Avant Pierre Dujols, déjà évoqué le 19 avril 2006, le premier propriétaire et fondateur de La Librairie du Merveilleux fut Lucien Chamuel.
Chamuel est en fait le pseudonyme de Mauchel, sans doute choisi en tant qu'anagramme du nom d'un archange, Chamuel ou parfois Chaumel, entre autres.
Cet archange est celui qui cherche Dieu ou qui voit Dieu; souvent associé à la charité et à l'amour divin, il est le gardien des voies.
Nous en savons peu sur Chamuel, en particulier nous ignorons à ce jour son année de naissance. Il était de peu l'aîné de Paul Sédir (pseudonyme d'Yvon Le Loup, 1871-1926), sur qui nous reviendrons plus loin, et donc a pu naître dans les années 1860.
Mort en 1936, Lucien était originaire de Vendée. Après des études de droit, il vint s'établir à Paris où il devint un disciple de Papus (Gérard Encausse, 1865-1916).
Dès la fondation par ce dernier de l'ordre martiniste, en 1887, il semble en avoir fait partie du cercle dirigeant. L'année suivante est celle de la création de La Librairie du Merveilleux, au 29 rue de Trévise, toujours dans l'orbite de Papus.
D'après Marie-Sophie André et Christophe Beaufils (Papus, biographie, Berg, 1995), cependant, cette création fut un peu plus tardive:
"Le poète Lucien Chamuel loua début 1890 une boutique au 29 de la rue de Trévise pour y établir "la Librairie du merveileux. Papus, origine évidente de la décision, attendit de constater que le projet fût viable avant de s'y associer légalement en 1891, entraînant alors dans la participation sa compagne Anna de Wolska."
Simultanément, alors que paraît le premier numéro de leur revue L'Initiation, dont Chamuel est le secrétaire, il entre dans comme Papus dans l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix de Stanislas de Guaïta (1860-1898), en même temps que les écrivains Joséphin Péladan (1859-1918), Maurice Barrès (1862-1923), August Stindberg (1849-1912) et que l'hyperchimiste François Jollivet-Castelot (1868-1937).
En 1890, Jules Doinel (1842-1903) rejoint l'ordre martiniste, et crée l'église gnostique, à laquelle adhèrent Papus et Chamuel. La même année, ces derniers lancent la revue Le Voile d'Isis. En 1892 Chamuel devient "évêque" de l'église gnostique, chargé du diocèse de Saintes et La Rochelle, et revêt à cet effet le patronyme Tau Bardesane.
Lucien poursuit simultanément ses activités de libraire, en 1895 au 79 faubourg Poissonnière, puis en 1896-1898 au 5 rue de Savoie. Il semble avoir vendu la Librairie du Merveilleux en 1901, et s'être progressivement consacré à son métier d'éditeur.
Chamuel ne renonce pas cependant à ses activités spirituelles; en 1920 il aurait été grand maître de l'Ordre de la Rose-Croix, et en 1932 encore, quelques années avant son décès, patriarche de l'église gnostique.
L'éditeur Lucien Chamuel s'est montré particulièrement éclectique, comme en témoignent les deux couvertures ci-dessus et ci-dessous. Il n'a pas publié que des ouvrages d'ésotérisme. Cependant, ces derniers figurent bien au premier rang de ses publications, même si l'on met à part son édition de Léon Bloy devant les cochons (1894).
Léon Bloy (1846-1917) était surtout un mystique.
Outre ses amis Papus, Barrès, Péladan, Guaïta, Sédir, Chamuel éditera ainsi, entre autres: Le livre des splendeurs d'Eliphas Lévi (1894), Le traité des causes secondes de Jean Trithème (1897), et bien sûr Le tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers de Louis -Claude de Saint-Martin (1900), le père du martinisme.
On trouve bien entendu Chamuel particulièrement présent en alchimie: Il sort ainsi de Roger Bacon La lettre sur les prodiges de la nature et de l'art, commentée par Albert Poisson (1893), l'anonyme Tripied du vitriol philosophique et de sa préparation (1896), et de Saint Thomas d'Aquin Le traité de la pierre philosophale (1898)...
A l'inverse, il n'est pas certain que Lucien Chamuel ait jamais écrit de livre. Poète à ses heures, il dédia à Papus des vers intitulés L'Initiation, qu'Arnaud de l'Estoile cite partiellement dans son Papus qui suis-je? (Pardès, 2006):
"Jeune et nouveau lecteur au grand livre du monde,
Un jour j'ai renconté Papus sur mon chemin;
Papus m'a révélé la science féconde
Qui fait prendre en pitié tout le savoir humain...
Puis tu m'initias à la Science Occulte;
Convaincu par ta voix mâle et pleine d'ardeur,
Bientôt je partageai pour elle tout ton culte
Et je me fis partout son zélé défenseur.
Chaque entretien nouveau me dissipait une ombre;
Je crus à l'alchimie, aux symboles, à l'or
Je connus le karma, le ternaire et le nombre
De l'antique savoir j'admirai le trésor.
Merci donc, cher Papus, merci de la lumière
Eclatante dont tu frappas mes yeux. Aussi,
Ma gratitude s'attache à toi comme un lierre.
Aujourd'hui pour toujours, je répète merci."
La disparition de Papus, en 1916, a sans doute été pour son disciple et ami un choc considérable.
Nous ne savons pas à ce jour avec certitude si Julien Champagne a connu Lucien Chamuel, dont le nom ne figure ni à l'Index Fulcanelli, ni à l'Index Canseliet, contrairement à celui de son ami Pierre Dujols.
Mais c'est très possible, si on se souvient, un, que d'après Geneviève Dubois le maître en alchimie de Champagne, Gaboriau, était un proche de Papus, et , deux, que Champagne fut jusqu'en 1900 élève à l'Ecole des Beaux Arts. Il a donc dû dès cette époque fréquenter les librairies ésotériques, celle de Chamuel et Dujols, comme celle des Chacornac.
"A dix-sept ans, bien qu'élève à l'Ecole des Beaux Arts", Julien Champagne étudiait déjà les vieux maîtres", dixit Robert Ambelain.
La rencontre entre Chamuel et Champagne, si elle a bien eu lieu, a sans doute ressemblé à celle de l'écrivain Sédir, alors âgé de dix-neuf ans, avec Papus et Chamuel, rencontre intervenue en 1889 et que Philippe Encausse rapporte dans son livre sur Le maître Philippe de Lyon (Editions Traditionnelles, 2003).
"Voici comment Victor-Emile Michelet raconte cette première entrevue:
Je me trouvais, un soir, dans la fameuse boutique de la rue de Trévise où régnait le bon Chamuel, quand se présenta un jeune homme mince et lent qui déclara à brûle-pourpoint:
- Voilà! Je veux faire de l'occultisme... "
Papus confia aussitôt au néophyte le soin de tenir en ordre la précieuse bibliothèque qu'il constituait.
Et Philippe Encausse de poursuivre: "Cette boutique du 29 de la rue de Trévise où Chamuel avait dans ce temps-là sa maison d'édition, appelée "Librairie du Merveilleux", qu'il avait fondée avec Papus, était alors le rendez-vous de tous ceux qui s'intéressaient à l'hermétisme."
Il ajoute finalement: "En face de Papus bouillonnant, on voyait, dans cette retraite de la rue de Trévise où Sédir faisait son entrée, Lucien Chamuel, calme, accueillant, mettant à la disposition de ces adolescents épris de science, grands remueurs d'idées, les conseils de son expérience de réalisateur, les trésors de ses connaissances théoriques et pratiques."
Chamuel témoigna immédiatement une grande amitié à Sédir. Lorsque sa maison d'édition fut transférée au 5 rue de Savoie, c'est lui qui édita ses tout premiers articles et ouvrages, de 1894 à 1898. Il lui avait même réservé une chambre au 4 rue de Savoie, dans son appartement personnel.
Chamuel, ou la Charité.
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/article-champagne-e-l-arcangelo-35788440.html
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