'Aor, lui dédicacera Le Mystère des Cathédrales, dont il n'est après tout "que" l'illustrateur?
Je l'ignore à ce stade, mais voici en tout cas un nouveau cliché de cette dédicace, qui cette fois ne doit rien au livre de Geneviève Dubois sur Fulcanelli (voir mon post Dédicaces de Julien Champagne, 27 février 2006).
Seulement voilà, le travail de Dubois reste capital...Elle nous apprend en particulier que Lucie Lamy a connu - et mésestimé dit-elle, Julien Champagne:
"La belle-fille de René Schwaller, Lucie Lamy, n'apprécie guère l'alchimiste. Elle le dira plus tard en expliquant qu'il se comportait de façon odieuse et qu'il était très porté sur la boisson. En fait, il ne correspondait en rien à l'idée qu'elle se faisait d'un philosophe."
Dubois ne nous précise pas si Jean Lamy, le beau-fils, a également eu des relations avec Julien Champagne, même si cela peut paraître probable. Ce médecin avait au moins en tout cas une passion en commun avec ce dernier, le goût du tabac:
"Son cabinet était au second étage de la maison. Il occupait trois pièces qui empestaient la fumée de cigarettes dont il abusait. Il devait d'ailleurs décéder pour avoir trop fumé."
Si nous cherchons maintenant à en savoir un peu plus sur Lucie Lamy (1908-1984), nous allons de surprise en surprise. Car elle présente plus d'un point commun avec Julien Champagne, qu'elle est supposée pourtant avoir pris en grippe.
D'abord, elle partage avec lui une aptitude, un talent, un don, celui du dessin et peut-être de la peinture. Ensuite, comme celle d'"Hubert", son oeuvre a été à mon sens assez largement occultée.
Dès 1938, année de ses trente ans et aussi année de l'installation pour quinze ans des Schwaller en Egypte (dont quatorze passés à Louxor), elle se joint aux recherches conduites avec le peintre Alexandre Stoppelaere et les archéologues Alexandre Varille et Clément Robichon. L'année précédente, ces derniers avaient paraître chez Paul Hartmann un ouvrage intitulé En Egypte. C'est la naissance du "groupe de Louxor", contesté par l'égyptologie officielle.
Cette expérience d'après Dubois l'a marqué, puisque des années plus tard, un témoin constatera: "Son long séjour en Egypte l'avait prématurément vieilli. Elle était là, effacée, alors qu'elle avait de très grandes qualités pour le dessin et aurait pu se mettre en valeur."
Ces qualités pour le dessin, elle les mettra dans un premier temps exclusivement au service d'Aor, dont elle illustrera bon nombre de livres, avant de faire de même pour une partie de ceux d'Isha. Et pourtant...
Le même témoin cité par Dubois constatera bien des années plus tard: "Lucie n'avait pas le droit d'intervenir ni d'ailleurs de sortir de la maison. Elle vivait recluse."
De même, son nom n'apparaîtra pas guère les couvertures des ouvrages d'Aor, publiés à partir de 1952, année du retour au Plan-de-Grasse; cela nous rappelle tout de même quelque chose! Seule sa maman semble avoir agi différemment, comme en témoignent les deux clichés d'Her-Bak que je reproduis; encore s'agit-il d'une édition anglo-saxonne.
http://www.innertraditions.com/Contributor.jmdx?action=displayDetail&id=357
Dans le livre d'Isha sur son mari René Schwaller: Aor (La Colombe, 1963), on trouve d'ailleurs au détour d'une page cet hommage généralement ignoré et finalement inattendu:
"Pendant le séjour à Louxor, qui dura quinze ans, la fille d'Isha, Lucie Lamy, relevait minutieusement le plan, les bas-reliefs et les inscriptions de tous les murs du temple, qui permirent ensuite à Aor, pendant les dix années qui suivirent son retour en France, de composer son monumental ouvrage Le Temple de l'Homme."
Mais Lucie Lamy, qui me paraît avoir été une femme de caractère, ne s'arrêtera pas en bon chemin, et après la mort de ses parents, intervenue en 1961-1962, publiera aussi ses propres oeuvres.
En 1982, son nom apparaît ainsi, comme co-auteur, à côté de celui de René Schwaller sur un au moins des deux tomes des Temples de Karnak (Dervy). Les photos sont de Georges et Valentine de Miré, et Lucie y signe "notices, schémas et dessins" (traduction en anglais, 1999).
En 1981, c'est en anglais que sont d'abord édités, semble-t-il, ses Egyptian Mysteries (Thames & Hudson, Londres, Crossroad, New York). Honte à mon sens pour l'édition et l'égyptologie françaises, et c'est une édition italienne qui interviendra l'année suivante, deux ans avant celle du décès de l'auteur. Je ne connais pour l'instant d'autre publication nationale des Mystères Egyptiens que celle du Seuil en 1991.
Encore paraît-elle être...traduite de l'anglais! Sans vouloir être complets, mentionnons aussi une édition espagnole (Misterios Egipcios, Debate, 1989 et 1996).
Ce livre serait le produit de ses travaux sur les hiéroglyphes, poursuivis dans le droit fil de ceux de ses parents avec une égyptologue suédoise, Gertrude Englund, et aurait été réalisé en collaboration avec Suzanne Lawlor, une Australienne.
Pourquoi cet ostracisme si français envers Lucie? Et bien, comme déjà dit, les positions des Schwaller et en général du "groupe de Louxor" sont jugées hétérodoxes:
http://levity.com/alchemy/afrm0250.html
Lucie Lamy et les autres "tendent à démontrer que la mentalité égyptienne, construite sur une realité naturelle est à l'inverse de la notre. Cette position suscitera des controverses et mènera à la fameuse ..." Querelle des égyptologues " (Extraits du Mercure de France, Paris, octobre 1951)."
" A travers les monuments pharaoniques et l'enseignement ésoterique et de sagesse des hiéroglyphes, la recherche " du geste juste " devient la recherche " du geste juste au moment juste ".
C'est-à-dire que les Schwaller intègrent maintenant la vision cosmique et universelle des choses, en replacant les faits matériels dans un contexte spirituel beaucoup plus élevé et large. C'est une recherche intense des grandes lois d'harmonie universelle, valables pour l'alchimie mais aussi dans d'autres domaines. C'est la recherche du monde des causes...
Certains ouvrages sont étonnants, notamment Le Roi de la Théocratie Pharaonique où Schwaller écrit au sujet de la pierre philosophale, du but du Grand OEuvre, du feu vital et du mystère du commencement dans l'OEuvre, en particulier, " Faire comprendre la réalité de la Science sacrée....est toute la raison d'être de ce petit livre. "
Avant de revenir sur Lucie Lamy, disons tout de même dès à présent quelques mots de son frère Jean (1910-1982), dont la personnalité semble également digne d'intérêt.
En 1952, explique Dubois, il était devenu propriétaire du Mas de Cocagne, racheté à son beau-père par mensualités.
"C'était, dit Geneviève, un médecin très sensible sur le plan du diagnostic; il soignait par homéopathie à l'aide de teintures qui avaient été mises au point à Suhalia."
Comme Lucie, il se situait donc à sa manière dans la lignée des travaux des Schwaller. D'ailleurs, scoop:
"Il utilisait un appareil inventé par René Schwaller: le phonophorèse." Et Dubois d'ajouter en référence son livre paru en 1967 chez Maloine: "Acupuncture: Phonophorèse, technique-clinique."
Ce qu'elle ne dit pas, c'est que cet ouvrage en deux tomes a été illustré...gagné! par Lucie Lamy, et en couleurs s'il vous plait. Le frère et la soeur sont restés proches l'un de l'autre. Geneviève ajoute tout de même qu'il était très aimé dans le pays pour sa précision et son désintéressement. Souvent, il ne prenait pas d'honoraires aux patients dans le besoin.
Le docteur Lamy devait d'ailleurs pratiquer la médecine chinoise traditionnelle, puisque le tome deux de sa "somme" est consacré aux organes yang.
Il ne semble pas au demeurant que le phonophorèse ait été oublié, il intéresse toujours, du moins...en milieu allemand:
http://www.vgm-verlag.de/phonophorese.htm
Pour Dubois, c'est le bon docteur Lamy qui les dernières années faisait vivre la maisonnée. Il déplorait en particulier de n'avoir pu rassembler lui-même les quelque cinquante millions de centimes de l'époque nécessaires à l'édition des livres de René Schwaller.
D'après Erik Sablé dans son ouvrage sur Schwaller (Dervy, 2003), il aurait tout de même financé la première édition du Temple de l'Homme. Il aurait également aidé le fils de Schwaller, Guy.
Jean Lamy se maria avec sa collaboratrice Rosy après le décès de ses parents (1968); il eut lui aussi un fils, Jean-Christophe...j'aime à la fois le prénom cher à Romain Rolland et cette idée d'une "dynastie" de Jeans.
Et Lucie, me direz-vous? Et bien il semble que quand Jean est devenu le propriétaire des "Platanes", ou peu après, elle ait fait le choix de s'éloigner un tantinet de cette famille qui l'étouffait tout de même passablement. D'après Sablé, elle aurait mal supporté le mariage de son frère.
Elle acheta une propriété dans le Var, près du Thoronet, ville où d'ailleurs elle est enterrée. Si ses travaux égyptologiques publiés ou non , vous intéressent, je crois bien que par donation sa bibliothèque a rejoint la fondation et par la même occasion le chateau de Coubertin, en vallée de Chevreuse:
http://www.coubertin.fr/fondation/collec.htm
http://www.museums-of-paris.com/musee_fr.php?code=523
http://www.parc-naturel-chevreuse.fr/connaitre_village_saintremy_2.php
Finalement que nous disent-ils, les dessins de Lucie Lamy, portant l'oeuvre de son beau-père, comme ceux de Julien Champagne ont porté, portent et porteront celle de Fulcanelli? Que le temple est dans l'homme, certes, de la mort à la vie, mais aussi qu'il est partout dans la nature, dont le verbe est identique et immuable, en Egypte comme ailleurs, "sur la terre comme au ciel", hier comme aujourd'hui, et demain.
Ce credo est celui-là même de l'alchimie. Merci siempre, l'amie de lumière!
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