En ce lundi pascal, souffrez que nos pensées s'envolent vers les familles Champagne et Canseliet, qui ont toutes deux tellement souffert de l'apostolat hermétique dévolu à Julien et Eugène.
A Isabelle Canseliet je dédie tout spécialement cette rose fraichement coupée, dont en 1896 Julien s'essaya à coloriser le dessin, ainsi que le montre une partie de son carnet aimablement communiquée par Xavier.
Isabelle nos prières elles aussi vont vers vous, vous que votre père élut en vue de la publication peut-être toujours possible de ses carnets de notes alchimiques, "selon que c'est justice", n'hésita-t-il pas d'ajouter.
La justice des hommes, parfois rien moins qu'humains, étant ce qu'elle est et ce que nous savons, sans doute pensait-il avant tout à une autre justice, celle là immanente.
Une justice qui étant celle de Dieu ne pourra que se manifester un jour ou l'autre, et le plus tôt à mon avis sera le mieux.
Vers ses dix-neuf ans, donc, Julien Champagne, qui a déjà sans doute commencé d'oeuvrer en alchimie, poursuit également ses travaux de peintre et de dessinateur, futur "maître du pinceau et du crayon", comme en témoigne probablement cet aimable portrait d'une demoiselle Tortolani dont il est permis de penser qu'elle fut de ses parages.
De façon certes nettement plus austère, "Hubert" se lance aussi dans des études anatomiques qui en ce temps là faisaient indubitablement partie des figures imposées d'un cursus classique.
C'est ainsi que de la royale basilique de Saint-Denis, probablement visitée avec les meilleures intentions du monde, il tire ce saisissant croquis du gisant du roi français Henri II, réalisé au XVIème siècle par nul autre que Germain Pilon.
Et de la reine Anne de Bretagne (et de France) cet autre magnifique aperçu, cette fois d'après un compagnon mal identifié de l'italien Jean Juste, aperçu qui fut peu ou prou créé à la même époque que le précédent.
Comment pourrait-on évoquer ainsi, de façon apparemment morbide, la putréfaction de la chair qui nous est à tous échue, que nous appartenions au vulgum pecus ou à la société que l'on dit haute, quand on n'aurait pas, chevillée à l'âme et au corps, foi en la résurrection?
Et aussi comment ne pas relever dans le même temps le caractère quasiment prémonitoire de ces deux esquisses, quand on connaît à présent le travail postérieur sur les mêmes monuments qui fut celui d'un Pierre Jahan, illustrateur photographique de Fulcanelli comme Champagne l'a été - et l'est - par la gouache?
Mais bien sûr ici la synchronicité va bien au delà, puisque Saint-Denis abrite les tombeaux des Valois, si chers à Pierre Dujols et à Fulcanelli, et que "la duchesse en sabots", comme on surnomma la reine Anne, est à Nantes comme à Saint-Denis entourée des quatre vertus cardinales que devait un peu plus tard reproduire Julien Champagne.
"Cueur de vertus orne dignement couronne", Anne dixit. Ainsi en est-il encore, exactement, en alchimie.
La famille de Juste étant italienne, on pourra sans doute interpréter comme un autre intersigne le fait que la même année Julien Champagne se soit inspiré d'un très printanier portrait de jeune fille dans une autre de ses épreuves, inspirée celle là de l'école de Luca della Robbia (XVème siècle).
Déjà présente à Nantes, l'école italienne, si importante dans l'étude des vertus en particulier, s'affirme ainsi comme celle qui témoigne le mieux du passage du temps du Mystère des Cathédrales à celui des Demeures Philosophales.
De retour en 2009, nous avons ouvert avec quelque espoir l'Histoire de l'Alchimie d'Alain Queruel (Trajectoires, Piktos). Cette espérance n'est pas totalement déçue.
En effet, l'auteur, qui a exercé des responsabilités dans l'industrie chimique, et enseigne dans ce domaine, nous brosse en généraliste un "survol" de l'Art Royal qui a le mérite à la fois de situer la Science dans ses diverses époques et courants de pensée, sans se limiter à une approche franchouillarde, et de donner sur les derniers siècles (XIXème et XXème) un résumé qui inclut sans barguigner Cyliani et Chevreul, Berthelot, Fulcanelli et Canseliet.
Hélas, cent fois hélas, l'alchimie n'est définie qu'à la fin, de façon juste mais pauvre (obtention de la pierre philosophale) et outre les erreurs ponctuelles sur lesquelles je m'empresse de passer, l'appréciation portée dans l'ensemble ne s'écarte guère des idées erronées en vogue: Les alchimistes se sont présumément heurtés à "l'échec de la transmutation."
Les mauvaises langues, constatant que Queruel a également publié un De l'alchimie du Moyen Age à la chimie moderne (Massanne, 2007) et un Découvrir la franc-maçonnerie (Eyrolles, 2008) en concluront peut-être que nous assistons ici à la nième tentative, comme les autres destinée à rester infructueuse, de promouvoir l'alchimie spéculative aux dépens de l'opérative.
Et ce alors, s'esbaubiront certains, y compris dans les Loges, que l'alchimie opérative a été pratiquée par nombre de francs-maçons, et in situ, au moins jusqu'au XIXème siècle.
Mais s'agissant de Julien Champagne - et dans ce blog - je ne peux pas ne pas relever l'énormité qui consiste à colporter la légende de l'emprunt à René Schwaller du prétendu manuscrit, qui aurait été écrit par ce dernier, de la première oeuvre connue de Fulcanelli, pour ensuite déclarer tout tranquillement: "Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Champagne a continué à recevoir des subsides de Schwaller." Evidemment et nous le savons bien la réalité est ô combien différente.
De cet ouvrage récent sur l'alchimie, dont je m'en voudrais de ne pas relever cependant qu'il reste de lecture agréable, passons à un livre d'alchimie, que vient de nous procurer une amie. L'Esprit dans la Philosophie Hermétique de Fulcanelli (2008) se présente en outre comme une édition privée, ce qui nous permet à nouveau de souligner la vivacité et le caractère à la fois souterrain et contemporain, en même temps que traditionnel, de la littérature alchimique.
Ce bref opuscule réservé aux "Amateurs de Science" se présente en fait comme un ensemble d'extraits du Mystère et des Demeures, qui tous sont relatifs à l'Esprit. Nous sommes donc bien ici dans une démarche d'étude de la théorie alchimique, sur un sujet capital, puisque l'alchimie est une chimie spirituelle.
Je me bornerai à en rapporter deux citations, la première et la dernière: "L'art gothique est l'art de la Lumière ou de l'Esprit." (Mystère) et "L'évangile solaire traduit ésotériquement le trajet de l'astre et celui de ses rayons, revenus à leur premier état de splendeur. Il marque le début d'une ère nouvelle, l'exaltation du pouvoir radiant sur la terre régénérée et le recommencement de l'orbe annuel et cyclique." (Demeures)
Arrivés à ce stade, nous nous sentons comme obligés de remarquer que le ou les auteurs de L'Esprit tangentent le troisième livre, à ce jour non publié, de Fulcanelli: La Fin de la Gloire du Monde.
Nous croyons toujours que le Finis Gloriae Mundi a existé ou existe, et nous nous sommes laissés dire il n'y a guère que quelqu'un de crédible affirme l'avoir lu. Des passages de ce livre pourraient d'ailleurs bien figurer dans Les douze Clefs de Basile Valentin, telles que publiées par Eugène Canseliet, et dont certaines notes, de bas de page ou autres, et entre autres sur Cimiez, paraissent issir de la blanche "patte" de Fulcanelli.
Mais puisque l'Alchimie est aussi l'Art de Musique, quittons-nous pour cette fois sur cet admirable couple de violoneux, croqué toujours en 1896 par un Julien Champagne qui ne l'oublions pas fut aussi violoniste, pianiste...bref, totalement artiste.
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