Bonne année à chacune et chacun, de la part de Julien Champagne et de la mienne. Un an se meurt, un autre naît, c'est la vie qui va. Et revient.
Pour l'hermétiste en général,et l'alchimiste tout spécialement, la mort n'est qu'un prélude indispensable à une nouvelle naissance. Elle est donc perpétuellement vaincue, et cette loi mère s'applique notamment au cycle annuel. Le solstice d'hiver que nous venons de passer ensemble est donc l'annonciateur pur et simple d'un renouveau, celui de l'équinoxe de printemps.
Voici en substance selon moi le message de ces superbes stalles de la cathédrale Notre-Dame d'Amiens, auxquelles Kristiane Lemé-Hébuterne vient de consacrer tout un volume, paru fin 2007 aux éditions Picard, et adorné de splendides clichés de Christophe Petit.
C'est en tout cas dans cet esprit que je vous présente les deux pendentifs en question, retenus par Fulcanelli pour figurer comme culs-de-lampe dans son oeuvre, après avoir été selon toute vraisemblance dessinés par Julien Champagne, et dont le premier est photographié sous deux coutures.
Je les reproduis donc dans l'ordre inverse de celui choisi par Kristiane, l'interprétation que j'en fais me semblant être à l'opposé de la sienne. Je la rejoins cependant quand elle les range dans la catégorie de la vie morale, que pour ma part j'appellerai tout simplement Philosophie.
Mais pour elle nous passons ici d'une "femme nue" (pendentif du bas) à une allégorie de "la jeune femme et la mort", côté jeune femme, puis côté mort. L'alchimie prend le pari contraire, et débute par le solve.
Mais donnons la parole à Lemé-Hébuterne. Dans les deux cas, son discours est principalement descriptif:
"Une jeune et jolie femme nue est agenouillée entre deux hommes âgés. Tous trois portent une guirlande de feuillage traités dans le style de la Renaissance. Les chanoines Jourdain et Duval ont baptisé ce pendentif "culte de la volupté", mais on peut y voir une sculpture ornementale comme la Renaissance les aimait, sans y mettre une intention morale."
"Une jeune femme vêtue d'une robe au décolleté carré, aux manches bouillonnantes, coiffée d'un bonnet ajusté sous un voile orné aux oreilles de grosses volutes, demande à un miroir rond sur pied de lui renvoyer son image.
Sur l'autre côté du pendentif, un jeune homme lui tend une tête de mort."
En fait les chanoines Duval et Jourdain ont dès 1844 publié une monographie sur les stalles d'Amiens, et celle plus générale de Georges Durand sur l'église Notre-Dame,qui inclut une étude du mobilier, est citée par Fulcanelli dans le Mystère des Cathédrales. Elle est parue en 1901-1903...aux éditions Picard.
Witkowski, grâce à qui nous avions initialement identifié l'origine de ces motifs, et qui a aussi inspiré Fulcanelli s'agissant entre autres de la cathédrale de Nantes, n'est donc pas forcément la source unique des dessins jusqu'alors non référencés de Julien Champagne:
http://www.archerjulienchampagne.com/article-4822749.html
http://www.archerjulienchampagne.com/article-3982459.html
D'autant qu'un certain Eugène Viollet-le-Duc, bien connu de notre Adepte de prédilection, ne s'est pas fait faute lui non plus de les mentionner dans son monumental Dictionnaire raisonné d'architecture (1856):
http://chateau.rochefort.free.fr/viollet-le-duc/Stalle.php
"On ne saurait trop étudier,écrit-il, les assemblages de ces grands ouvrages de menuiserie du XVe siècle et du commencement du XVIe, alors que les traditions gothiques n'étaient pas encore perdues. Sous une apparence très compliquée, la structure est toujours simple et conçue en raison de la qualité de la matière.
Les stalles du choeur de la cathédrale d'Amiens, par exemple, qui sont chargées d'une quantité prodigieuse de détails, présentent une structure de bois très bien combinée et très simple. Ces stalles sont aujourd'hui au nombre de cent seize; elles furent commencées en 1508 et achevées en 1522 par deux maîtres menuisiers, Alexandre Huet et Arnoult Boullin, sous la direction de Jean Turpin, et par le tailleur d'ymages Antoine Avernier."
Pourquoi finalement Fulcanelli n'a-t-il pas commenté ces emblèmes qu'il a pourtant sans aucun doute sélectionnés? L'hypothèse selon laquelle ils lui sont trop proches personnellement et auraient ainsi pu nuire à son anonymat ne me séduit guère.
Je pencherais plutôt pour un choix délibéré qu'il a fait de les présenter comme une partie muette du livre, de façon à mieux souligner leur importance. En iconographie alchimique, aucun détail n'est secondaire. Dans un post précédent, j'évoquais ainsi à propos du miroir de la vie et de la mort qui nous est présenté en permanence à tous et à toutes l'expression de miroir de la nature.
Miroir de Vérité, Speculum Veritatis...Peut-être deux têtes sous le même bonnet.
Eugène Canseliet, disciple de Fulcanelli comme Julien Champagne en est l'illustrateur, n'aborde pas non plus d'ailleurs le sujet des stalles dans ses écrits totalement ou partiellement consacrés à Amiens, comme par exemple dans son bel article paru en 1963 dans le numéro de la revue Atlantis qui est consacré au symbolisme de cette Notre-Dame, et dont est extrait le dessin ci-dessous.
En attendant de retourner comme moi en terre picarde visiter cette demeure philosophale "où souffle l'esprit", lisez, lisez le bel essai de K.L. (pardon, Kristiane Lemé), et si le c(h)oeur vous en dit, pourquoi ne pas nous laisser tenter aussi par un premier petit parcours virtuel?
http://www.stalles-dg.info/
Encore bonne année 2008. A bientôt j'espère...au joli pays de Julien Champagne. Où à la fin des fins, si du moins il y en a une, c'est toujours la vraie vie qui emporte la victoire.
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