Nous voici maintenant de nouveau au palais berruyer de Jacques Coeur, dont nous avons déjà entamé la visite ( Champagne et Jacques Coeur).
Si on sait que le chantier en a été mené tambour battant sous la surveillance de Guillot Trépant et Jacquelin Culon, bourgeois de Bourges, ainsi que de Pierre Jobert, un des facteurs, le nom de l'architecte de l'édifice nous en reste inconnu.
Nous nous sommes déjà penché sur son histoire mouvementée. Ajoutons qu'en 1837, Prosper Mérimée, inspecteur des monuments historiques, vint à Bourges, ainsi que son ami Stendhal. Mérimée s'extasia devant la maison d'"un homme dont le nom rappelle une inquiétante injustice."
Il déplora aussi la disparition de l'ornementation intérieure du palais.
A l'intérieur du donjon, cependant, la salle du troisième étage, fermée par une porte de fer ancienne, présente à l'une des retombées de la voûte à huit ogives une console sculptée d'une scène étrange: un passage du roman de Tristan, au cours duquel Tristan retrouve Yseult dans un jardin; l'eau qui y coule reflète le visage du roi Marc, qui s'est caché dans un arbre sur la dénonciation de son nain Froncin, de sorte que les deux amants observent la plus grande retenue.
Cette pièce, appelée dès le XVième siècle "chambre des angelots", à cause, peut-être, du décor sculpté des autres consoles, puis "chambre de l'huis de fer", ou "chambre du trésor de la maison de ville", abrita un temps les archives municipales.
Fulcanelli décrit ainsi la planche XXIX de l'édition originale de son Mystère des Cathédrales, comme les autres due au talent de Julien Champagne:
"C'est un joli groupe, sculpté sur un cul-de-lampe, qui orne la chambre dite du Trésor. On assure qu'il représente la rencontre de Tristan et d'Yseult. Nous n'y contredirons pas, le sujet ne changeant rien, d'ailleurs, à l'expression symbolique qu'il dégage.
Le beau poème médiéval fait partie du cycle des romans de la Table ronde, légendes hermétiques traditionnelles renouvelées des fables grecques. Il se rapporte directement à la transmission des connaissances scientifiques anciennes, sous le voile d'ingénieuses fictions popularisées par le génie de nos trouvères picards.
Au centre du motif, un coffret creux et cubique fait saillie au pied d'un arbre touffu dont le feuillage dissimule la tête couronnée du roi Marc. De chaque côté apparaissent Tristan de Léonois et Yseult, celui-là coiffé du chaperon à bourrelet, celle-ci d'une couronne qu'elle assujettit de la main droite.
Nos personnages sont figurés dans la forêt de Morois, sur un tapis de hautes herbes et de fleurs, et fixent tous deux leurs regards sur la mystérieuse pierre évidée qui les sépare."
Pour l'alchimiste adepte du XXème siècle, l'interprétation de cette scène est évidente:
"Nous retrouvons ici l'hiéroglyphe de fabrication du Lion vert...le dissolvant secret ...Ce dissolvant peu commun permet la réincrudation de l'or naturel, son amollissement et le retour à son premier état sous forme saline, friable et très fusible. C'est là le rajeunissement du roi,...début d'une phase évolutive nouvelle, personnifiée, dans le motif qui nous occupe, par Tristan, neveu du roi Marc.
En fait, l'oncle et le neveu ne sont, chimiquement parlant, qu'une même chose, de même chose et d'origine semblable...
Aussi, voyons-nous se détacher nettement les silhouettes de Tristan et de la reine Yseult, tandis que le vieux roi demeure caché dans les frondaisons de l'arbre central, lequel sort de la pierre...
Remarquons encore que la reine est à la fois l'épouse du vieillard et du jeune héros, afin de maintenir la tradition hermétique qui fait du roi, de la reine et de l'amant la triade minérale du Grand OEuvre.
Enfin signalons un détail de quelque valeur pour l'analyse du symbole. L'arbre situé derrière Tristan est chargé de fruits énormes, - poires ou figues géantes, - en telle abondance que le feuillage disparaît sous leur masse.
Etrange forêt, en vérité, que celle de Mort-Roi, et combien serions nous porté à l'assimiler au fabuleux et mirifique Jardin des Hespérides."
C'est cette assimilation qui, croyons-nous, justifie pleinement l'appellation traditionnelle de la chambre du Trésor.
Annobli en 1441, Jacques Coeur se choisit des armes parlantes, coeurs et coquilles saint Jacques, dont il a également orné son palais. Mais ces coquilles sont aussi celles de la mérelle de Compostelle, sur laquelle, espérons-le, il nous sera loisible de revenir.
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