Mais oui, Julien Champagne connaissait "le bon monsieur Thibault", ici portraituré par le grand Steinlein, et était connu de lui. Nous voulons bien parler ici d'Anatole France (1844-1924), aux obsèques duquel Eugène Canseliet assista, en compagnie de Fulcanelli (revue La Tourbe des philosophes, N°15-16, 1981).
On peut pourtant légitimement se demander, de prime abord, quel rapport peut exister entre l'écrivain célèbre, et réputé rationaliste, et ces trois hermétistes distingués que sont Fulcanelli, Champagne et Canseliet.
Mais Anatole France est aussi l'auteur de La révolte des anges (1914). Et puis, et sans doute surtout, il y a de lui La rotisserie de la reine Pédauque (1893).
Ce dernier livre semble bien avoir été assez directement inspiré par celui de Nicolas de Montfaucon de Villars, Le comte de Gabalis ou les sciences secrètes (1670).
Dans ce dernier ouvrage, ni Fulcanelli ni Champagne ne semblent apparaître, mais il n'en est certes pas de même d'Eugène Canseliet, qui paraît pouvoir s'identifier au jeune disciple Jacques Tournebroche.
Canseliet en tout cas est affirmatif: l'idée de La rotisserie "fut inspirée à Thibault-France par son ami Fulcanelli" (La Tourbe, N°14,1981).
La rotisserie est elle un roman à clefs? En tout cas, Anatole France récidivera, si l'on peut dire, avec ses Contes de Jacques Tournebroche (1908).
Il paraît avéré que Fulcanelli et Eugène Canseliet rencontrèrent France à plusieurs reprises, notamment en 1920, à la Villa Saïd. Canseliet en fut marqué, au point de s'en souvenir plus de soixante ans plus tard:
"Sa taille, dit-il en parlant de France, sa barbe et son comportement m'en imposaient considérablement, quoique je n'appréciasse pas sa manière de me passer soudain ses doigts dans les cheveux que j'avais blonds et abondants."
Et Champagne, dira-t-on? Eugène Canseliet poursuit:
"A l'inverse, il redoutait la présence de Champagne, qui ne restait pas longtemps sans griller une cigarette, et qui promenait avec soi la persistante odeur de fumée de tabac. Il est vrai que Fulcanelli qui pourtant ne fuma jamais, jugeait cette délicatesse d'odorat tout à fait excessive."
Et l'on voudrait après cela que Julien Champagne ait pu être Fulcanelli?
Ajoutons que France, ami de Fulcanelli, fut en outre, comme le prouve la correspondance ci-dessus, un fervent admirateur d'Emile Nourry (1870-1935), auteur de divers ouvrages d'érudition sous le "nom de plume" de Pierre Saintyves, lequel Emile fut en 1914 l'éditeur de L'Hypotypose de Pierre Dujols (1862-1926), autre proche de Fulcanelli.
L'ouvrage de Saintyves auquel France fait référence dans sa missive est vraisemblablement Les grottes dans les cultes magico-religieux et dans la symbolique primitive (1918).
On trouvera au demeurant une confirmation du lien entre Villars et France dans un petit livre érudit, très argumenté, et hélas méconnu, de René-Louis Doyon (1885-1966), dont je vous propose ci-dessus l'intitulé complet.
Consacré à l'abbé Montfaucon, et paru à Agen, chez Saint-Lanne en 1942, cet opuscule mérite le détour, avec en particulier un comparatif éloquent des textes respectifs de France et Villars.
On y découvrira également plusieurs références à des traités alchimiques, dont un extrait d'un manuscrit qui proviendrait selon Doyon de la bibliothèque de Joséphin Péladan, dont il a par ailleurs publiquement décrit la "douloureuse aventure."
"Ce manuscrit a pour titre : Le Passage de la Mer Rouge ou Abord de la Terre Promise", René-Louis dixit. Selon Eugène Canseliet, Passage et Abord seraient en fait deux essais hermétiques distincts, qu'il considère comme désormais "perdus", et qui figuraient pourtant, toujours d'après Canseliet, dans la riche bibliothèque alchimique de...Fulcanelli.
Dans son essai sur Péladan (La Connaissance, 1946), Doyon mentionne également le fait que "Papus donna les premières conférences de vulgarisation occultiste chez Chamuel, rue de Trévise, et qu'il faut en noter un hôte occasionnel de marque, Anatole France, qui retira de cette fréquentation la révélation du Comte de Gabalis, ce curieux chef-d'oeuvre de l'abbé Montfaucon de Villars, transformé plus tard en un comique Jérôme Coignard.
On peut dire après ce stade, ajoute-t-il, qu'Anatole France ne fut qu'un transfuge de ce temple bénévole où tant d'esprits se vouaient à une recherche ardente de la vérité."
René-Louis avait d'ailleurs, dès 1921, publié à son enseigne de La Connaissance, un fort volume regroupant Le Comte de Gabalis, de Montfaucon de Villars, et plusieurs études, dont la sienne sur L'Histoire de "la Rôtisserie de la Reine Pédauque", d'Anatole France, et l'autre due à son ami Paul Marteau sur l'ésotérisme de Gabalis.
http://maxjulienchampagne.over-blog.it/article-32351645.html
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