Avec le traîneau à hélice ( voir mes posts Champagne et le traîneau à hélice du 14 février 2006 et Julien Champagne ingénieur de Nicolas II du 19 mars 2006), voici donc maintenant la plus
atypique des oeuvres de Julien Champagne connues à ce jour.
C'est encore la décidémment inépuisable Geneviève Dubois qui nous présente et qui reproduit dans son livre Fulcanelli dévoilé cette "pendulette sculptée par Champagne."
Malheureusement, les détails qu'elle fournit à son sujet sont du genre elliptique: "Nous possédons la photographie d'une très belle pendulette en bois, sculptée par lui-même et représentant une
église gothique; ce qui démontre déjà son intérêt pour le Moyen Âge."
Soyons juste avec Dubois, cependant; elle nous offre aussi un essai de datation de ce travail, qui pour elle est contemporain de la scolarité de Julien aux Beaux Arts de Paris.
Comme "Hubert" sortit de cette Ecole en 1900, et puisque les autres oeuvres présentées par Geneviève comme remontant à la même période ne sont pas antérieures à 1895, notre pendulette a donc dû
être réalisée dans le courant du dernier lustre du XIXe siècle.
Nantis de ce balluchon substantiel certes, mais un tantinet maigrichon, voyons ce qu'en ont dit à ce jour les "champagnologues" et autres "fulcanellistes".
Et bien, nous ne sommes guère plus avançés à ma connaissance à l'issue de cet examen. La plupart de mes éminents confrères ou consoeurs vont, me semble-t-il, dans le sens de Dubois: Voyez
comme Julien Champagne s'est précocement intéressé à l'art goth; et de conclure triomphalement, à l'instar d'Evelyne Segaud: On vous avait bien dit que Champagne n'était autre que Fulcanelli!
Quelques uns, plus avisés à mon sens, préfèrent tirer de cet ouvrage un argument qui leur permet de mettre en exergue l'habileté manuelle de Champagne, habileté que nous retrouverons
effectivement quelques années plus tard à l'occasion de l'épisode du traîneau à hélice.
Mais justement, comment cette habileté manuelle, fruit certes d'un don inné, mais confortée sans doute par un apprentissage spécifique, est-elle venue à Julien?
Il était fils de cocher, et non comme Eugène Canseliet d'un maçon-sculpteur. Et ce ne sont sans doute pas les cours du peintre Léon Gérôme qui en ont fait, ni un dessinateur industriel, ni un
mécanicien, ni un menuisier, ni un horloger...
Arrivé à ce stade de la réflexion, je voudrais vous proposer une hypothèse de travail. Admettons que cette pendulette ait été construite vers 1897. Julien Champagne a alors une vingtaine
d'années.
Si ce chef-d'oeuvre n'est pas le produit de l'enseignement des Beaux Arts, de quel enseignement est-il le produit?
En regardant les photos qui illustrent ce post, je pense que certains d'entre vous ont déjà compris: Vous avez dit chef-d'oeuvre? Mais cette expression nous vient tout droit du compagnonnage.
Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans un cours sur les compagnons, j'en serais sans doute incapable, en particulier dans les limites de ce post, et de toute façon ce serait hors
sujet.
Mais des compagnons, il y en a eu de toutes sortes, depuis le Moyen Age. Et pas seulement des maçons ou des charpentiers; tenez, voyez ci-dessus cettte belle horloge du XVIIIe siècle.
Et ce beffroi du XIXe, il ne présente pas des similitudes avec le travail de Champagne? Et les travaux ci-dessous, réalisés en bois au XIXe ou au XXe siècle?
Après leur tour de France, qui les conduit de logis en logis compagnonnique, où il reçoivent assistance, encouragement et conseils, les compagnons ont à prouver leur maîtrise en réalisant ce
qu'il est convenu d'appeler un chef-d'oeuvre.
Ce chef-d'oeuvre consiste souvent en une maquette du travail effectif que nos ouvriers auront à réaliser plus tard en grandeur réelle. Un certain nombre de chefs-d'oeuvre de compagnons,
particulièrement réussis, et donc exemplaires, sont traditionnellement exposés:
http://www.compagnons.org/musee/musee_tours.htm
http://perso.orange.fr/erwan.levourch/chefsdoeuvre.htm
http://www.123travail.com/galeries.photos/p1005004.htm
Pour avoir une meilleure connaissance des traditions du compagnonnage, voici quelques liens:
http://genhames.free.fr/compagnonnage.htm
http://www.compagnonnage.info/
http://compagnon1850.free.fr/compagnons.htm
Et en revenant maintenant à Julien Champagne, je voudrais signaler un autre fait qui tendrait à conforter mon hypothèse: qu'il ait effectué ou non un tour de France, voire d'Europe, notre
homme était d'une nature...pérégrinante.
Nous l'avons trouvé auprès de Fulcanelli à Marseille, à Grasse avec Schwaller, en particulier, mais d'après Walter Grosse il se serait aussi, à la demande de son Maître, rendu en
Grande-Bretagne... Un autre axe de recherche, effectivement, les demeures et cheminements de Julien, cher Walter!
Certes, il a parfois dessiné ou peint les ouvrages de Fulcanelli sur documents, comme le carroir doré de Romorantin, mais tel n'est pas forcément le cas général.
Et puis, on ne peut pas ne pas mentionner le rapport qui existe entre compagnonnage et alchimie, et ce depuis les frimasons et autres tailleurs de pierre ou d'image médiévaux.
Dans le numéro d'Atlantis consacré à Eugène Viollet-Le-Duc, qui y est qualifié d'Adepte (N°311, 1980 ), Eugène Canseliet reviendra sur ces "logeurs du bon Dieu", tout en faisant état de la solide
amitié qui l'unit au compagnon charpentier et écrivain Raoul Vergez, Béarnais l'ami du Tour de France:
http://www.afikoor.com/fr/temas/raoul/raoulcomp.htm
Vergez, auteur notamment d'un livre sur Les illuminés de l'Art Royal (Julliard, 1976). Son sous-titre? Huit siècles de compagnonnage. L'Art Royal, c'est aussi, vous le savez, un des multiples
noms de l'alchimie.
Je terminerai enfin, vous voudrez bien me le pardonner, par une anecdote personnelle. Il y a une vingtaine d'années, je me trouvais en déplacement aux îles Canaries. En dehors de la "solfatare"
de Tenerife, je crois bien que mon souvenir le plus marquant est celui de ma rencontre inopinée d'un compagnon, vraisemblablement espagnol, en costume traditionnel.
A quelle étape de son Tour se trouvait-il, en cette région océanne? Toujours est-il que de noir vêtu, nanti d'un tricorne tout droit sorti du XIXe siècle ou si vous voulez de De Falla, fièrement
campé sur son bâton de marche compagnonnique, il arborait bravement sa cocarde de pélerin, aux couleurs traditionnelles de son "ordre": blanc, vert, jaune, orange, rouge.
"Ainsi se développent, au fronton des cathédrales gothiques, nous explique Fulcanelli dans son Mystère des Cathédrales, les couleurs de l'OEuvre, selon un processus circulaire allant des
ténèbres, - figurées par l'absence de lumière et la couleur noire, - à la perfection de la lumière rubiconde, en passant par la couleur blanche, considérée comme étant moyenne entre le noir
et le rouge."
Et plus loin, citant Le Chemin du Ciel Chymique de Jacobus Tollius:
"La Terre est noire, l'Eau est blanche; l'air, plus il approche du Soleil, et plus il jaunit; l'aëther est tout à fait rouge. La mort de même, comme il est dit, est noire, la vie est pleine de
lumière; plus la lumière est pure, plus elle approche de la nature angélique, et les anges sont de purs esprits de feu."
Entre le jaune et le rouge, l'orange est une couleur transitoire, quant au vert, regardons la nature qui nous entoure et dont nous faisons partie: La terre est noire, mais elle peut aussi être verte.
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