Et si pour une fois nous rendions hommage à quelqu'un de bien vivant, non seulement en esprit, mais aussi physiquement toujours de ce monde?
Né en 1917, René Alleau est toujours parmi nous, à ma connaissance, et Dieu sait que sur lui les articles ne sont pas légion, alors que sa vie et son oeuvre me paraissent bien mériter toute une étude, et en tout cas notre respectueuse et amicale considération.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Alleau
http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=livAut&auteur_id=1469
Nous le voyons ci-dessus en compagnie du talenteux homme de lettres Frédérick Tristan:
http://www.fredericktristan.com/
http://www.evene.fr/celebre/biographie/frederick-tristan-3973.php
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9rick_Tristan
http://signes-et-symboles.org/dossiers-symbole/index.php/2007/02/10/51-frederick-tristan-noublions-pas-l-infinie-poesie-d-hermes
Frédérick qui est l'auteur de maints ouvrages de portée hermétique, notamment d'essais brillants tel L'oeil d'Hermès (1982) et en matière de fiction d'une inénarrable Histoire sérieuse et drolatique de l'homme sans nom (1980) ou de Balthasar Kober (1987).
Ancien ingénieur-conseil, René Alleau est volontiers présenté de nos jours comme philosophe et historien des sciences, notamment traditionnelles.
Il est entre autres un spécialiste réputé en matière de symbologie, mais n'a jamais non plus cherché à dissimuler son intérêt profond pour l'alchimie.
Cet intérêt lui est-il venu par son attachement précoce au courant surréaliste? C'est bien possible, à en croire Renée Mabin, dont je voudrais vous conseiller la lecture de l'étude si porteuse de sens à mon avis sur le courant intellectuel de "l'étoile scellée":
http://melusine.univ-paris3.fr/astu/Mabin.htm
Nous pouvons y relever particulièrement le fait que dès 1952 André Breton et ses amis courent les conférences que René Alleau donne à Paris, à la Salle de géographie, sur "les textes classiques de l'alchimie", conférences dont l'intitulé n'est pas sans nous rappeler le titre même d'un des ouvrages postérieurs de l'alchimiste Eugène Canseliet, ami de Julien Champagne.
Dès cette époque, René Alleau et Eugène Canseliet, tous deux proches d'André Breton, dont la passion pour l'alchimie fut vraisemblablement précoce, devaient se connaître puisque lorsque l'essentiel des conférences d'Alleau est publié sous la forme d'un recueil : Aspects de l'alchimie traditionnelle (Editions de Minuit, 1953),
son ouvrage est préfacé par le disciple de Fulcanelli.
Notons dès à présent que la couverture de l'édition française originale en est ornée d'une reproduction du célèbre tableau du peintre espagnol Juan de Valdes Leal, dénommé Finis Gloriae Mundi comme le troisième livre non paru finalement à ce jour de Fulcanelli, sur lequel nous reviendrons.
Dans sa préface, Canseliet, d'une façon qui n'a pas encore été relevée, ou pas assez, n'hésite pas à qualifier son "ami" de "fils de Science" (alchimique) comme nous même, et surtout de "disciple de Fulcanelli", titre qu'il est ordinairement le seul à porter, voire à s'attribuer. Pour le commun des mortels, alchimistes ou non, Canseliet est habituellement considéré comme "l'unique disciple de Fulcanelli".
Eugène rend donc ici au travail de René un hommage exceptionnel, auquel il m'a paru convenable de me référer, ne serait-ce qu'en m'en faisant l'écho, en bon héraut de l'Art.
D'ailleurs un Albert-Marie Schmidt, savant historien des Lettres, dont la fin tragique causa tant de peine à Eugène Canseliet, ne s'y trompa pas, et dès 1953 put ainsi écrire dans la Nouvelle NRF, à propos d'Aspects de l'Alchimie:
"Si l'on souhaitait discerner quelles influences réelles s'exercent sur les courants spirituels de notre âge, sans doute faudrait-il réserver une attention exacte à cette société d'Héliopolis qui compte, parmi ses membres les plus réputés, Eugène Canseliet et René Alleau."
Il est vrai que ce livre petit par la taille mais d'une grande qualité, qui d'ailleurs partage avec ceux de
Canseliet l'honneur d'avoir été plus tard traduit en langue étangère (notamment en italien par les éditions
romaines Atanor en 1989), mérite toujours l'attention des amateurs.
Alleau y qualifie très justement l'alchimie de "religion expérimentale", en expose les principes, en étudie les symboles, et en véritable alchimiste qu'il est réalise en définitive une synthèse des plus heureuses et des plus rares en ayant composé à la fois un livre sur l'alchimie, ce qui est à la portée de beaucoup, et un ouvrage d'alchimie, ce qui sans doute reste l'apanage des meilleurs.
Ses textes et documents alchimiques, son lexique des symboles alchimiques et spagyriques, sa bibliographie enfin sont également marqués au coin d'une érudition difficile à égaler.
Pour la petite histoire, Canseliet devait quelques mois plus tard publier aux mêmes Editions de Minuit ses Douze Clefs de la Philosophie de Basile Valentin (1956).
Quant à Alleau, il semble malheureusement avoir renoncé à y faire paraître un "Paris symbolique" et des
"Peintures et gravures alchimiques" pourtant annoncés dans ses Aspects de l'alchimie traditionnelle.
Pour autant, René Alleau ne renie pas le culte qu'il voue à l'alchimie, puisqu'en 1957, suivant l'exemple précédemment cité d'Eugène Canseliet, il fait éditer par Caractères les Clefs de la philosophie spagyrique de
Georges Le Breton, ouvrage du XVIIIème siècle cité par Fulcanelli et que Canseliet venait justement de mentionner dans ses Douze Clefs.
Il y réaffirme dans son introduction sa totale fidélité intellectuelle à la pensée fulcanellienne: "L'Art royal, l'alchimie, a été la voie initiatique de la Noblesse d'extraction, ce que prouvent aussi clairement
les monuments que le blason, les devises et les cris de guerre...
La science d'Hermès, héritage sacré de l'ésotérisme égyptien, vaste synthèse cosmologique, nous a légué des hiéroglyphes, des messages énigmatiques, dont l'utilité apparente semble nulle à ceux qui ne veulent pas prendre la peine de les déchiffrer."
En dépit de leurs préjugés, "la Pierre Philosophale représente (bel et bien) le premier échelon qui peut aider l'homme à s'élever vers l'Absolu."
Dès lors, son intérêt public pour l'alchimie semble se concentrer sur la reparution des textes anciens, et force
est de souligner que ce faisant il fait montre d'une imperturbable logique.
Dès le début des années 1970, il prend ainsi la direction aux éditions Denoël de la Bibliotheca Hermetica, dont
il semble évident aujourd'hui que la majeure partie de la constitution est d'origine alchimique.
Il en est ainsi, par exemple, de cette belle édition en 1971 du livre de Limojon sur Le triomphe hermétique, présentée par Eugène Canseliet, et précédée d'une republication du Mutus Liber d'Altus, introduite elle par un texte de Magophon (alias Pierre Dujols, ami de Fulcanelli et de Champagne).
La même année, Alleau présente d'ailleurs lui-même dans la même collection La très sainte trinosophie, du
"vrai" comte de Saint-Germain.
En 1974 me signale Prounicos début 2009, René signe encore dans La Quinzaine littéraire un vibrant hommage à Fulcanelli, dans un article parfaitement intitulé "Un Champollion des hiéroglyphes français."
"Personne, y constate-t-il avec humeur, n'enseigne aux Français à déchiffrer les hiéroglyphes de leurs châteaux ni de leurs cathédrales."
Et de conclure de magnifique façon:
"Le pays le plus mystérieux du monde, ce n'est pas le Tibet, c'est la France."
Parallèlement, et dès 1958, il approfondit et élargit son étude de la symbolique en général, et fait ainsi éditer par Flammarion une première mouture de ses réflexions sur le sujet (De la nature des symboles).
Cette étude sera maintes fois reprise (Payot, 1996, 1997...) et d'ailleurs suivie d'une Science des symboles
(Payot, 1976).
Il y développe une pensée fondatrice, toujours largement ignorée de nos jours par la science officielle, ce qui est sans doute dommage...pour cette dernière, selon laquelle "en réalité toutes les sciences humaines sont subjectives, et c'est de la reconnaissance lucide et sincère de cette subjectivité fondamentale que dépend le degré d'objectivité relative auquel elles peuvent atteindre."
C'est ainsi que pour Alleau, et ici encore il rejoint Fulcanelli, "la pensée moderne est une pensée conditionnée, par exemple par le mythe occidental de la raison qui, lui-même, a été élaboré à partir d'éléments irrationnels multiples qui composent ces trop célèbres "évidences" sur lesquelles reposent les "principes d'intelligibilité" que, finalement, personne ne saurait expliquer ni définir de façon rationnelle."
Métaphysicien et alchimiste, René Alleau est aussi, et cela demeure sans doute une part de son "jardin
secret" un peintre talentueux. Voici qui le rapproche, encore ou déjà, de Julien Champagne.
En témoigne par exemple cette aquarelle au tâchisme presque hugolien, qui dut tant plaire à André Breton.
Comme Canseliet, Alleau répondit à l'enquête de ce dernier sur L'art magique (Club français du livre, 1957,
et Phébus, 1991).
Il y rappela notamment que selon l'alchimiste et cryptologue Blaise de Vigenère (XVIIème siècle), auteur d'un
Traité du feu et du sel, mais aussi des Tableaux de plate peinture de Philostrate, "la peinture est une
invention des dieux."
Ne soyons pas surpris par conséquent de retrouver de lui dans le beau volume transalpin Arte e Alchimia
(Biennale di Venezia, 1986) cette superbe Danaé de 1984, fécondée par une jupitérienne pluie d'or qui fut
en son temps célébrée par les poètes et qui fait l'objet de la vénération des alchimistes , lesquels en scrutèrent...
la symbolique, et au premier rang desquels figure un certain Canseliet.
Mais il y a également un autre Alleau, bien plus discret encore, le praticien de l'alchimie. En 1978,
Canseliet pouvait ainsi déclarer à Robert Amadou, dans Le feu du soleil (Pauvert):
"René Alleau est un alchimiste d'autant plus véritable qu'il possède la solide base d'un universitaire.
Son attachement à la pratique positive du feu est indéniable, qui fait de lui l'artiste physico-chimique
le plus sûr."
Dans le même volume, et ici nous cotoyons Julien Champagne au plus près, nous apprenons que c'est
René qui a persuadé Eugène d'ajouter aux deuxième et troisième éditions des oeuvres publiées de
Fulcanelli (Mystère des Cathédrales et Demeures Philosophales) des chapitres entiers extraits de
notes provenant du Finis Gloriae Mundi en définitive retiré par le Maître.
Donc c'est bien à Alleau que nous devons l'apparition dans le domaine public, dès 1957 et 1960, de
certains dessins d'"Hubert":
Arles:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-4401020.html
Dammartin:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-2152476.html
Figeac:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-1855071.html
Hendaye:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-4443883.html
http://www.archerjulienchampagne.com/article-4513985.html
Melle:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-2050527.html
Mais comment rendre justice en quelques lignes à cet homme doublement igné qu'est René Alleau?
Rappeler l'importance de son étude généralement ign(or)ée sur le Splendor Solis de Salomon Trismosin
(N°88 de la revue Le jardin des arts, 1962)?
Se remémorer ses autres contributions majeures à l'Art d'Hermès, comme son article Alchimie de
l'Encyclopedia Universalis?
Finalement, mon impression est que le mieux est de lui laisser la parole, quand il explique de lui-même, dans
la langue des oiseaux, et faisant montre d'emprunter son propos à tel essai d'un oiseleur médiéval, la raison
fondamentale pour laquelle en définitive, en alchimiste de qualité, il a délibérément choisi de se tenir à l'écart de toute chapelle, et de vivre ainsi en marge du siècle:
Oui, Champagne pour
pcc
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