On a parfois fait à Julien Champagne une réputation de faussaire patenté, sans doute largement injustifiée. Cette réputation usurpée vient peut-être en partie de son travail de copiste de manuscrits anciens, dont voici un exemple, emprunté à nouveau à l'édition italienne du livre de Geneviève Dubois, Fulcanelli dévoilé.
Il existe en alchimie toute une tradition de recopiage des traités, qui sans doute remonte au Moyen
Age, et donc aux temps précédant ceux de l'imprimerie. N'oublions pas, par exemple, qu'un Nicolas Flamel a ainsi exercé le métier d'"écrivain juré", donc de copiste.
Jusqu'au XVIIème, voire jusqu'au XVIIIème siècle, de nombreux ouvrages ésotériques, d'alchimie en particulier, ont ainsi circulé "sous le manteau", à l'état de manuscrits, dans des versions suivant les cas plus ou moins fidèles.
Au XXème siècle encore, un Eugène Canseliet pratiquera l'art de la calligraphie, réécrivant lui-même à la main d'anciens textes classiques de l'alchimie, et justifiant cette pratique non seulement par la maxime bien connue : qui écrit lit deux fois, mais aussi comme une sorte de devoir traditionnel.
Je n'accorde donc pour ma part guère de crédit à l'hypothèse avancée par Robert Ambelain dans la revue La tour Saint Jacques ("dossier Fulcanelli", 1962), selon laquelle Julien Champagne aurait copié des "manuscrits anciens" pour des raisons pécunières.
Pour en venir à la page présentée ici, il s'agit du début d'un traité du XVIIème siècle, dû à l'alchimiste Esprit Gobineau de Montluisant (le mont luisant): Explication très curieuse des énigmes et figures qui sont au grand portail de l'église cathédrale et métropolitaine de Notre Dame de Paris (1640).
Cette oeuvre fut plus tard intégrée par Jean Mangin de Richebourg à sa Bibliothèque des philosophes chimiques (1741) heureusement rééditée en 2003 par les éditions belges Beya.
En 1954, Claude d'Ygé la republia de son côté dans sa Nouvelle assemblée des philosophes chimiques, parue chez Dervy, avec une préface d'Eugène Canseliet.
On pourra trouver le texte français du traité sur le remarquable site britannique d'Adam McLean, consacré à l'alchimie et à l'hermétisme:
http://www.levity.com/alchemy/notredame/html
Deux points au moins me semblent devoir être relevés à propos de cette oeuvre et de sa copie moderne par Julien Champagne.
Le premier est que l'illustrateur du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli a choisi de copier une
oeuvre qui préfigure le dit Mystère, puisqu'avec celle d'Amiens c'est la cathédrale de Paris qui tient la vedette de ce livre.
Je note d'ailleurs que Gobineau a eu lui même un prédécesseur sur ce thème de l'hermétisme
de Notre Dame, prédécesseur qui est mentionné dans son ouvrage par Fulcanelli; dès 1636, le "sagace de Laborde" rédigea ses Explications de l'énigme trouvée à un pilier de l'église Notre Dame de Paris.
Il aura aussi un successeur, avant Fulcanelli; sans appeler Victor Hugo à la rescousse, et son magnifique roman Notre Dame de Paris, "tout entier écrit sous le charme de l'alchimie", François Cambriel en 1843 inclura les sculptures hermétiques de la cathédrale dans son Cours de philosophie hermétique.
Le second point frappant est à mon sens que l'élève de Fulcanelli et ami de Julien Champagne, Eugène Canseliet, se livrera au même exercice que notre artiste, exercice dont on peut admirer le résultat dans ses Trois anciens traités d'alchimie (Pauvert, 1975).
Dans ses "prolégomènes", il y précise: "Nous exécutâmes cette copie sur un recueil qui fut écrit dans le deuxième quart du dix-septième siècle, et qui se trouvait dans la très riche bibliothèque de
Fulcanelli."
Et il ajoute curieusement ces mots, écrits en 1974: "Le manuscrit ancien doit toujours se trouver auprès du Maître." Le Maître dont il s'agit est Fulcanelli.
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/
article-julien-champagne-come-copista-julien-champagne-en-copiste--35786983.html
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