Après avoir rendu justice aux époux Lavritch de l'Omnium Littéraire, deuxièmes éditeurs de Fulcanelli et donc de Julien Champagne, il n'est que temps de s'incliner devant le premier, Jean Schemit (1868-1945).
A l'âge de quinze ans, il commença de travailler pour le libraire Honoré Champion (1846-1913), dont la maison toujours active de nos jours fut fondée en 1874.
Il y apprit son métier, et dès 1900 nous trouvons Jean Schemit établi à son compte. Nous allons résumer sa contribution personnelle, mais notons dores et déjà que le fils d'Honoré, Pierre Champion (1880-1942) était un médiéviste distingué et que le jeune Anatole France, qui selon Richard Khaitzine fréquentait assidûment la librairie famililale, fut son témoin lors de son mariage.
Avant d'avoir eu l'audace de publier les Fulcanelli illustrés par Julien Champagne, dont certains exemplaires, rappelons-le, restaient toujours disponibles à l'état neuf à la fin de la seconde guerre mondiale, Jean Schemit fut et resta ensuite, d'ailleurs, un éclectique, que l'on pourrait de nos jours qualifier d'éditeur "culturel".
Dans le fond, il n'est pas si éloigné d'un Jean-Jacques Pauvert. La provocation en moins me direz-vous? Pas sûr.
Certes, à l'imitation de Pierre Champion justement , il édita les oeuvres de Clément Marot dans le texte de Robert Yve-Plessis (1911). Mais du même Yve-Plessis suivra en 1925 La psychose de François Villon.
Et dès 1908 Jean Schemit produisit des "Pages choisies" de Maximilien de Robespierre...
Si l'on veut du conventionnel schemitien, sans jeu de mot, je recommanderai La dentelle de Valenciennes d'Arthur Malotet (1927), dont est extraite la gravure ci-dessous.
Mais Jean Schemit publia aussi, dès 1908, L'art profane à l'église, de Gustave-Joseph Witkowski, et du même en 1920 Les licences de l'art chrétien, dont selon Eugène Canseliet l'érotisme mais aussi l'hermétisme le frappèrent également.
Fulcanelli devait d'ailleurs citer ces oeuvres dans les siennes.
De la même façon, Jean Schemit "sortit" en 1910 Le genre fantastique et licencieux dans la sculpture flamande et wallonne, de Louis Maeterlinck.
La même année, il fit paraître par ailleurs, d'Etienne Deville, l'Index du Mercure de France 1672-1832, tellement prisé d'Eugène Canseliet comme livre de référence.
Avant d'en revenir à Julien Champagne, je voudrais enfin signaler l'édition par Jean Schemit, en 1908 de l'ouvrage de Francisque Pellegrin sur La fleur de la science de pourtraicture (1530, réimpression en fac-similé), puis en 1933, du livre d'Arnauld Doria, Le comte de Saint-Florentin, son peintre et son graveur, qui ne sont pas si éloignés de nos préoccupations, à mon sens.
Dans les Cahiers de la revue La Tour saint Jacques consacrés au dossier Fulcanelli en 1962, Robert Ambelain nous affirme être allé voir Jean Schemit à l'occasion de la parution de son livre, d'ailleurs dédié à Fulcanelli, Dans l'ombre des cathédrales (1939), pour en obtenir une autorisation relative à une illustration.
Jean Schemit aurait alors déclaré à Ambelain avoir rencontré Julien Champagne avant qu'Eugène Canseliet lui rendît visite, seul puis en compagnie de l'illustrateur des Fulcanelli.
Frappé par le savoir de Champagne et par la déférence de Canseliet à son égard, Schemit en conclut, selon Ambelain, que "Champagne et Fulcanelli ne faisaient qu'un."
Dans sa réponse attenante, Eugène Canseliet nie que Jean Schemit ait jamais rencontré Julien Champagne ; dans son édition du Mutus Liber, Canseliet affirmera également que Schemit ne rencontra jamais Fulcanelli...entre 1925 et 1930, ce qui ne veut pas dire, ajouterons-nous, qu'il pense que Schemit n'ait jamais vu Fulcanelli ou su qui il est.
Et Eugène d'ajouter: "Je suis le seul nommé dans les engagements, par moi uniquement pris et signés avec Jean Schemit."
Rappelons au passage que Jean Schemit ne fut pas le premier éditeur démarché par Eugène Canseliet pour l'édition originale initiale; celle-ci fut en effet, dans un premier temps, écartée par Emile Nourry (Pierre Saintyves de son pseudonyme).
En 1944, Canseliet alla présenter à Schemit son premier livre, Deux Logis Alchimiques, que, malade, notre éditeur décida cependant tout aussitôt de publier; la parution de cet ouvrage, dont nous reproduisons la couverture, intervint l'année même de sa mort.
De cette oeuvre il conserva un exemplaire dans sa bibliothèque personnelle, orné d'une belle dédicace: "Au frère en Hermès ce livre, qui peut servir de complément précieux aux deux Fulcanelli."
Cette bibliothèque pieusement sauvegardée des années durant par Madame J.Schemit ne fut dispersée qu'en 1964.
Le catalogue de cette vente, dont nous avons extrait le portrait ci-dessus, qui chronologiquement du moins pourrait avoir été réalisé par Julien Champagne, et dont nous reproduisons aussi la page de garde, comporte un avant-propos d'Eugène Canseliet.
Pour Richard Caron, dans sa postface à la seconde réédition des Deux Logis (Jean-Claude Bailly, 1998) c'est l'épouse de Jean Schemit, Fernande, qui en fait "fit de son mieux pour faire paraître l'ouvrage que son époux avait accepté de publier de son vivant."
Canseliet s'y remémore en particulier le moment où Jean Schemit découvrit le manuscrit et les dessins de Julien Champagne, et par la même occasion Le Mystère des Cathédrales:
"Ouvrage dont le frontispice, immédiatement admiré dans l'émotion intense, ne fut pas sans affermir son projet, depuis longtemps caressé, de ce voyage en Egypte, qu'il devait accomplir, quelque dix ans plus tard, dans l'enthousiasme illimité, et dont il conserva le souvenir impérissable et toujours enchanté", chère Joëlle Oldenbourg.
Dans la première réédition de ses Deux Logis par Pauvert, en 1979, Eugène Canseliet relate, avec ferveur
et ironie, les obsèques auxquelles il assista du premier éditeur de Julien Champagne et de Fulcanelli:
"C'était autrefois, devant la mort, le respect recueilli et l'émotion réelle du dernier hommage, qui sont aujourd'hui supprimés par une société française, depuis juste vingt ans, socialement "évoluée" et gagnée à la vraie grandeur."
Au cimetière du Montparnasse, la sépulture de Jean Schemit avoisine celle de Pierre Champion, et est située à quelques pas de celle où repose Guy de Maupassant, qu'il estimait beaucoup et à l'enterrement de qui il avait assisté.
Pour Eugène Canseliet, "il fallait bien que Jean Schemit vécût de son travail, mais sa préoccupation majeure restait celle de servir."
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/article-jean-schemit-editore-di-champagne-35788116.html
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