Pour terminer l'année en beauté, si possible, j'espère bien avoir l'occasion de rendre à qui de droit le beau livre qu'Alexandra Charbonnier a consacré au poète franco-lituanien Oscar Vladislas Milosz, qui appartint à un vieux clan de la noblesse polonaise de Lusace, celui des Lubicz.
En fait Alexandra a écrit deux ouvrages sur lui: L'étoile au front (Dervy, 1993) et Le poète (L'Age d'Homme, 1996). Je vous recommande chaleureusement et particulièrement la lecture du premier, qui nous plonge d'emblée dans une atmosphère ô combien julienchampagnesque.
C'est que le pastel ci-dessus d'Henri de Groux nous montre en 1918 un Milosz qui fréquentait alors assidûment certains salons parisiens comme celui des Lesseps...
http://www.archerjulienchampagne.com/article-1781038.html
Comme Eugène Canseliet qui l'y rencontra, et donc probablement comme Julien Champagne, et sûrement comme Fulcanelli.
"Au sein du cercle que formaient les logis de la rue Saint-Benoît et de l'avenue Montaigne, écrit ainsi Canseliet dans ses Alchimiques mémoires, j'ajoute maintenant le poète Oscar-Wadislas de Lubicz-Milosz, que nos hôtes tenaient en grande estime."
Champagne l'appelait-il "la classe" comme il le fit pour Raymond Roussel, né comme lui et comme Milosz en 1877? C'est fort plausible.
Canseliet semble également indiquer que Milosz, qui partage avec "Hubert" une certaine prédilection pour les prénoms interchangeables, de Vladislas à Venceslas, voire pour les noms, de Lubicz à Lusace, fit partie de l'entourage d'un autre écrivain fulcanellien, Anatole France.
http://www.archerjulienchampagne.com/article-1968775.html
Il est vrai que tous deux furent des habitués d'un autre salon de la Belle Epoque, celui de l'Amazone Nathalie Clifford Barney.
http://www.archerjulienchampagne.com/article-4849361.html
C'est d'ailleurs à la collection de cette dernière, qui à la mort du poète en 1939 fonda une société de ses amis, qu'appartint la statue ci-dessous de Milosz qui fut réalisée par Léon Vogt.
Dans la réédition 1996 par Allia des Voyages en kaléidoscope de la très fulcanellienne Irène Hillel-Erlanger, nous apprenons en outre de la postface de Jacques Simonelli que cette dernière reçut Milosz.
Mais plus proches encore de Champagne si c'est possible, deux amis de Milosz et de Julien suffiraient au besoin à justifier ce post.
Milosz était comme tant d'autres en ce temps là un familier de La closerie des lilas. Peut-être comme notre artiste favori y rencontra-t-il un certain René Schwaller, auquel un lien très fort l'attacha jusque vers 1924, au point qu'il autorisa René à porter le nom des Lubicz. Oscar fit d'ailleurs un temps partie du réseau schwallerien des Veilleurs (sous le nomen de Pierre d'Elie).
http://www.archerjulienchampagne.com/article-1762862.html
Il en était de même de Louis Allainguillaume, que nous voyons ci-après en compagnie de Milosz, et qui resta jusqu'à la fin de ce dernier un ami de Julien Champagne.
http://www.archerjulienchampagne.com/article-2047948.html
Vous vous doutez bien qu'il m'est impossible dans le cadre d'un seul article de rendre justice à l'oeuvre considérable de Milosz. Je vais donc me borner à donner une petite idée de sa dimension ésotérique, hermétique et bien sûr alchimique, non sans préciser qu'on la retrouve aussi dans sa vie même.
Cette dimension transparaît dès son roman de L'Amoureuse Initiation (1910), et sera bientôt confortée par un Miguel Manara (1912), "mystère" bien proche en vérité de l'auteur du Finis Gloriae Mundi. Suivront en 1924 les poèmes philosophiques de l'Ars Magna, un des noms de l'alchimie, puis en 1927 les Arcanes....
Même les Contes lituaniens de ma mère l'Oye (1933), illustrés comme ici par Adomas Galdikas, fleurent bon leur Perrault, si cher à Fulcanelli. Et donc la cabale de la loi mère.
D'ailleurs Milosz ne parlait-il pas aux oiseaux, dans sa résidence bellifontaine? "Il avait, témoigne Paul Léautaud, installé pour les oiseaux des mangeoires dans la forêt de Fontainebleau et il allait voir régulièrement ses frères ailés.
Dès que ceux-ci l'entendaient siffler le grand air wagnérien au moyen duquel Siegfried déloge de sa tanière l'épouvantable Fafner, ils arrivaient en nuée, l'entourant et lui répondant par des louanges formulées en divers langages."
Cela fait image, prononce le d'ordinaire si caustique Léautaud, une image merveilleuse, comme celle d'un enchanteur.
Milosz s'affirmait d'ailleurs comme un alchimiste, "par hérédité", précisait-il. S'il n'oeuvra pas au fourneau comme
Champagne, la dimension spirituelle de l'alchimie lui était donc des plus familières.
On peut s'en douter quand on examine les armes de son clan, et les siennes propres, dont l'ordonnancement général évoque dans les deux cas certain écu final qui nous rapproche encore d'"uber campa agna."
De même Oscar avait comme d'autres pris l'abitude en certaines occasions, comme on peut le voir ci-dessous, de signer d'un paraphe rappelant les dites armes, d'une part, et d'autre part nettement ésotérique et au cas particulier, selon Charbonnier, rosicrucien.
Son inspiration alchimique transparaît des plus clairement dans sa Nuit de Noël de l'Adepte (1922), poème méconnu qu'il ponctue d'un significatif: "C'est la vie délivrée."
Cette nuit comme relevé sobrement par Alexandra est bien celle d'une renaissance. L'Adepte renaît à une dimension différente de la vie.
Pour son amie Renée de Brimont, sur qui il nous faudra peut-être revenir, il est incontestable que Milosz croyait à l'alchimie. "Il croyait à sa nécessité, à sa réalité....sur le plan spirituel. S'il pressentit l'alchimie comme un retour à l'unité sur le plan physique, il ne s'en est ouvert à personne."
Il paraît cependant évident que Vladislas ait fréquenté des alchimistes. Fulcanelli, Canseliet, Champagne, Schwaller ont ou ont dû connaître Milosz.
C'est au cours de certaines des conversations que le poète eut avec eux ou quelqu'un d'autre que Venceslas a pu trouver matière à conforter sa foi première en la réalité de l'alchimie.
Une foi qui éclate - certes discrètement - dans une lettre écrite trois années avant son décès: "Une substance physique m'a été mise pour ainsi dire dans les mains, qui explique la longévité des personnages compris dans la généalogie d'Adam."
Enfin comment ne pas revenir sur cette saisissante coïncidence de l'attrait commun de Fulcanelli et Milosz pour Juan de Valdes Leal, ce peintre espagnol du XVIIème siècle dont voici un saisissant portrait de Miguel Manara (1681).
Il est ici représenté en train d'édicter la règle de la Fraternité sévillanne de la Charité. Pour Jean Laplace comme pour H. Elie, ce tableau est à l'évidence initiatique.
Et il est de fait que si l'allure de Miguel est fort didactique, celle de son petit acolyte et loyal serviteur incite manifestement à la pratique du tacere zoroastrien.
Mais laissons pour terminer la parole à Milosz lui-même:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Oscar_Venceslas_de_Lubicz-Milosz
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Oscar_Vladislav_de_Lubicz_Milosz
"Il n'est pas de désir si pur, si élevé, si ardent que cette terre, dont la réalisation inespérée puisse engendrer une joie comparable à celle de la régénération simultanée et de l'esprit, et du minéral, ce dernier figurant, en l'occurence, la "perfection de la restitution" de la Nature tout entière."
ARCHER DE LUBICZ